Aïklando
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"Homme libre, toujours tu chériras la mer !"
"La mer enseigne aux marins des rêves que les ports assassinent."
"La sagesse, c'est d'avoir des rêves suffisamment grands pour ne pas les perdre de vue lorsqu'on les poursuit."
"Il est des moments où les rêves les plus fous semblent réalisables à condition d'oser les tenter."
"Le voyage est une suite de disparitions irréparables."
"Nous sommes de l'étoffe dont sont faits les rêves, et notre petite vie est entourée de sommeil."
"Dieu nous rêve. S'il s'éveille, nous disparaissons à jamais."
"Nous trouverons un chemin... ou nous en créerons un."
"Le rêve de l'homme est semblable aux illusions de la mer."
"Il n’est pas de vent favorable, pour celui qui ne sait pas où il va…"
"Il y a trois sortes d'hommes : les Vivants, les Morts, et ceux qui vont sur la Mer."
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 Ni d'Eve ni d'Adam

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Hybris Odd Gabriel
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MessageSujet: Ni d'Eve ni d'Adam   Ni d'Eve ni d'Adam EmptyMar 14 Juil 2009, 22:01

C'est l'absence d'odeur qui la força à sortir des limbes. Trop habituée aux relents gras et tièdes des salles informatiques, jamais aérées, aux signatures olfactives que laissent un bocal de formol cassé ou un détenu retrouvé mort dans sa cellule, ce soudain néant sensoriel la frappait comme un abandon. Cependant, Hybris était trop nonchalante pour réellement s'inquiéter de ce simple manque. Elle se contentait de froisser son nez long et droit dans une recherche plus poussée. Il devait probablement y avoir une explication simple. En réalité, il n'y avait qu'une odeur ici: la sienne. C'était un parfum grave et osé, de ceux que l'on ne sent bien que lorsque l'on enfoui son visage dans son cou, une effluve qui influence sans que l'on s'en rende compte, fragrance résolument évocatrice de ce qu'y reste d'indompté chez l'homme, un délice invitant au pire comme au meilleur. Mélange entre la bête et la rose, discret écœurement, bijou vulgaire. Voila qui résumait en un contraste tout le personnage d'Hybris, élégante de provocation et d'exagération.
Elle sentait contre ses omoplates la rudesse ingrate d'un mur. Apparemment, elle avait du s'endormir sans prendre le temps de rejoindre son lit. Il fallait avouer qu'elle ne manquait pas d'occupation ces derniers temps, mais elle qui était si soucieuse des apparences, ça ne lui ressemblait tout de même pas de s'assoupir n'importe où. Avec un léger râle endormi, elle étira son dos, arquant ses épaules en arrière autant que possible, jusqu'au léger craquement qui saurait la satisfaire. Ce bruit, comme un froissement d'os étouffé dans de la soie, était un rituel insolant. C'était son sacre renouvelé chaque matin. Sa manière de dominer l'espace proche. Si elle avait le temps de s'étirer ainsi, d'entendre son corps répondre à son sadisme avant que le monde ne la touche d'une quelconque manière, c'est que rien alentour ne la menaçait, rien n'était assez important, plus important que son confort. Ces matins aux réveils lents la mettaient de bonne humeur, mais elle était alors d'un orgueil plus irascible que d'ordinaire, elle croyait gouverner le monde. Mais c'était toujours préférable aux jours où, son sommeil interrompu par quelques urgences, elle semblait rugir chaque mot et chaque regard.

Ainsi, rassurée de voir son règne incontesté, elle pouvait oser l'ouverture mesurée d'un œil inquisiteur, qui saurait s'empresser de confirmer par la vue sa divine suprématie, tout en accordant aux alentours ce privilège immense: être regardés ne serait-ce qu'un instant par ses prunelles vert de gris. Mais malgré le rassurant craquement de son dos, la réalité n'était pas domptée comme il l'aurait fallu. A l'absence d'odeur et à l'inhabituel assoupissement venait s'ajouter un rouge omniprésent. Sa première pensée, encore enrobée de sommeil, fut de se dire que c'était sans doute la couleur qui la mettait le plus en valeur, que ce soit, par complémentarité, en faisant ressortir la luxuriance de ses yeux ou, par contraste, en accentuant la noirceur de sa chevelure. Alors ce rouge ne pouvait pas être une mauvaise chose. Mais ses remarques coquettes fuyaient lentement au profit de la réalité. Elle n'avait pas souvenir d'un salle pareille, encore moins d'y être entrée pour s'endormir. Une pièce dont les murs, le sol et même le plafond sont rouges, on s'en souvient! Il devait forcément manquer quelque chose, un élément pouvant tout relier. Elle avait du oublier ce rouage. Qu'avait-elle fait juste avant de s'endormir? Où était-elle allée, avait-elle parler à quelqu'un? L'inquiétude la traversait prudemment, laissant derrière elle une trainée de poudre.
Et une nouvelle constatation suffit à l'enflammer. Malgré une observation de la pièce dans son intégralité, nul porte ou fenêtre visible, pas la moindre ouverture. Mais pour l'instant, autre chose encore la rendait perplexe. Se décollant lestement du mur, elle se leva avec souplesse, mais avec cette souplesse alerte qu'utilise les proies pressentant la présence du prédateur, attendant seulement de voir de quel côté venait le danger avant de prendre la fuite. Elle s'approcha du mur en face d'elle. Ce qu'elle avait cru voir ne s'estompait pas. Il y avait bel et bien des photos d'elle placardées en une longue procession. Hybris n'aurait jamais cru être répugnée en observant sa propre image. En réalité, c'était le nombre de clichés et surtout leur diversité qui l'étourdissaient. Elle se voyait d'une manière inédite, par l'œil d'un observateur inconnu et insoupçonné. Ce n'était pas ce reflet d'elle-même qu'elle surprenait souvent dans les yeux des hommes, teinté d'envie imprononcée, ce n'était pas non plus son auto-satisfaction en se mirant dans une glace, non ici c'était la traque incessante d'un œil sans gène, un regard qui ne lui avait laissé aucun répit, qui l'avait vu dans toutes les situations imaginables. Elle qui s'efforçait de paraitre toujours à son avantage, c'était humiliant de voir qu'à son insu, quelqu'un avait réussi a voler ses rares instants de relâchement. Et ces images semblaient avoir été prises durant des années, depuis son enfance en réalité, ce n'était donc pas l'œuvre obsessionnel d'un adorateur inconnu qui l'aurait observée sans relâche depuis “seulement” quelques mois.

Là, son minois de gamine presque blonde -aussi étonnant que cela puisse sembler- dénué du moindre subterfuge, son grand sourire carnassier-dévoreur de bonbons, tourné vers le ciel. Sa peau, bien que claire, était plus rosée, plus vivante que maintenant. Ici, à l'adolescence, alors qu'on sentait déjà la femme qu'elle allait devenir, on la voyait traverser comme une apparition un couloir obscur qui avançait au milieu des cages où des formes s'agitaient, hurlaient, restaient prostrées dans le flou. Son visage impassible semblait voir un point lointain et dans ce calme fixe, on reconnaissait une certaine suffisance royale. A cette époque, son père avait décidé qu'il était temps qu'elle visite enfin les laboratoires et la prison-garde-manger de la Firme, malgré l'aspect choquant que cela aurait revêtu pour n'importe quelle jeune personne. Et il avait bien fait car loin de l'ébranler, cette découverte n'avait fait qu'accentuer son caractère, déjà savamment sculpté par une éducation particulière. Sur cette photo-là, ce même père tenant sur chacun de ses genoux une crevette emmaillotée dans un linge blanc. Il souriait en s'extasiant devant ses deux enfants tout juste nés, des jumeaux braillards et rouges, et derrière eux, un peu floue, toute une troupe d'hommes en blouse blanche se félicitaient de cette réussite. Et ça continuait ainsi, sans fin: Hybris qui se maquille soigneusement, Hybris faisant face à son père, assise sur le coin de son bureau, Hybris dans les bras de son frère, Hybris en combinaison, avec un masque, des gants, qui assiste à sa première intervention, Hybris qui ne craint pas le sang, Hybris devant les écrans des villes-éprouvettes, Hybris qui repousse les avances d'un barbu, Hybris en tenue militaire, Hybris avec une arme, donnant des ordres, Hybris surveillant les scientistes, Hybris écrasant au sol un fuyard alors qu'elle devait à peine être majeure. C'était interminable, captivant et ennuyeux tout à la fois.

Préférant se détourner des photos le temps de retrouver son calme, elle fit face au grand miroir qui se tenait à sa droite. Hybris avait de nombreux souvenirs de ce qu'elle appelait ses séance "d'entrainement expressifs", devant sa coiffeuse. Depuis l'adolescence, elle avait appris à se composer un visage suivant l'humeur, et la clé d'un tel travail sur soi-même était l'observation minutieuse. Dans cette recherche, elle avait même poussé le zèle jusqu'à un autre exercice: sourire gracieusement lors des repas interminables et mondains, alors que sous la table, elle s'appliquait à enfoncer une fourchette entre sa peau et ses ongles [ça rappellera peut-etre quelque chose à certaines personnes Wink ]. Bien sur, il y avait la transformation par le maquillage et la manière de s'habiller, mais cette coquetterie cachottière n'était venu qu'ensuite, inutile d'une certaine manière, mais agréable. Non, ces entrainements étaient surtout une recherche des expressions, des rictus à adopter. Devant sa glace, si jeune, elle travaillait son visage comme un sculpteur travaille la pierre. Elle apprenait à se connaitre, à connaitre le visage humain. Elle enchainait les froncements de sourcils, les moues, s'exerçaient à entrouvrir la bouche juste assez pour exprimer la surprise sans que cela semble exagéré. Ainsi, elle établissait un contrôle total sur ses traits sans jamais sembler crispée, elle manipulait chaque muscle facial avec une précision chirurgicale. Elle connaissait parfaitement la portée de la moindre ombre de sourire, toutes les nuances qu'il pouvait y avoir sur un visage humain. Elle pouvait parfaitement détacher son expression de ses pensées, jouer un sentiment opposé à sa réflexion, sans se trahir un instant. Cette longue étude lui avait donné un autre avantage: en plus de cette maitrise d'elle-même, elle pouvait également décoder avec une aisance particulière les expressions de ses interlocuteurs. Ce qui est un atout non-négligeable.
Mais aujourd'hui, dans le reflet que lui renvoyait la glace, il n'y avait rien d'autre qu'une incrédulité endolorie et une femme qu'elle ne reconnaissait que vaguement, comme à travers un brouillard lourd, celui du souvenir. Hybris se sentait étrangère à elle-même, l'esprit extraordinairement orphelin du magma habituel de pensées ravageuses. Elle avait le sentiment de n'être qu'un réceptacle sensitif, elle se contentait de se voir sans que cela lui évoque la moindre remarque. Elle avait rarement était un spectateur aussi parfait, aussi objectif.

Dans le miroir, son visage était blanc, sa peau avait la froideur du marbre et la préciosité de la soie. On aurait pu croire son visage, son cou, ses épaules creusés dans une perle immaculée, chaque arrondi et chaque creux révélant tour à tour des éclats nacrés et des ombres tendres. Rien ne semblait pouvoir altérer, toucher ou s'accrocher à cette peau diaphane. Cette blancheur en devenait même irréelle, inacceptable, intolérable: ce n'était pas humain d'être aussi pâle, elle semblait, tel un caméléon, avoir reproduit la couleur immaculée des blouses médicales, des carreaux de faïence de quelque laboratoire, avoir volé le teint des cadavres sans en garder rien de maladif. Au milieu de cette toile vierge, ses yeux n'avaient alors aucun mal à capter l'attention, même sans l'aide d'un trait de khôl. Car en effet, à cet instant, dans le miroir, son visage était miraculeusement laissé au naturel, et ses yeux montraient leur teinte véritable, leur forme réelle, sans se cacher derrière des poudres merveilleuses et traitresses. Ses prunelles semblaient contenir un océan par temps de triste pluie. Elles étaient d'un vert de tempête, presque le bleu des marécages. Une forêt délavée par les orages du temps. Ses yeux clairs, sans l'ampleur du maquillage, étaient à cet instant étrangement doux et calmes et cette impression était accentuée par ses lèvres fines, beaucoup trop claires à son goût, beaucoup trop discrètes, laissant possible l'éventualité d'un sourire bienveillant. La jeune femme était vaguement gênée de ce naturel affiché. Elle-même n'avait pas l'habitude de se voir dénudée de cette manière; au matin, elle s'empressait de plaquer sur son visage le masque habituel des vanités. Seul un observateur nocturne aurait pu contempler longuement son visage de vestale immaculée. Elle se sentait menacée: le maquillage marqué, les vêtements aguicheurs, tels étaient les composantes de sa carapace. Non pas que ce costume fut très différent de la personne qu'elle était réellement en dessous, mais elle avait simplement le sentiment que ces enluminures lui permettait de s'affirmer sans crainte. Les accessoires enchâssaient et sublimaient son essence même, le joyau qu'elle se sentait être.

Après avoir tenté de retirer le miroir du mur, en espérant découvrir une issue camouflée, Hybris tourna le dos à ce reflet qui ne lui ressemblait pas. L'agacement qu'elle ressentait à se contempler sans parure lui avait presque fait oublier l'inquiétude d'être enfermée dans une pièce inconnue. Ainsi, lorsqu'elle aperçu l'assemblage lui faisant face, elle ne put réprimer un sourire méprisant mais plein de satisfaction. En effet, sur le mur opposé au miroir, tout un puzzle de clichés reformait la femme fatale taille réelle. On aurait presque pu croire à un autre miroir ou à une seule photo sortie dans une dimension impressionnante, tant les proportions entre chaque fragment étaient scrupuleusement respectées, les détails concordant parfaitement, ne laissant qu'une infime césure, des différences de lumière et de teintes entre les images. Hybris contemplait sa posture royale et languissante tout à la fois, silhouette admirable, se glorifiant d'avoir un corps si agréablement ciselé, si parfaitement mis en valeur par des vêtements choisis avec goût. Elle avait toujours l'air de poser. Ses pieds impeccables, armés de chaussures vertigineuses, semblaient la placer sur un piédestal. Comme toute femme distinguée -tout du moins d'après ses critères- elle avait une passion dévorante pour les chaussures. Et plus c'était haut, plus elle aimait. Elle avait une collection impressionnante d'escarpins, de bottes, de salomés, de sandales et sandalettes, de talons-aiguilles et autres petites choses aptes à faire son bonheur, malgré quelques douloureuses expériences, bien vite oubliées cependant. Ses trésors n'avaient à ses yeux que des vertus: la rendre plus grande et plus élancée, lui faire des jambes interminables, mettre en valeur ses chevilles d'une exquise fragilité. Ah, stiletto mes amours! En repassant cette liste mentale d'avantages, elle se rendit compte qu'outre le maquillage, il lui manquait également une paire de chaussures aux pieds. La colère revint comme une vague tempétueuse; l'insurrection était proche.
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Hybris Odd Gabriel
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MessageSujet: Re: Ni d'Eve ni d'Adam   Ni d'Eve ni d'Adam EmptyMar 14 Juil 2009, 22:01

Elle tenta d'oublier l'abandon de ses précieux, essayant de se replonger dans la saine auto-adoration. Sur les images composant ses jambes, des étoffes de diverses teintes voilaient ses cuisses blanches qui apparaissaient parfois sous l'ombrage d'une dentelle charmeuse. Ses hanches étaient étreintes dans des tissus classieux, serrant au plus près leurs courbes pour mieux mettre en valeur la rare finesse de sa taille. Le contraste de ses formes étaient encore accentué à l'aide d'éternels corsets, qui avaient également le mérite d'offrir à la vue sa poitrine plantureuse et fière. Manquait-elle de pudeur en exposant aussi librement sa gorge au premier venu? Certains pourraient voir en cela une marque de vulgarité, de légèreté, ternissant l'image de la femme, la réduisant à une silhouette désirable. Mais il n'y avait pas plus faux que cet avis, en se montrant aussi pleinement, Hybris ne faisait qu'affirmait la puissance de son sexe. Car d'une certaine manière, c'était sa certitude profonde: les femmes sont faites pour régner. Mais elles l'ignorent tant qu'elles en deviennent pathétiques, misérables, se voilant la face en acquiesçant aux paroles de leurs pères et maris. Voilà la vision d'Hybris sur la condition des femmes: tout un potentiel immense, laissé en friche par un troupeau de grues. Et elle était bien décidée à révéler au monde cette supercherie qui s'ignore. Tiraillée entre le mépris de ses semblables et une haine délicieuse pour les hommes.
Tout n'était finalement qu'un éternel costume sans cesse renouvelé: talons hauts, corset et maquillage, la combinaison qui avait trouvé grâce à ses yeux. Ses épaules dressaient une arche distinguée, prolongée par ses bras nus et dangereux, aux mouvements hypnotiques et lents empruntés aux serpents. Ses mains se faisaient dociles et pourtant toujours prêtes à mordre, ses ongles peints en rouges par un funeste présage. Il y avait quelque chose de malsain dans ce soucis du détail. Elle n'était décidément pas humaine, sa beauté avait quelque chose de trop plastique, trop irréprochable pour être aimée, réellement aimée. Cette femme, d'une certaine manière, ne pouvait guère inspirer autre chose que du désir. Les gens qui l'entouraient savaient, inconsciemment, qu'elle n'était pas comme eux tous, c'était une plante expérimentale, élevée sous serre pour être plus pure. Une tentation de la mort, somptueuse et transcendée, promesse d'une nuit éternelle, cruellement belle.

Ses cheveux rappelaient ce serment sournois, ruisselant en une cascade luisante d'éclairs noirs. Toujours impeccable cette chevelure, jamais la moindre mèche vadrouillant à sa guise, elle y prenait garde. Comment espérer gouverner les hommes si on est incapable d'imposer sa volonté à ses cheveux? Non, c'était une armée bien sage qui encadrait son visage de poupée, se propageant par vagues nettes et brillantes. Hybris ne prit pas la peine de refréner le sourire orgueilleux qui monta à ses lèvres en constatant la présence de son maquillage sur sa représentation à taille réelle. En s'observant “nue” dans la glace, elle s'était sentie un peu perdue, comme dépouillée d'elle-même et de ses certitudes. Mais là, enfin, elle savait que c'était elle, vraiment elle, qu'elle contemplait avec un amour insondable. C'est simple, de ses traits ainsi redessinés, mis en valeur, elle aimait tout. La netteté rouge de ses lèvres tracées avec attention, la ligne noire et harmonieuse qui obscurcissait ses cils et prolongeait son œil, les ténèbres de ses sourcils bien dessinés, la mouche discrète trônant sur sa pommette gauche, près de sa tempe. Elle se sentait à la fois artiste et œuvre d'art. C'était un accomplissement total qu'elle ne devait qu'à elle-même.

Hybris se sentait rassurée, rassasiée, elle était tellement gorgée d'elle-même que rien d'extérieur ne pouvait l'atteindre. Bien sûr, une vague alarme résonnait encore sous son crâne, mais tellement lointaine qu'elle se transformait paisiblement en bourdonnement de guêpe. Certes, elle était enfermée dans une pièce inconnue, visiblement sans issue, et la décoration était pour le moins... dérangeante. Mais rien ne menaçait directement sa vie, il ne fallait pas paniquer. Et puis après tout, elle était la fille chérie de son père, et où qu'elle soit, tout serait rapidement mis en œuvre pour la ramener à la “maison”. Elle n'avait qu'à attendre patiemment.
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MessageSujet: Re: Ni d'Eve ni d'Adam   Ni d'Eve ni d'Adam EmptyDim 19 Juil 2009, 19:40

Ni d'Eve ni d'Adam Oeil2wd9



Oh, une narcisse! C'était si rare, si rarement agréable! Embusqué, bien planqué, je la laissais tournoyer dans mon domaine. Sa puissance se reniflait à distance, comme un parfum capiteux. En plus d'être extravagante, elle devait être importante, cette plante là! Je profitais du spectacle, inlassable. Après avoir détaillé toutes les photos, elle se tourna vers moi, ô miroir, son beau miroir! Je restais immobile, mimant seulement ses gestes, ses attitudes. Je l'aimais bien, bien qu'apparemment perturbée, on sentait une suffisance immense dans sa contemplation. Cela me changeait. Souvent les gens passant par ici ont peur et ne bouge pas et souvent se trouve moche.
Quand elle décida de se détourner de moi, se préférant pleine de parures, il me fallut attendre encore un peu. Puis, dans un bruit de verre cassé, le sage reflet que je fus jusque là pris sa liberté. Mais sur mon visage -le sien- ce n'était plus ses yeux, mais les miens. Banals, marrons, couleur de boue.
Mais j'avais beau m'amuser en cette compagnie -seulement ennuyé de ne pouvoir jouer un peu plus avec elle- j'avais une tâche à accomplir. Avec emphase, je plaquais mes mains contre la surface insensible de la glace. Aussitôt, mon côté du miroir commença à être envahi par l'eau. La montée était régulière: les chevilles, les genoux puis bientôt les hanches. Sur le liquide, une clé d'un rouge blasphématoire flottait bien qu'elle sembla taillée dans un métal pesant. Mon torse fut noyé, puis mon menton. Je fermais les yeux avant de les rouvrir sous l'eau. Puis enfin, le miroir entier fut saturé d'eau. La clé se mit à couler, et plus elle s'enfonçait plus elle semblait se désagréger. Quand il ne resta rien de l'objet rouge, le miroir éclata, dispersant seulement quelques gouttes d'eau. Là où je me tenais l'instant d'avant, le passage noire attendait la venue de ma jumelle.



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MessageSujet: Re: Ni d'Eve ni d'Adam   Ni d'Eve ni d'Adam EmptyVen 13 Nov 2009, 14:06

Comme s'il n'avait été jusque là qu'une flaque d'eau suspendue miraculeusement au mur, défiant les lois élémentaires de la physique, le miroir se disloqua soudainement sur le sol en gouttelettes, éclaboussant au passage le dos de la jeune femme. Surprise, elle se retourna pour observer le liquide répandue mais surtout la gueule noire laissée à la place du miroir. A son arrivée, elle avait pourtant vérifié que la glace ne cacha aucune ouverture. Ce petit jeu devenait de plus en plus étrange. Est-ce qu'un adversaire, un rival de la Firme l'avait fait kidnapper? Dans quel but? La torturer pour lui soutirer les mystères de Lan Rei Ouest? L'échanger contre une rançon, argent ou information? L'étudier pour découvrir son secret? Si la suite promettait d'être intéressante et injectait désormais plus de curiosité que d'inquiétude chez Hybris, elle n'en oubliait cependant pas d'être prudente. Mais après tout, depuis longtemps déjà elle avait été préparée à ce genre d'éventualité. Si une seule personne était capable de se sortir de ce merdier, c'était bien elle. Avançant lentement vers l'obscurité, elle porta instinctivement sa main à sa hanche, mais malheureusement pour elle, il n'y avait pas que le maquillage et les chaussures fantaisistes qui s'étaient fait la malle. Il faudrait se passer des grossièretés de son bon vieux Glock. Elle pesta entre ses dents -c'était une habitude élevée au rang d'art chez elle, elle adorait jurer ou prononcer des mots cocasses tout en gardant son allure de grande dame, prenant un malin plaisir à voir les gens déconcertés par ce contraste. Mais à cet instant, il n'y avait personne pour s'étonner de tels propos dans sa bouche. L'idée d'avancer dans le noir sans arme, sans connaitre les lieux et en étant à la merci d'un hypothétique ennemi l'attendant sagement ne lui plaisait guère. Mais avait-elle le choix? Après tout, si on avait voulu la tuer, ce serait déjà fait, on n'aurait pas pris le temps de faire toutes ces mises en scène et de risquer de la voir s'échapper. Tout cela n'était finalement qu'une grosse blague douteuse, désagréable. Mais pas réellement dangereuse. C'est du moins ce qu'elle essayait de se dire en passant du côté obscure de la force pièce.

Ne pouvant plus se fier à ses yeux -ce qui n'était pas plus mal après l'orgie encaissée dans la salle rouge- il fallait ruser avec les autres sens. Mais encore une fois, il n'y avait aucune proie pour son nez. Et aucun bruit n'atteignait ses oreilles. Pour l'instant.
Avançant lentement, sans bruit, elle guettait. Mais malgré sa vigilance, elle ne put voir venir la fermeture de son unique repli, derrière elle. Adieu sordide salle rouge, je t'aimais bien. Les alentours n'étaient que néant. Une obscurité plus épaisse que celle connue par le commun des mortels, une noirceur pâteuse, impossible à déchirer. Même en plaçant ses mains sous son nez, elle était incapable de les voir et ne pouvait s'assurer de leur présence qu'en les touchant. Il existe un genre de ténèbres qui vous fait douter de votre propre existence. Et elle était en plein dedans. Méthodique, elle commença à avancer sur un côté, bien décidée à trouver un mur et à le longer jusqu'à dénicher une ouverture dissimulée, un levier, un interrupteur, une lampe, n'importe quoi. Mais elle ne faisait que s'enfoncer toujours plus loin, sans trouver la moindre cloison: cet endroit semblait s'étendre sans limite, et elle regrettait déjà de s'être éloignée de l'entrée, bien incapable désormais de la retrouver. Même en se dirigeant là d'où elle venait, elle ne trouva rien. Cette noirceur sans horizon devenait terrifiante, bien plus oppressante qu'une cage.
Alors elle se mit à crier. Un quelconque observateur aurait pu y voir un signe de panique, mais on en était bien loin. Hybris avait comme changé de peau, abandonnant sur le seuil la femme superficielle et coquette pour revêtir son costume stricte et méticuleux de tacticienne. L'instinct militaire avait prit possession de son corps et elle guettait le moindre écho que son cri aurait pu provoquer, cherchant à obtenir des informations sur son environnement. Mais c'était comme si son hurlement avait été littéralement arraché à sa gorge, happé par les ténèbres. Puis rien d'autre. Hybris était de ces personnes capables de s'adapter rapidement et de combattre dans toutes les situations, avec un rien, usant de toute leur énergie et inventivité pour retourner la moindre information, le moindre objet à leur avantage. Mais comment se battre les mains vides et contre un adversaire inconnu, immatériel. Le noir reste une peur primaire, une peur d'enfant, absurde, et pourtant monstrueuse, car c'est une non-chose, impossible à atteindre. Une infinité de possibles, bien planqués.

C'est à cet instant, quand la jeune femme sentit avec rage que son impuissance était au moins aussi vaste que cet endroit, que le silence se perça, devenant bruyant. Ce ne fut d'abord qu'un désagréable froissement, comme le bruit de sabots de chevaux se trouvant très loin, sur l'horizon. Mais ils étaient mille, déboulant du sommet des collines, l'encerclant de toute part et se rapprochant dans une discorde de fanfare. Le bruit augmentait progressivement, avec une rapidité affolante, jusqu'à devenir étouffant, lui donnant l'impression qu'elle allait se faire piétiner d'un instant à l'autre. Mais comme une apothéose à ce feu d'artifices, une voix d'une douceur étourdissante se juxtaposa au tumulte pour le faire taire, brûlante comme du satin, caressante comme des flammes. Il y avait quelques ironies doucereuses dans le ton, comme une critique éternellement coincée dans la poitrine. Quel triste et irritant mal de gorge!

“La voilà enfin, meilleure que Dieu et pire que le Diable, avec sa farandole de déguisements, sirène, succube, vampire, quoi d'autre encore? Un cauchemar déguisé en fantasme. Et inversement.”

Ces paroles auraient pu en abattre plus d'un. Mais au contraire, c'était juste ce qu'il fallait pour raviver Hybris: lui offrir un moyen d'avancer, quelque chose à quoi se raccrocher. Elle voyait là -ou devrais-je plutôt dire entendait- une blessure à faire saigner, une faille à explorer. Et elle se lança dans une répartie cinglante, car un combat de mots reste toujours un combat.

Cela me semble plutôt fidèle comme présentation, et assez élégant pour une introduction venant d'un être sans doute trop laid pour oser montrer son visage. Vous auriez pu ajouter “L'Alpha et l'Oméga”, ça aurait donné une touche mystique qui n'aurait pas été déplaisante et mon égo vous en aurait sans doute grandement remercié. Mais rassurez-vous, je ne vous tiendrais pas rigueur de ce manquement.

-Mais c'est qu'elle pique! Nous qui vous prenions pour une plante vénéneuse, seriez-vous en faite un vulgaire cactus?

-Ne puis-je pas être les deux? Une sorte d'hybride de ces choses dangereuses.

-Comment vous appelle-t-on déjà dans les opérations spéciales...? Oh oui, Black Baccara. Une rose noire... Belle mais cruelle, douce comme du velours à la vue, parure profonde et intrigante, mais qu'on ne peut toucher sous peine de se taillader profondément...

-C'est à cela que certains me comparent en effet, mais je trouve ça horriblement cliché. Cependant, ce surnom ne manque pas de charme. Dans tout les cas, vous avez l'air d'avoir la main verte. Est-ce que tout le reste l'est aussi? Je pourrais alors bien facilement comprendre votre honte, c'est une couleur si difficile à porter!

-Vous êtes donc de ce genre là, d'une mesquinerie fade, à attaquer sur le physique des gens?

-Oh, mesquine, cela me semble plutôt faiblard, cherchez un adjectif à ma hauteur. Vous ne voudriez tout de même pas offusquer votre invitée.

-Sournoise alors, et presque méchante.

-Presque? Qu'est-ce que cela, “presque”? Décidemment, vous vous complaisez dans la demi-mesure. Ayez le courage de vos opinions. Je ne sais pas pourquoi je suis ici, mais j'espère au moins que ce n'est pas pour recevoir votre vision édulcorée.

-Oh, rassurez-vous, vous n'êtes pas ici pour cela... C'est votre vision qui nous intéresse, pas celle que nous pouvons avoir de vous...


La Voix s'était mise à parler de plus en plus bas, devenant un murmure inquiétant, vibrant comme une menace. Quand le chuintement de son dernier mot s'éteint, une déferlement de cris s'éleva tout autour d'Hybris, lui donnant l'impression d'être en pleine tempête. Elle ne put refréner le réflexe de se protéger la tête, mais c'était bien inutile, les hurlements étaient dedans comme dehors, déchirant l'air et ses tympans mais tailladant avec plus de rage encore l'intérieur de son crâne. Ce n'était d'abord qu'un boucan incompréhensible, une mêlée affreuse de bruits, rugissements et vociférations, puis la jeune femme identifia dans cette tourmente des gémissements aux allures de phrases désespérées, bien qu'elle n'arriva pas immédiatement a en comprendre le sens. Au dessus, une voix teintait comme une clochette stridente, lâchant un chapelet de mots, comme une malédiction, un décompte sonnant la fin du monde.

“Paresse...”

Peut-être le vice qui s'éloignait le plus d'elle, et pourtant bien présent, de manière subtile. Hybris, de par son rang dans la Firme, mais aussi par son caractère, était quasiment toujours affairée. Elle aimait contrôler, surveiller, décider. Pouvant tout faire, elle aurait voulu être partout à la fois. Mais quand elle réalisait soudain sa force, mue par une complaisance et une autosatisfaction délicieuse, elle retombait, alanguie, dans le plaisir ennuyeux et lent d'avoir la possibilité de ne rien faire. Une langueur peut-être trop calculée pour être appelée paresse. Elle étudiait ses poses pour en faire toujours ressortir un dédain raffiné, une sorte de distance envers le monde et le commun des mortels. Elle se jetait dans des activités futiles, jouant la fille légère et étourdie ou bien l'indifférente féline qui se repait de voir les autres s'activer. Elle aimait narguer ceux qui ne pouvait pas se payer ce luxe, cette indolence était surtout l'occasion de se faire servir, de faire sentir sa suprématie. Elle aimait ce sentiment d'attente, voir les êtres s'inquiéter de son immobilité, se demander comment la contenter, leur anxiété montant inexorablement. Ils voyaient dans ces moments de lenteur le fameux calme avant la tempête et ils s'agitaient comme des guêpes par une journée de mai pour trouver ce qui pourrait bien leur servir de parapluie (ou d'abri anti-aérien). Sa nonchalance lui donnait à peu de choses près le statut d'une reine face à ses sujets. C'était une manière de contenter son...

“...Orgueil...”

Car beaucoup de ses comportements pouvaient être expliqués par ce trait de caractère élevé au rang d'art chez la jeune femme. Narcissique à n'en pas douter, elle s'aimait -tant physiquement que mentalement- avec une folie démesurée, ce qui la rendait tout à fait incapable de porter une réelle estime aux autres, encore moins des sentiments. Quiconque avec vue sur son âme aurait pu se rendre compte du puits profond qu'était son cœur, emplie d'un élan incommensurable. Mais cet amour n'était qu'un miroir destiné à elle seule. Il n'y aurait jamais de place pour un autre être, car ça serait un sacrifice de son amour-propre. Mais même dans l'optique où elle aurait été prête à céder un peu de cette amour qu'elle se réserve, encore eut-il fallu trouver quelqu'un qui en fut digne. Car autour d'elle, elle ne voyait que des imbéciles, des maniaques et des espèces de pantins rigides. Personne n'arrivait à soutenir la comparaison, car Hybris appliquait aux autres la même exigence irréprochable qu'elle se demandait à elle-même. Elle était sans pitié, son esprit critique les fusillant sans laisser le moindre survivant. Tous étaient manipulables, influençables, obtus, tous se butaient contre quelque chose, une fonction, une morale, un objectif, un passé. Les femmes comme les hommes, les militaris ou les scientistes, les cobayes aussi, tout cela n'était qu'un brouhaha de défauts agaçants. Même les êtres les plus appréciés lui semblaient souvent de sordides imperfections en puissance. Odd Gabriel Senior était un vieux mégalo qui avait certes le mérite d'avoir bâti un empire puissant, mais qui avait perdu sa fougue et son génie en même temps qu'une grande partie de ses cheveux. Oh, ce n'était pas un homme négligeable pour autant, malgré ce vieillissement, il restait fort et craint de tous les employés de la Firme. Il était froid, intelligent et fait pour mener une armée à la baguette. Et c'était sans doute le seule homme réalisant l'exploit de trouver un soupçon de grâce aux yeux d'Hybris. Le duo père-fille était bâti sur une étrange relation de respect mutuel et de provocation, chacun connaissant la valeur de l'autre tout en le poussant à bout dans des faces à faces enjoués et durs. Mais la jeune femme n'oubliait pas qu'elle s'était construite seule, malgré les attentions dont elle avait été entourée, malgré les privilèges et l'éducation extraordinaire, ce qu'elle était aujourd'hui, elle ne le devait qu'à elle-même.

“...Gourmandise...”

Créature distinguée, Hybris savait apprécier les mets délicats que lui offrait son statut social. Elle sait se délecter des bonnes choses, aime le vin de prestige et n'hésite pas à en offrir à ses invités, se réjouissant alors de l'ambiance tamisée qui s'instaure lorsque le liquide vermeil roule dans les verres. Mais gourmande, elle l'est dans sa démesure sans doute, plus que pour un appétit excessif. Le terrible besoin de savourer le moindre plaisir tant qu'il en reste, comme par peur de ne pas en recroiser avant longtemps. Peu importe d'en avoir déjà eu sa part, elle voulait croquer dans tout ce qui était à sa portée, plus par principe, pour être sûr de ne rien manquer, de ne manquer de rien. Et une nouvelle fois, elle trouvait là un moyen de se prouver son importance, son pouvoir, elle n'avait qu'à tendre le bras pour saisir ce qui lui faisait envie et le plaisir était plus dans ce sentiment que rien ne lui était impossible, qu'elle pouvait tout avoir, plutôt que dans la délectation pure et la valeur de la chose possédée. Un empressement goulu, une soif de tout, tout de suite, un ensemble de caprices qui faisait d'Hybris une gourmande non pas gustative mais universelle. Rien ne comblait sa curiosité, son éternelle insatisfaction. En fait, plutôt que gourmandise, le mot qui convient plus exactement est...

“...Avarice...”

Oui, avare. De puissance et d'argent essentiellement, car l'un va rarement sans l'autre. De nature ambitieuse, la jeune femme adorait voir s'empiler les richesses, elle y voyait une preuve de son avancement. Tenir le monde dans la paume de sa main lui semblait un rêve à sa mesure. Elle savait se montrer reconnaissante envers son père sur un point au moins: en érigeant une société aussi influente et productive, il avait donné à sa fille les armes qu'elle méritait et dont elle avait besoin. Ainsi, elle qui ne s'inclinait devant personne, ne rendait aucun compte, elle vouait pourtant une fidélité dévouée à la Firme et ses projets, s'y impliquant de tout son être, prête à tout pour augmenter toujours plus la suprématie de l'entreprise. Car après tout, c'était sans doute le meilleur moyen pour devenir à son tour plus puissante, plus incontournable. Sans état d'âme, elle était prête à mettre en œuvre n'importe quel stratagème pour obtenir l'objet de ses convoitises. Et les gens au final étaient inclus dans ce même procédé, des jouets qu'elle aimait choyer et jeter au gré de son humeur. Rien ne semblait l'inquiéter suffisamment, aucun ennemi ne semblait pouvoir l'intimider, la faire renoncer, si elle avait décidé d'obtenir quelque chose. Cependant, avare oui, pingre non. Hybris était consciente que tout se paye, et que si elle voulait obtenir ce qu'elle désirait, il fallait parfois accepter de se délester d'autre chose. Dès lors, elle savait marchander ses demandes avec une générosité faste, récompensant parfois, dans les bons jours, l'aide qu'un employé pouvait lui apporter, s'assurant ainsi sa loyauté à venir. Les gens sont une marchandise comme une autre, qu'on peut acheter, à condition de payer le prix suffisant. Deux pièces et ils font le dos rond...

“...Luxure...”

Son allure de femme fatale suffit à lui conférer une aura de débauche. Comme elle avait pu le montrer dans la salle précédente, Hybris était d'une coquetterie extrême, presque maladive. Impudique, aguicheuse et d'une beauté voluptueuse, Hybris s'amuse à tourmenter les hommes. Elle aime ce frisson de puissance quand elle constate que d'un claquement de doigts, ils seraient à genoux pour exaucer le moindre de ses désirs. Mais une fois à ses pieds, elle préfère le plus souvent les écraser du talon, les empaler sous ses chaussures. Rares peuvent se vanter d'avoir obtenu ses faveurs, et des rumeurs folles courent alors sur les penchants de notre mente-religieuse, créant un mystère autour d'elle, fascinant et effrayant à la fois les possibles prétendants. Certains de dire que l'acte charnel chez elle n'est qu'un exutoire de sa misandrie, lui donnant une occasion de plus de soumettre un homme pour sa propre extase. D'autres prétendent qu'elle préfère la compagnie des femmes, bien qu'elles ne bénéficient guère de plus de clémence aux yeux de l'impitoyable Hybris. Quelques uns encore aiment à raconter que derrière son air impérial et intouchable se cache en réalité un amour impossible qu'elle ne peut oublier. Hybris serait-elle en réalité une héroïne racinienne qui ne pouvant aimer celui que son cœur a choisit, adopterait un comportement méprisant envers tous ses prétendants? Oh, que de jolies et sordides hypothèses... Mais au fond, peu importe le partenaire, seul compte le plaisir.

“...Envie...”

Difficile d'envier la situation d'un autre lorsque l'on est si convaincu d'être supérieur à tous. Cependant, tout avoir ne suffit pas, il faut aussi que les autres ne puissent avoir cette chance, sinon, où serait l'intérêt? Capricieuse, Hybris n'hésite donc pas à jouer de son autorité ou autre pour contenter ses envies au dépend de tout un chacun. Priver quelqu'un de ce qu'il désire l'amuse presque autant qu'obtenir ce qu'elle veut. Elle est jalouse des objets et des personnes, possessive à l'excès. Toute chose attisant son intérêt, pour une raison ou une autre, que ce soit important ou tout à fait anecdotique, devenait dès lors une obsession. Et dès que ce bien est en sa possession, il n'est plus question d'y renoncer, du moins tant qu'elle ne s'en est pas lassé. Dans le doute, lorsqu'elle est sceptique, elle préfèrera toujours prendre pour mieux jeter après plutôt que de laisser filer un met qu'elle pourrait regretter. Elle est comme une enfant qui convoite toute chose aperçue, la désirant plus fort encore en voyant un autre jouer avec, et qui se rend compte, une fois qu'elle l'a, que finalement, c'est beaucoup moins amusant que ça en avait l'air. Cependant, le moindre regard envieux d'autrui suffit à réveiller la flamme de sa jalousie, et elle veille sur son trésor comme un dragon paranoïaque, non pas car l'objet lui est d'une grande valeur, mais car l'objet est à elle. Il en va de même dans les relations, chacun apprend bien vite à reconnaître les regards terribles de la belle, ceux qui signifie “éloigne toi de lui, ne lui parle même pas, il est à moi”. Elle aime disposer des gens comme d'un animal de compagnie qu'elle pourrait placer sur ses genoux pour le caresser quand l'envie lui en prend, lui dispensant ou non son attention quand celui-ci le réclame, le laissant vagabonder mais pouvant le ramener à elle en tirant sur la laisse. Hybris avait ce besoin extrême de domination, et dès qu'elle s'intéressait à quelqu'un, elle n'arrivait pas à visualiser le lien autrement que comme un rapport de force, un abandon de l'un en faveur de l'autre, une possession. De là vient sans doute qu'aucun être ne puisse s'attacher bien longtemps à cette créature.

“...Colère.”

A l'échelle de Lan Rei Ouest, mettre Hybris Odd Gabriel en colère revenait presque à provoquer dieu en duel. Autant dire que rares sont ceux qui s'y risquent sciemment. Personne n'attaque un homme de pouvoir sans en craindre les conséquences. Tout le monde a quelque chose à perdre, quelque chose à cacher. Quelque chose qu'Hybris pourrait dévoiler, mettre à mal. En effet, tous les employés de la Firme ont vu leur vie passée au peigne fin, chaque détail retranscrit dans un dossier bien gardé, la plus petite faiblesse précieusement consignée, à portée, le plus maigre moyen de pression prêt à être exploité. Rien n'est trop beau pour s'assurer la loyauté de ses subordonnés. Oui, vraiment, en Lan Rei Ouest, Hybris ressemble à Dieu, omnisciente et lunatique, décidant de vie ou de mort, connaissant tous vos pêchés. Confesse-toi mon enfant. A la moindre erreur, la foudre vous tombe sur la tête et vous n'êtes plus rien. C'est une vérité doublement exacte dans le cas d'Hybris. D'un caractère emporté, la jeune femme peut entrer dans une rage folle pour un simple détail contrariant sa bonne humeur. Excessive, sa rage est démonstrative et a besoin d'exemples punitifs. Étrangement ces jours là, les gens se débrouillent pour ne pas la croiser, et ceux qui sont obligés de s'adresser à elle le font avec encore plus d'humilité et de crainte que d'ordinaire. Car elle n'hésite pas à passer ses nerfs sur un pauvre innocent pour la seule raison qu'il est le seul qu'elle a sous la main. Que dites vous, ce n'est pas juste? Mais c'est elle, la justice... Qui oserait la remettre en question?

Hybris souriait doucereusement, amusée par cette récitation des pêchés capitaux qui entrainait chez elle toutes ces pensées introspectives, presque flattée du portrait vicieux qu'y en ressortait. Bien sûr, il était réducteur de la considérer uniquement sous cet aspect vipérin, elle était tellement plus que cela. Mais ça avait tellement fière allure...

Puis des mots isolés frappèrent sa compréhension.

Cruelle. Pourquoi. Monstre. Superficielle. Cœur. Jouets.

Et doucement, intriguée par cette nouvelle rengaine à laquelle elle tentait de donner un sens, elle parvenait parfois à reconstituer des phrases. Puis l'ensemble sembla se clarifier, le chœur assourdissant et beuglant s'estompant pour laisser place au féroce soliste qui l'avait accueillie.

“Tu n'es qu'une hésitation! Tu n'arrives pas à choisir... Tu joues de ton allure de femme tout en te voulant homme. Et plutôt que d'avouer ton indécision, comme une faiblesse, tu les haïs tous, tu n'arrives à te sentir bien nul part, avec personne. Tu détestes l'image qui colle aux femmes, et tu les détestes car elles se laissent faire, quelque part elles entachent ce que tu es, elles te font honte car elles ne savent pas être à ta hauteur, mais pourtant, tu exacerbe ta féminité jusqu'à en faire parfois même ton cheval de bataille, crois-tu pouvoir te faire une épée avec des idéaux que tu n'as pas? Et tu détestes les hommes, car ce sont eux qui donnent cette image des femmes, alors qu'ils sont aussi misérables qu'elles, l'orgueil en plus. Tu maudis leur suffisance et te fais un plaisir de les remettre à leur place, toi qui est capable de leur tenir tête, toi, aussi forte qu'eux, sinon plus. Tu crois ainsi pouvoir refuser du revers de la main que toi aussi, tu es faible, car certains t'attirent... Tu n'as besoin de personne, tu veux y croire, alors, tu insultes le monde pour lui faire comprendre qu'il est de trop. Au final, c'est bien tout ce qu'il te reste, ce dégoût du genre humain. Dégoût de ceux que tu juges inférieurs, tu te caches derrière ce mépris... C'est tellement plus simple de se croire à part... Mais au fond, tu crèves d'envie d'être comme eux, car tu sens que tu es creuse, rien qu'un vide, un manque mais tu ne sais pas de quoi, et tu cherches sans jamais rien trouver, tu dévores et dévastes le monde car tu te sais incomplète, et tu ne fais que les détester un peu plus, eux les normaux, eux, ce qui t'ont créée, ceux qui ont oublié de placer une pièce essentielle en toi. Petite poupée sans but à qui on a donné une âme.”

Hybris avait vite perdu son sourire. Personne ne devait jamais dépasser les apparences. Car il n'y avait rien à trouver en dessous, pas de coeur qui bat, juste un chose faiblarde et sans forme, sans envie, sans mort. Pas de Rêve. De crainte d'être une créature neutre, sans caractère, sans personnalité, sans vie propre, simple reflet du créateur, outil prolongeant sa main, Hybris était tombée dans l'excès et l'exagération, elle s'était inventée, chaque trait et aspect de sa personne avait été choisi avec soin par elle-même. Tellement bien qu'elle s'était persuadée que si elle cessait ne serait-ce qu'une seconde de jouer son rôle, il n'y aurait plus rien, juste une silhouette à modeler, flexible. Elle cherche à se persuader qu'elle n'est pas une machine, une invention, elle veut se croire plus humaine que les humains, une quintessence, comme les fleurs que la main de l'homme croise pour créer des merveilles que la nature ne pouvait engendrer seule. Chacun de ses actes est un choix qu'elle fait pour donner le change, se construire un peu plus, s'enfermer dans son personnage, car en réalité il n'y a nul caractère, nul pulsion à subir, du moins c'est ce qu'elle pense. Une feuille vierge qu'elle a choisit de raturer pour éviter que quiconque vienne y écrire quoi que ce soit.
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Isilwen Loendë
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MessageSujet: Re: Ni d'Eve ni d'Adam   Ni d'Eve ni d'Adam EmptySam 14 Nov 2009, 14:36

Ni d'Eve ni d'Adam Lvres2db7

Nous aimons les oppresser, les piétiner, les faire se recroqueviller contre la paroi dans un réflexe enfantin.
Mais celle-ci a la bravoure du lion orgueilleux cerné par le feu.
Elle se bat jusqu’au bout, totalement impuissante, mais fière et enragée, insoumise.
Au début nous sommes surprises par cette maîtrise de soi que notre victime semble avoir.
Nous reconnaissons là la marque de ceux qui se croient forts, les puissants de ce monde où nous n’avons pas de place.
Nous n’aimons pas les orgueilleux qui tiennent tête, nous préférons les soumis aux oreilles tendues à l’écoute de leurs fautes, terrorisés.
Celle-ci aura aimé partager ses fautes avec nous, comme si cela l'amusait.
Mais nous avons fini par la calmer, la tigresse. Elle nous a provoqué, sure de gagner encore cette bataille, mais l’adversaire du jour était trop fort.
Petite impératrice déchue, étrangère dans le royaume des ombres, qui se sera battu en vain pour finalement se soumettre, perdant son sourire en se sentant percée à jour.
Car ça y est, nous savons. Nous avons révélé la pierre froide qui compose son être tourmenté. Elle s’est vue mise à nue et n’a rien pu faire.
Nous savons tout a présent de ce concentré de glace empoisonnée et de haine.

Ah, nous aurions aimé la garder encore, mais le choix ne nous est pas proposé.
Alors dans un petit ricanement, nous retournons dans nos limbes, en attente du prochain.
Auparavant nous laissons tomber la Clé sur le sol de la pièce…qui est soudain envahi de lumière, révélant le Passage…


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MessageSujet: Re: Ni d'Eve ni d'Adam   Ni d'Eve ni d'Adam EmptyMar 23 Fév 2010, 23:46

Hybris pouvait sentir tout son agacement se condenser dans ses mâchoires. Pour une rare fois, elle se sentait dépourvue de toute sa prestance, mise à nu d'une manière gênante, comme si quelqu'un avait plongé sa main au milieu de ses viscères pour les explorer dans le détail, venant ensuite les exposer sous ses yeux en un tableau peu glorieux. Si elle entrouvrait les lèvres une fois de plus, toute cette colère, cette humiliation, cette impatience se propagerait dans chaque centimètre de son corps en une rafale dévastatrice, la transformant en véritable arme de destruction massive. Personne ne voulait en arriver là, n'est-ce pas? Que ces voix soient réelles ou non, un mot de plus de leur part et la fin du monde serait pour demain. Le silence retombait comme un voile de poussière après une bataille, désagréable, figeant les ténèbres dans un ennui menaçant, immortalisant cet instant de trouble, linceul de cendres froides. La jeune femme inspira une bouffée d'air avec méfiance, s'attendant presque à étouffer. Mais les voix ne semblaient pas décidées à revenir, elles semblaient belle et bien en avoir terminé avec leur besogne. Ce qui était indéniablement une bonne nouvelle.
La scientiste fit lentement rouler ses doigts sur ses hanches, les étirant tour à tour, comme pour s'assurer qu'aucune perte de contrôle n'était envisageable. Rassérénée, elle libéra sa respiration avant de s'accroupir au dessus de la trappe béante et blanche qui l'attendait sagement à ses pieds. La lumière était inattendue, comme si après cette espèce de traversée du désert, elle en était venue à douter de l'existence du soleil, en avait oublié la couleur, cette chaude influence, brûleur discrète sur la rétine. S'attendant encore à une mauvaise surprise, la demoiselle coula un long regard par l'ouverture avant d'y risquer la moindre parcelle de son précieux corps. Il n'y avait rien d'autre que ce blanc qui se voulait apaisant mais qui ne parvenait qu'à lui rappeler la neutralité impersonnel et désinfectée des laboratoires, produisant le même léger malaise qu'une odeur d'ammoniac. Pas de scalpel cependant, pas plus que d'éprouvette ou de seringue. Avec un petit soupir, elle se décida enfin à passer l'étrange ouverture avec résignation.

Dès que ses pieds nus heurtèrent le sol, une caresse fuyante enroba ses chevilles. S'attendant presque à voir des mains décharnées s'agripper à elle pour l'entrainer dans quelque coin obscur, Hybris se raidit. Mais il n'y avait rien d'autre qu'une eau translucide, vaporeuse. Hybris se fit la réflexion que ce voile d'eau argenté, mouvant avec une lenteur presque hypnotique sur un lit de galet, ferait un excellent miroir. Elle d'ordinaire ravie à la simple idée d'un rencard avec son fabuleux reflet, commençait à ne plus trouver l'idée aussi charmante. Après tout, on s'écœure même des meilleurs choses. Elle fronça ses sourcils charbonneux. Tout cela tentait si bien d'être apaisant, avec cette sobrieté caractéristique des jardins zen, que ça en devenait, paradoxalement, monstrueusement anxiogène. La jeune femme reconnaissait trop bien dans cette pièce l'application exacte d'une méthode que les scientistes eux-mêmes mettent en place pour certaines expériences. Car il faut parfois faire preuve de doigté, de subtilité et de douceur. Être capable de détendre le cobaye, le mettre en confiance pour éviter de fausser les résultats. Créer un environnement propice au laisser-aller. La jeune femme attendait donc avec plus ou moins de patience que quelque chose de déplaisant lui tombe sur le coin de la figure. Ce qui ne tarda évidemment pas.
Flottant à la surface de l'eau comme une flaque d'essence, une image se formait avec paresse. Ce n'était d'abord que quelques remous qui semblaient dessiner par hasard des formes vaguement reconnaissables, mais rapidement tout cela se densifia, devenant d'une précision étonnante. Reconnaissant le lieu qui apparaissait sur l'onde, Hybris se mit à sourire, espérant que c'était peut-être une sorte de portail, la sortie de ce dédale de salles d'un goût douteux. Après tout, ça n'aurait pas été la chose la plus étrange qu'elle aurait vue ici. Testant sa théorie, elle plongea son bras dans l'image, qui se troubla un instant avant de se reformer et de se refermer, impeccable, autour de son poignet. Aussitôt, ce fut comme si elle y était. En un sens, c'était bien un portail, mais pas celui qu'elle avait espéré...

Si Hybris reconnut rapidement l'endroit, elle ne su identifier la scène qui défilait devant ses yeux. Les machines, les instruments de mesures et de tests, tout lui semblait incroyablement vieux, elle qui était habituée aux flashs bleus et rapides des ordinateurs surpuissants. Tout semblait très compliqué aussi, chaque machine étalant tout son attirail de boitiers, boutons et gros câbles noirs, comme une pieuvre obèse échouée là pour digérer, exposant ses entrailles et des guirlandes de boyaux électriques. Et surtout, tout lui paraissait ennuyeusement lent. La patience d'Hybris était pareille à sa vertu: inexistante. Ne trouvant rien d'intéressant à détailler plus avant ces boites de conserves, elle s'évertua à observer ceux qui tentaient, avec plus ou moins de réussite, de leur soutiraient autre chose qu'un grincement. Ils étaient cinq, tous des hommes, visages plus ou moins fermés, mais tous concentrés sur le moindre de leur geste, notant avec soin le moindre gargouillement d'une machine, le moindre changement de couleur d'un échantillon tourbillonnant dans ce qui devait être une antique centrifugeuse. Elle ne trouva dans la salle blanche aucun chercheur de sa connaissance, nouvelle preuve laissant entendre que cette scène avait eu lieu avant sa naissance.
Puis tout se figea, individus comme machines, leur vie comme suspendue. Les battants de la porte venaient de s'ouvrir sur un homme imposant et fier. Il était vêtu d'un costume élégant et visiblement sur-mesure, dont la noirceur renforçait la carrure de ses épaules, lui donnant une stature de titan. Contrastant près des boutons de manchettes luxueux, ses mains semblaient plus inquiétantes que des massues et tout aussi épaisses. Bien que d'une trentaine d'années tout juste, la puissance et les responsabilités l'avaient vieilli, ses courts cheveux bruns palissant déjà, affichant par endroit un gris sombre. Ses traits inspiraient le respect comme si une inexplicable férocité suait de tous ses pores. Son expression était inflexible et déterminée bien que vague en cet instant de flottement. Un bouc noir et impeccablement taillé encerclait une bouche mince et droite, lui donnant -à juste titre- un air impitoyable d'homme d'affaire. Ses yeux, dans l'ombre de ses sourcils, étaient d'un gris métallique. Personne ne désirait voir l'orage qu'ils suggéraient.
Quand un sourire emprunté étira ses lèvres, les hommes recommencèrent à respirer, les machines à ronronner dans leur sieste. Monsieur Odd Gabriel était de bonne humeur aujourd'hui.

En effet ce jour-là, dans l'un des rares laboratoires que possédait la Firme à cette époque, Owen Odd Gabriel était venu annoncer à cette équipe de chercheurs qu'ils pouvaient passer à la phase suivante. Il était venu en personne dans le laboratoire, ce qui prouvait bien qu'il s'agissait d'un moment décisif pour la science. On avait enfin réglé les derniers problèmes techniques et logistiques, le pourcentage de risque avait été réduit au minimum, les matériaux nécessaires étaient à disposition, dans des proportions plus que suffisantes, les meilleurs chirurgiens et scientifiques avaient été enrôlés, tout était prévu, calculé au millimètre, toutes les éventualités étaient couvertes. Le projet ne pouvait que réussir.

Bien qu'hypnotisée par la vision, Hybris grimaça, comprenant enfin de quoi il s'agissait. Assister à sa « conception », se voir réduite à une liste de « matières humaines améliorée s» -quelques centaines de grammes de cellules épidermiques, une armée d'os artificiels et renforcés- c'était indigeste. Évidemment, elle connaissait l'histoire par cœur, sa naissance -si on pouvait appeler cela ainsi- avait marqué une victoire et un tournant majeure pour la Firme. C'était une réussite incroyable que personne n'aurait cru possible, personne excepté son père. Enfin, son créateur, si l'on veut être exacte. Bien sûr, ils avaient déjà réalisé bon nombre de greffes incroyables, des croisements presque insoutenables, déclenché quelques mutations pernicieuses. Les Chimères, les Artificiels pullulaient dans les labos, mais ils étaient presque tous boiteux, inutiles, inspirant pitié et dégoût comme un chien à trois pattes. Au mieux, ils étaient les améliorations de quelques créatures déjà existantes. Mais un être totalement inédit, sans disproportion, naît du néant, engendré directement par la main des hommes, sans aucun intermédiaire...
Hybris savait le moindre détail, elle connaissait la procédure mieux que quiconque. Elle savait que le plus dur avait été de trouver le moyen de créer une créature capable d'évoluer, de grandir comme n'importe quel être humain, sans passer par une mère porteuse. Il fallait tout créer à partir de rien, et il fallait surtout que ce tout dépasse le stade de machine, qu'il soit indépendant, égalant la nature, autonome. Et c'est justement la nature qui avait apporté une réponse. Les chercheurs s'étaient inspirés des plantes pour la créer, de leur mode de développement et de croissance. Étrange hybride donc, une nouvelle variété de végétal qui aurait pris allure humaine, guidée par un désir minéral. Pas de sang mais de la sève dans les veines, pas de coeur pour battre, et surtout, aucun désir, aucune de ces faiblesses tellement humaines... Et pas de Rêve, surtout.
L'autre difficulté, celle qui avait peut-être créé le plus de questionnement et d'inquiétude, et qui n'avait trouvé une réponse que bien des années après, reposait sur un absolu de la condition humaine. Pouvait-on fabriquer de toute pièce une créature pourvu d'une âme? Comment pouvait-on édifier cette partie vaporeuse de l'homme? Quels étaient les ingrédients qui, une fois additionnés, seraient capable de reproduire ce chef-d'œuvre? Existaient-ils seulement?
Oui, elle connaissait l'histoire de sa création pour l'avoir vu écrite dans le détail, avec un plan en sept étapes, un index et une bibliographie à la fin. Elle en connaissait chaque partie avec une limpidité glauque, elle était habituée depuis longtemps aux détails mécaniques qui lui ont permis de voir le jour. Elle était capable de réciter tous les tâtonnements précédant sa création. Mais il y a une différence entre lire une procédure scientifique avec détachement, décrypter les termes chirurgicaux, et voir la réalité des choses, voir ce qui s'était passé avant sa naissance, voir à quel point elle avait été un concept, un travail pour des dizaines de chercheurs.

L'image se déforma, ses contours se tordant comme des volutes de fumée. Pendant un instant, elle cru que ce qu'elle voyait désormais n'était qu'un mouvement de l'eau. Mais cette espèce de tube se précisa, brillant dans les ténèbres. C'était comme s'il n'existait rien d'autre au monde. Alors qu'autour, il n'y avait rien que de l'ombre, ce cylindre de verre était comme éclairé de l'intérieur, par une lumière invisible et limpide, chaude et blanche comme un soleil d'été. Un liquide d'un bleu intense remplissait la cage de verre, parcourut de bulles paresseuses, qui semblaient peiner à s'élever dans cette substance. Au centre, une créature à peine formée flottait lentement, repliée sur elle-même, attendant son heure. Partant de son dos et prolongeant sa colonne vertébrale, d'épaisses racines la liaient au sol, s'enfonçant à travers le socle du cylindre. Ces yeux clos, le balancement imperceptible de ce corps tranquille, ces liens l'empêchant de dériver, la nourrissant... Un étrange sentiment d'apaisement se lova entre les poumons d'Hybris, allant engourdir la moindre parcelle de son être. Un instant, elle cru discerner une autre lueur, puis tout s'éteignit.
Une salle d'opération maintenant. A nouveau, tout semblait tellement vieux qu'Hybris se demandait bien comment ils avaient réussi à ne pas choper le tétanos dans de telles conditions. Sa conception dans un tel milieu semblait d'autant plus incroyable. La pièce était bondée d'hommes en combinaison, ce n'était plus que des paires de gants qui s'affairaient, jonglant avec tout un tas d'instruments qui lançaient des éclats d'argent, irradiés par les projecteurs suspendus au dessus de la table d'opération. Des bruits de suffocation montaient du centre de leur cercle. On ne voit pas la chose, et c'est sans doute mieux ainsi. Bien que ne se souvenant pas de cette scène, le traumatisme était resté fiché en elle, et cette vision suffisait à réveiller le volcan. Hybris revit ce sentiment, elle étouffe. Pourquoi l'avoir arrachée à sa douce torpeur, à son inconscience chérie? L'air brûle sa gorge, privée du liquide bleu, elle ne parvient pas à respirer. Elle ne flotte plus, toute la pesanteur du monde s'est abattue sur elle, la laissant comme un oiseau cloué au sol. Ses racines ont été tranchées, et elle pleure cette perte, absence qui, elle en est convaincue, la condamne à la mort. La créature a mal, la créature a peur. Elle veut vivre, retrouver son cocon, son sommeil, cette perfection sans douleur, sans effort, sans avenir. L'atmosphère du bloc était percée par les bips des instruments de mesures et les ordres d'un calme surréaliste que se lançaient les chirurgiens. Après des mois d'un lent développement, il fallait faire vite pour apporter les dernières modifications. Il n'y aurait pas de seconde chance, il fallait réussir ou tout reprendre de zéro.
Owen était là, supervisant, rectifiant et menant les médecins comme un chef d'orchestre.
La salle d'opération disparut, happée par la lumière croissante du néon.

Seul le visage étrangement souriant de l'auteur de ses jours restait face à elle, comme si en se penchant au dessus de l'eau, il avait pris la place de son reflet. Hybris l'observait avec attention, et pour la première fois depuis le début de son errance dans ces salles, elle oublia totalement d'être sur ses gardes, de s'inquiéter. Cet endroit commençait à la fasciner, il allait sans doute lui révéler certaines choses qu'elle ignorait, changer sa manière de voir sa vie.
Le visage de son père ne semblait pas décidé à partir, pas encore. Elle sourit, de ce sourire mesquin qui agaçait tant le vieil homme. Leur relation était si particulière, difficile de dire s'ils se détestaient ou s'adoraient. Une chose était certaine, ils étaient liés plus qu'aucun d'eux ne l'aurait voulu. Il voyait en elle sa plus grande réussite, une égérie de marque pour la Firme, le symbole de tout un empire. Elle était belle, forte, intelligente, faite pour diriger, faite pour prendre la relève quand le jour viendrait. Elle était l'enfant de sa solitude, l'illusion qui lui faisait croire que derrière le dirigeant se trouvait toujours un homme. Il ne lui refusait rien, il finissait toujours par lui céder de peur qu'elle lui échappe. Et après tout, il avait déjà tellement sacrifié pour elle, il avait pris tant de risques... Un trésor, son trésor. Elle était sa plus grande faiblesse, la plaie sur laquelle on gratte pour la revoir saigner. Elle était son meilleur général, elle était l'as dans sa manche, sa plus grande alliée parmi les vautours à sa botte. Une véritable arme visant la perfection. Sa plus grande rivale également, partenaire de jeu et adversaire. Il savait avec un amusement et une tristesse mêlés qu'en une seconde, un combat à mort pouvait s'engager. Mais pouvait-il espérer plus belle fin?
Il était le seul homme à respecter, une valeur sûre, son modèle, un dirigeant éminent, un homme de science et le plus efficace des manipulateurs. Parti de rien il avait su convaincre et vaincre, atteindre ses objectifs. Il était son père, d'une manière bizarre et dérangeante, mais c'était ce qui se rapprochait le plus d'une famille, d'une personne à aimer. Il était dieu bien avant elle, intouchable, vénéré, capable de créer la vie, sa vie. Il était décevant, vieux et fatigué, usé, incapable de poursuivre son œuvre au même rythme que dans sa jeunesse. Elle lui devait tout, sa grandeur et sa misère. Il avait fait d'elle un hommage à une autre femme, presque une réplique. Il avait oublié de lui donner un coeur mais lui avait donné tant d'autres biens. Et il lui en avait arraché certains.

Hybris soupira, irritée de se sentir si sentimentale soudain. Son souffle rida un peu plus le visage de son père. Il disparut enfin, laissant apparaître deux nourrissons braillant à tout rompre. Même taille, même chevelure blonde sur le crane, ils étaient quasiment identiques. Personne ne saura jamais comment Owen Odd Gabriel osa une telle folie. Non content de créer de toute pièce une créature, il avait décidé d'en créer deux, malgré les conseils prudents des médecins. On ne pouvait pas dire qu'il était du genre minimaliste.
Les voilà donc, Hybris et Adam dans les bras de Papa Owen, une vraie petite famille. On aurait presque pu entendre l'infirmière lui proposer de couper le cordon, s'il y en avait eu un. La liesse s'emparait de tous, c'était une victoire que l'on n'attendait pas. Les scientistes, malgré la fatigue accumulée au cours des douzaines d'heure que dura l'opération, se donnaient des tapes dans le dos, se félicitant, prenant à peine conscience de toutes les possibilités qui s'ouvraient devant eux. Les yeux de tous restaient fixés sur ces deux petites merveilles, espérant qu'elles seraient viables, avec le temps. On ne savait pas trop comment réagir, se comporter comme après une heureuse naissance ou un travail bien mené? Voir deux bébés ou le fruit de longues années de recherche? Chacun cherchait le bon ton à adopter, sans jamais y parvenir. Les jumeaux étaient déjà si difficiles à cerner...

Les faces hurlantes des nouveaux-nés s'évaporèrent à leur tour, laissant défiler de longs bâtiments gris. C'est après ce miracle scientifique que l'organisation avait pris une ampleur exponentielle, se payant le luxe de s'acheter la moitié de Lan Rei, un véritable état autonome, rasant tout, expulsant tout le monde, pour y établir un vaste terrain de recherche. Et un vaste terrain de jeux pour les deux bambins. Pendant leurs premières semaines, leurs premiers mois, ils étaient restés, endormis, dans une pouponnière qui ressemblait à s'y méprendre à une serre. La lumière entrait à flots et ils semblaient gazouiller à son contact, baignés de lueurs jaunes et vertes. Les années passant, ils avaient grandi, en apparence si semblables à n'importe quel enfant humain, bien que leur croissance ne semblait pas suivre le même rythme, tantôt plus lente, tantôt plus rapide. Chaque instant de leur vie était analysé, surveillé, on guettait toutes leurs réactions. Après tout, c'étaient deux créatures totalement inédites, dont on ne savait rien. On se rendit vite compte que malgré leur allure humaine, la lumière leur restait indispensable. Privés de ce besoin pendant plusieurs jours, ils commençaient à dépérir, se renfermant sur eux même, faiblissant. Leur instinct les poussait toujours à chercher l'astre solaire. Il apparut bien vite que cette dépendance pouvait devenir une faiblesse. Les chercheurs planchèrent sur une solution, on tenta des injections pour les détacher de ce besoin, mais rien n'y fit, on ne put que rallonger leur tolérance au manque de lumière et créer des substituts, du soleil liquide en pilule ou dans une seringue en somme. Dès qu'ils furent en âge de comprendre, on leur appris à toujours avoir sur eux des gelules ou des injections.
Très tôt, bien plus tôt que chez les bébés humains, ils se mirent à parler, prouvant qu'ils n'étaient pas de simples animaux humanoïdes ou des pantins sans âme. L'apprentissage commença quelques temps après.

L'eau devint noir, comme si on y injectait de l'encre, elle s'opacifiait avec lenteur, tellement bien qu'Hybris cru que plus rien n'apparaitrait. Dépitée, elle commençait à se relever, traînant avec elle des bouts d'une enfance dont elle ne se souvenait pas. Voilà que l'on avait réveillé le monstre qui dormait entre ses côtes, cette bouche affamée dans son ventre. Elle voulait voir la suite, elle voulait retrouver son visage, juste quelques secondes... Mais le noir restait noir, s'assombrissant d'instant en instant, comme sa chevelure d'enfant l'avait fait sans que personne ne sache pourquoi, comme pour lui rappeler cette vieille comptine effrayante. Elle ne savait plus qui leur la chantait. Quelqu'un qu'elle n'avait pas du aimer beaucoup.

« J'ai rêvé d'un pays noir où tout était noir, Noir non seulement au dehors ;
Noir, noir jusqu'à l'os, jusqu'à la moelle.
Noir le ciel et noire la mer, Noirs les arbres et noire la maison, Noir l'animal, noir l'homme,
Noire la joie, noir le deuil et noir, noir, noir le monde.
Tu peux creuser et fendre sans cesse la matière, paresseuse et dense
Ta pioche ne cogne, ton foret ne s'enfonce
Que dans la terre noire, la montagne noire,
Et quelque profond que tu plonges son ruisseau d'encre,
Il se déverse et se répand, encore plus noir.

Noire l'étoffe et noir l'esprit, Noir le visage et noir le soucis,
Noire la veine et noir le sang et, Noire la moelle et noir l'os.
D'une autre couleur est le vernis fugace de la lumière solaire,
Le soleil est le peintre des couleurs ;
Noire est la vase interne de la terre
Ce n'est pas la lumière qui peint le noir de son fin pinceau rayonnant.
Non : Noire est l'âme cachée de la matière.
Oh !
Noire, noire... noire...»


Troublée de se souvenir si parfaitement des mots décousus et répétitifs de cette chanson, Hybris se détourna. Cela avait-il un sens?
Noir, c'était leur monde des rêves, à eux, chimères dépourvues de songes. Ils n'avaient trouvé que ce mot pour désigner ce pays onirique qu'ils ne verraient jamais, cette terre nocturne sur laquelle ils ne poseraient pas le pied. Si on était parvenu à leur donner une âme, personne n'avait réussi à saisir cette essence là, à comprendre la mécanique du Rêve. Ils ne connaissaient Aïklando que d'après ce qu'en racontaient les gens, ils vivaient le Rêve par procuration, une fois par an, quémandant les récits détaillés, les descriptions interminables. Aucun des deux enfants n'arrivaient à comprendre pourquoi les rêveurs semblaient si émus, souvent au bord des larmes, nostalgiques, rageurs parfois, en tout cas toujours plongés dans un état extrême de sensibilité. Adam n'aimait pas cette période qui leur rappelait qu'ils étaient différents, mais Hybris, elle, était dévastée par la curiosité et l'envie lancinante de résoudre ce mystère, de trouver une solution pour enfin voir cette île du Rêve. Mais leurs rêves étaient condamnés aux ténèbres.

Baissant les yeux vers les étranges apparitions, elle constata que les ombres se disloquaient, entourant comme une brume une nouvelle scène. De crainte que l'image s'en aille, elle tomba à genoux, son visage penché à quelques centimètres de la surface. C'était leur chambre d'enfants au sommet de la tour, immense et trouée de fenêtres, couverte de cette voute en vitrail qui donnait cette atmosphère si douce à la pièce. Il n'y faisait jamais tout à fait sombre...
Bien qu'ayant chacun leur cocon, les jumeaux s'étaient ligués pour obtenir cette chambre commune dans laquelle ils passaient tous leur temps. Et leur père n'était qu'un pantin entre leurs petites mains, cédant avec amusement à leurs caprices. Dès leur plus jeune âge ils s'étaient montrés inséparables, et ce lien n'avait fait que s'épaissir avec le temps. Ils devaient avoir huit ans ici. D'Adam, on ne voyait que la chevelure emmêlée, qui était étrangement restée blonde chez lui, le front et les grands yeux clairs, le reste bien caché sous les couvertures. Hybris était assise au bout de son lit, se tenant déjà droite. Comme si souvent, son frère était malade, coincé dans son lit par ordre du médecin. Et comme il n'était pas envisageable que sa sœur ne soit pas dans la même pièce que lui, elle restait à lui tenir compagnie. Elle veillait sur lui, prenant son rôle très à cœur. Elle s'approcha, s'allongeant sur la couverture au côté de son frère. Et c'était elle, les yeux fixant le dôme de lumière, qui chantait la chanson noire tandis qu'Adam s'était tourné sur le côté, l'observant tout en fourrageant dans sa crinière charbonneuse qui le fascinait, y égarant des tresses maladroites. Contrairement à elle, il adorait cette mélodie et ces paroles. Il adorait entendre sa sœur la lui chantait.
Bien que du même âge, Adam semblait un peu plus jeune, un peu plus fragile. L'opération de leur naissance avait failli tourner court pour lui, à peine extrait du liquide bleu, son état était devenu critique. Ses premières semaines avaient été pénibles, et les médecins n'avaient pas caché leur inquiétude de le perdre. Mais il avait survécu, cahotant d'une maladie à une autre. Encore plus qu'elle, il dépendait du soleil. Consciente de sa vulnérabilité, Hybris prenait soin de lui, ne le quittant pas des yeux une seule seconde. La relation était dès lors tombée dans un léger déséquilibre, la petite fille menant le tandem, prenant de fait plus d'assurance, tandis que son frère profitait de sa position de suiveur, se reposant sur elle avec confiance. Ils avaient appris à fonctionner ainsi, chacun avait trouvé sa place. Ils avaient besoin l'un de l'autre.

D'autres images se succédèrent, ne s'attardant qu'un bref instant, une poignée de secondes. A voir ces flashs, il était évident que les deux enfants étaient le centre du monde. Ils étaient devenus le noyau de la Firme, un cœur turbulent et imprévisible. Ce n'était pas le tout de les créer, il fallait maintenant les éduquer, développer le potentiel incroyable qu'ils avaient en eux, trouver leurs forces pour les exploiter, découvrir leurs faiblesses pour leur trouver des parades. Une armada de professeurs s'y employa. Et pendant de nombreuses années, ce fut d'une facilité déconcertante. En effet, lors de leur âge tendre, les jumeaux étaient terriblement manipulables, dociles. Ils semblaient imperturbables, sans volonté propre. Ils ingurgitaient la moindre information, sans jamais en douter, ils obéissaient sans réticence. Les connaissances semblaient se graver en eux. De vrais petits anges, un peu informels mais tellement pratiques. Tous voyaient là une aubaine, le moyen de les façonner dans une ligne parfaite. Certains appelaient même cela la « programmation ». Mais il fallait être d'une précision et d'une efficacité irréprochable, car la moindre erreur s'inscrirait dans les chairs comme une trainée d'acide, laissant sa marque, indéfectible.
Défilent des visages, des figures, des nounous dont Hybris ne se souvient pas, des scientistes les observant encore et encore, êtres sans nom semblant tous porter la même blouse blanche. De manière régulière, comme un refrain discret, le visage du Père apparait, chaque fois un peu plus ridé, chaque fois plus attaché à ses enfants. S'il avait voulu d'abord établir une certaine distance avec eux -certes, ils étaient nés de son esprit, mais pas de sa chair- très vite il n'avait su se défendre d'un certain sens paternel, il n'avait pu se comporter avec eux comme avec les autres créations. Ils répondaient tellement au moindre de ses désirs, de ses attentes... Ainsi, la Firme devenait une étrange entreprise familiale. Le compromis était parfois délicat, avouons qu'entre fils du patron et enfants-cobayes, il y a de la marge...

Et puis il y eu cet autre visage, qui resta figé sur les ondulations de l'eau comme une provocation. Bien que faisant parti du défilé de tous ces gens censés s'occuper d'eux, elle ne l'avait pas oublié. C'était lui, la trainée d'acide dans leur chair. Le souvenir était d'une clarté pareille à son regard d'un bleu malin et perspicace. Louis, le psychologue qui avait suivi les enfants à partir de leur huit ans et jusqu'à leur adolescence. Sa jeunesse ne semblait pas coller avec sa fonction et surtout avec la bienveillance que lui accordait Odd Gabriel senior en lui confiant ses enfants. Il avait l'air d'avoir tout juste vingt ans, comme sortant à peine de ses études. De même, son visage était celui d'un jeune homme insouciant et distrait, dépourvu du sérieux taciturne auquel on pourrait s'attendre. Il s'évertuait à toujours bien peigner ses cheveux châtains, mais malgré toute sa bonne volonté, quelques mèches s'amusaient à le narguer. Et lorsqu'il riait -et cela arrivait souvent- le coin de ses yeux se prolongeait de rides délicieuses. Les jumeaux l'adoraient, trouvant en lui une sorte de grand frère raffiné et excentrique. Les séances ressemblaient à des jeux que seuls eux connaissaient. En grandissant, les deux chimères devenaient de plus en plus caractérielles, difficiles à gérer, insupportables. Ayant accumulé tout ce qu'on avait bien voulu leur apprendre, à douze ans ils étaient déjà bien plus intelligents que la majorité de leurs précepteurs, qu'ils prenaient un malin plaisir à faire tourner en bourrique. Formant une seule et même tempête, ils rejetaient chaque personne essayant de s'immiscer dans leur duo. Ils se suffisaient à eux-même, entité indivisible et exclusive. Et pourtant, Louis avait réussi à rester dans leurs bonnes grâces. Les poufs confortables et colorés de son bureau jouaient-ils en sa faveur? Hybris contemplait le reflet aqueux, redécouvrant avec délice l'empire de ce cher Louis, retrouvant à sa place chaque tableau, chaque breloque et l'absolu foutoir de son bureau. Bureau derrière lequel il ne restait d'ailleurs jamais bien longtemps. La décoration n'était ni austère ni enfantine, un juste milieu rassurant mais élégant, respirant la vie et le mouvement. Lorsqu'il faisait bon, la porte-fenêtre était toujours ouverte sur une petite cour pavée.

C'est d'ailleurs lui qui avait découvert les fascinantes capacités des jumeaux. Hybris était bien incapable de se souvenir des circonstances exactes de cette trouvaille et malheureusement, ce moment de son passé ne daigna pas apparaître sur l'onde. En réalité, il n'avait pas saisi la portée et l'exactitude de leurs talents, mais il s'était rendu compte de l'incroyable force de leurs esprits, d'une étrange sorte de manipulation. Ils étaient comme les tournesols, se tournant inexorablement vers ce qu'ils désirent ardemment, ne le quittant pas des yeux. Il avait dès lors incité les chercheurs qui suivaient et étudiaient les enfants à creuser de ce côté. Il y avait eu des tests, des scanners, des examens et finalement, on avait pu définir leurs dons. Tout le monde restait ébahi devant cette puissance insoupçonnée et muette, personne ne comprenait, ne savait d'où venait ces facultés, mais tout le monde s'en ravissait, ces pouvoirs rendant les jumeaux d'autant plus précieux, inestimables. Ainsi, la magie et la science étaient réunies, pour une raison inconnue. De simples trophées, preuves des progrès de la Firme, ils étaient devenu de véritables armes en devenir.

L'entrainement commença alors, difficile. En effet, connaissant mal leurs dons et leurs origines, aucun professeur ne pouvait leur enseigner réellement à se servir et à accroitre leurs capacités, on ne pouvait que les guider, tâtonner, essayer une méthode puis une autre, chercher à comprendre le fonctionnement de leurs cerveaux. Mais petit à petit, les deux chimères se familiarisaient avec cette partie d'eux-mêmes. Redoublant d'audace, la moindre occasion leur servait de prétexte pour déballer leurs dons. Comme dans tous les domaines, ils allaient de paire et possédaient le même talent. Ils pouvaient à loisir « injecter » des images, des pensées, des sensations et même du vide dans l'esprit des personnes alentours, sans pour autant connaître le contenu de leurs crânes. Le plus intéressant était qu'en maniant cette capacité avec tact, leurs intrusions pouvaient passer totalement inaperçues, la victime ayant l'impression que cette pensée venait d'elle seule. Influencer les gens devenait d'une facilité presque exaspérante, et les scientistes et militaris devenaient paranoïaques dès que les jumeaux étaient dans la même pièce qu'eux, ne pouvant s'empêcher de douter de leurs propres idées. Pendant des années, ils abusèrent de ce pouvoir, s'en servant de toutes les manières possibles pour déstabiliser leurs interlocuteurs, insufflant un vide totale sous le crane de leurs professeurs, les laissant totalement hagards en plein milieu de leur phrase, implantant des images licencieuses dans les pensées des militaris, qui devenaient irrémédiablement rouges et baffouillants. Ils avaient même fait de leur don leur moyen de communication privilégié, s'échangeant des pensées, des images sans avoir besoin de le formuler avec des mots, jamais assez exactes. Leur connexion s'intensifia encore. Mais ils finirent par se lasser de ces jeux, et les sermons répétés achevèrent d'enfoncer le clou: mieux valait garder ce don secret, ne s'en servant que lorsque c'était nécessaire. Il avait plus d'impact en étant inconnu d'autrui.

Adam et Hybris continuèrent tout de même à se servir de ce pouvoir entre eux, discussion à voix basse, assemblage de messe-basse. Ils avaient pris l'habitude de commenter ainsi ce qu'ils voyaient, et cette connivence renforçait l'impression qu'ils n'avaient pas besoin de se parler pour se comprendre. D'instinct, ils savaient toujours lorsque c'était l'autre qui s'immisçait dans leur esprit. Hybris déployait souvent des histoires toutes en images lorsqu'elle veillait son frère souffrant, de véritables fresques imaginaires. C'était devenu une sorte de rite qui les connectait encore un peu plus, comme s'ils n'avaient formé qu'un seul esprit.
Louis semblait être le seul à comprendre la vigueur du lien les unissant. Plus il passait du temps avec les deux enfants, plus il renforçait ses certitudes: il ne fallait pas les considérer comme frère et sœur. Après tout, ils avaient été conçus en même temps, suivant le même processus, et la ressemblance physique était frappante, mais ce n'était que par lubie de leurs créateurs, ils auraient pu être aussi contraires qu'ils étaient semblables, si seulement il en avait été décidé ainsi. Ils n'étaient pas l'engeance d'un couple, ils n'étaient pas extraits de la même chair. Dans le monde fabuleux de Louis, Hybris se serait appelée Eve. A ses yeux, leur dépendance l'un à l'autre était d'une toute autre nature que ce qu'Owen voulait bien voir. Quelle difficulté de trouver son âme-sœur parmi des millions de possibilités... Comment trouver avec certitude l'être unique, parmi des milliers d'individus de la même race? Mais eux, ils avaient la chance de s'être trouvés dès les premiers instants de leur vie. Ils étaient indubitablement liés, uniques représentants de leur espèce, la seule combinaison possible, attirés l'un par l'autre par une force magnétique. Un couple parfait, chacun connaissant tout de l'autre, s'aimant plus que quiconque n'en serait jamais capable. Roméo et Juliette, non pas issus de deux familles ennemies, mais d'une seule, séparés par l'ombre d'un inceste factice, inventé de toute pièce.[Quel romantique ce Louis...] Mais annoncer ses théories à M.Odd Gabriel revenait à lui dire qu'il avait eu tort. Et personne ne dit à M.Odd Gabriel qu'il a eu tort.

Hybris aurait voulu détacher son regard des images, elle n'avait pas besoin de voir pour se souvenir de cette période turbulente et insouciante. Mais elle était obsédée par les scènes s'écoulant paresseusement, elle renouait avec les visages oubliés, elle se délectait des traits parfaits de son frère répondant aux siens. L'adolescence leur avait épargné ses ingratitudes. Elle redécouvrait ce visage avec ses yeux de l'époque, pleins d'adoration. Louis avait fini par leur transfuser, sans qu'ils s'en doutent, ses convictions, il avait éveiller en eux des désirs auxquels ils n'avaient jamais songé. Chaque jeu, chaque séance était le moyen de leur inculquer un amour tout autre, bien loin de la bienveillance fraternelle. Et lorsque ses certitudes devinrent complètement les leurs, il garda leur secret comme une poule couvant un œuf d'autruche. Il avait cette fierté explosive, muselée de secret. Il se gargarisait. Même encore aujourd'hui, Hybris était incapable de savoir si leur romance serait nait seule, sans les soins agiles du psychologue. Tout lui avait semblait si naturel à l'époque, comme une évidence, mais aujourd'hui, elle ne pouvait s'empêcher de voir la marque feutrée de l'analyste, d'apercevoir ses regards satisfaits, ses jeux propices, ses sourires attendris, ses encouragements tout en subtilités et inquiétudes. Après tout, on avait insufflé tant d'idées dans leurs crânes, pourquoi pas celle-ci? Et encore aujourd'hui, Hybris était incapable de dire où était l'erreur, était-ce Owen qui n'avait pas envisagé les deux chimères sous le bon angle ou Louis qui aurait du empêcher cet amour naissant au lieu de l'insuffler?

Les psys sont là pour surveiller l'état mental des autres. Mais qui surveille le leur?

Les années passaient, les corps et les désirs changeant, le petit bureau cachant en son sein le flirt candide, qui l'était de moins en moins. Hybris croyait voir les soleils se lever et se coucher derrière les carreaux, ponctuant les jours. Elle voyait Louis les convaincre un peu plus à chaque minute que cette attirance était une bénédiction que le commun des mortels ne pouvait pas comprendre. Ils étaient si beaux tous les deux, pareils à des statuts antiques, un couple parfait pour un amour parfait.
Mais l'innocente idylle devenait passion dévorante, de plus en plus difficile à cacher, de plus en plus évidente.

Et ils avaient seize ans lorsque le monde s'écroula.

Sans jamais avoir à le formuler à haute voix, sans poser la moindre question, Owen avait déceler la liaison qui s'était nouée entre les deux adolescents sans que ces derniers ne s'en doutent. Et ça ne rentrait vraiment pas dans ses plans. Toutes les décisions furent prises avec une froide efficacité, espérant remédier au pire sous couvert de fausses excuses. Avant même qu'elle ne soit au courant, Adam avait été envoyé dans quelques coins de l'archipel pour recevoir une formation militaire et Louis avait tout bonnement disparu. Plus besoin de psy maintenant qu'ils étaient grands. Tout s'était fait dans l'instant, sans qu'ils puissent échanger le moindre mot, sans se voir une dernière fois. Ils étaient là, heureux, ne se doutant de rien, et simplement, le lendemain, il ne restait plus qu'elle. Bien sûr, Hybris n'avait pas cru une seule de des explications qu'on lui donna. Sur l'eau désormais, elle se voyait parcourir les couloirs et les salles de tous les bâtiments susceptibles de cacher son frère. La vision était irréelle, comme un cauchemar duquel elle ne s'était jamais tout à fait réveillée. Elle avait couru en silence, guettant une ombre, un souvenir de lui, un mot d'adieu. Elle avait arpenté des corridors informes sans réussir à retrouver la petite cour et sa porte-fenêtre. Son père avait-il pu en une simple nuit, abattre les cloisons et en reconstruire d'autres, différentes? En une nuit seulement, c'était comme si tout cela n'avait jamais existé. Elle tentait en vain d'imaginer tout ce que son père aurait pu inventer pour les éloigner. Jusqu'où était-il allé? Elle avait cherché le rire presque féminin de leur protecteur, ne trouvant que du silence et de l'absence. L'abandon était complet, frère, ami, amant, père, Hybris elle-même, tous jetés dans la tombe. C'est ce jour-là, pour la première fois, qu'elle se retrouva suspendue au dessus du grand vide sur lequel elle était bâtie. Sentiment honteux de n'être rien d'autre qu'un rapport aux autres. Et une fois les seules personnes aimées disparues, que reste-il? Elle qui s'était sentie si pleine jusqu'à présent, elle se rendait compte avec brutalité qu'elle n'avait jamais vécu en dehors de son frère, qu'il prenait toute la place, gonflant le moindre espace de son être, comblant son vide. Mais maintenant qu'il n'était plus là, elle se sentait envahie de courants d'air. C'est un vertige qui n'en finit pas...

Dans l'image, la porte claque. La voilà dans le bureau de dieu le père, réclamant une explication, autre chose que ses mensonges bon marché. C'est ici qu'elle le vit enfin comme elle le verrait toujours après cela: vieux et aigri. Fatigué. Et jaloux comme un dragon. Malgré son masque d'indifférence et de dureté, il semblait hésitant, doutant lui-même d'avoir fait les bons choix. Mais il avait fallut réagir vite pour espérer la sauver elle, ou risquer de les perdre tous les deux. Owen ne s'était jamais caché de sa préférence mais jusqu'à présent les marques étaient discrètes, les deux adolescents faisant mine de ne rien remarquer. Et pourtant, on venait de faire ce qu'ils croyaient impossible: les séparer. Avec dégoût, elle croyait sentir l'emprise d'Owen se refermer sur elle. Ainsi, à ses yeux, elle n'était que sa chose...
La discussion avait été fleurie, Hybris ne pouvant contenir sa colère, sa frustration. C'est tout ce qu'elle avait trouvé pour reboucher, remplacer le néant en son sein. Elle sentait bien que ce n'était pas exactement le bon ton, la bonne expression de ce qu'elle ressentait. Mais il n'y avait que la colère d'assez grande pour remplacer l'amour. Elle se donnait une contenance, jetant des planches au dessus du gouffre. C'est ce jour-là qu'est née l'Hybris d'aujourd'hui, implacable, tous ses excès cherchant à colmater la brèche, quitte à en déborder, la nausée lui collant à la peau.
Son père s'était tout d'abord borné à lui répéter la version officielle, ils étaient grands, il était temps qu'ils cessent de se conduire comme deux garnements turbulents, ils devaient s'endurcir, apprendre enfin la vraie vie, devenir utile à la société. Croyait-elle qu'il les avaient créés pour en faire deux adulescents pourris-gâtés, baignant dans la paresse, sans jamais rien faire de leur vie? Mais la jeune fille ne décolérait pas, tant et si bien que, las, il lâcha avec dédain la sentence.

« Il est hors de question que je laisse ma progéniture se perdre dans un délire incestueux. Vous vous égariez dans votre tendresse, je vous empêche de vous y enfoncer un peu plus.

- Et c'est toi qui parle de relation incestueuse, toi qui a donné à ta fille le visage d'une femme que tu as aimée? Tu espérais vraiment que je ne saurais rien, que je ne comprendrais pas pourquoi mes cheveux s'obscurcirent inexplicablement, pourquoi tu chérissais tant ma pâleur? A croire que je suis une poupée que tu coiffes et habilles!»


Owen s'était figé, le teint cireux. Comment pouvait-elle connaître cette histoire, il s'était si bien efforcé de cacher toute trace... La réplique avait fait mouche et sans un mot, il l'avait congédiée, devant même appeler quelques militaris pour la forcer à quitter le bureau malgré ses ruades.
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Hybris Odd Gabriel
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MessageSujet: Re: Ni d'Eve ni d'Adam   Ni d'Eve ni d'Adam EmptyMar 23 Fév 2010, 23:47

Repartant plusieurs années en arrière, l'image changea encore. On voyait la jeune Hybris, à treize ou quatorze ans, dans un de ses rares moments de solitude. Assise sur le sol de sa chambre (des lames d'ormonza, pareilles à des miroirs noirs), les jambes repliées sous ses fesses, elle contemplait une photo qu'elle tenait du bout des doigts. On aurait pu croire que c'était elle sur le cliché, elle avec une dizaine d'années en plus. Elle n'arrivait pas à détacher son regard de cette image. Même chevelure noire et lisse, même regard, même grain de peau. Certes elles n'étaient pas identiques, mais la ressemblance était indéniable. Et la chimère ne comprenait pas. Au dos, juste une ligne d'une écriture serrée et illisible -l'ecriture de son père-:

« Dakota Winslow, les Sombres Aubes 49 »

Le souvenir ne bougea pas, restant figé sur cette Hybris troublée. Pourtant ce jour-là, après être sortie de sa torpeur, elle était allée voir Louis. A qui d'autre poser des questions? A lui, elle pouvait confier son incompréhension, ses doutes et elle était certaine que s'il pouvait l'aider, il le ferait. Après avoir toqué à la porte du bureau coloré, elle était entrée, avait soigneusement refermé la porte derrière elle et sans plus attendre, encore debout contre le battant, elle avait interrogé le psychologue, l'air de rien tout d'abord.

« Louis, Dakota Winslow ça te dit quelque chose? Tu la connais peut-être? »

Il avait eu un léger sourire nostalgique, s'était approché de l'adolescente et l'avait invitée à s'assoir. Penché au dessus d'elle, il avait repoussé une mèche qui barrait son front d'un air paternel, caressant doucement sa joue puis, s'appuyant sur son bureau, il s'était lancé dans les explications.

« Non je ne l'ai pas connue, mais je sais qui elle est. Je me doutais bien qu'un jour tu découvrirais son existence... Tu as bien fait de venir me voir, tu sais qu'ici il est rarement bon de remuer le passé n'est-ce pas? Tu aurais pu t'attirer des ennuis en allant en parler à quelqu'un d'autre et...

- Louis, viens-en aux faits!

- Bien, bien... Dakota était une anthropologue et ethnologue brillante. Elle s'acharnait à vouloir connaître le moindre détail de toutes les races de cet archipel. On racontait que c'était la meilleure dans son domaine. Elle était curieuse et passionnée, intelligente et pour ne rien gâcher, elle était belle... Connaissant un peu ses recherches, ton père voulait l'engager. Un peu réticente d'abord -elle avait pris l'habitude de travailler seule, comme bon lui semblait, voyageant à sa guise, étudiant ce qu'elle voulait, bref en un mot, elle n'avait pas envie de subir la pression de quiconque- elle accepta néanmoins, après tout, c'était pour elle une occasion en or. Mais lorsqu'ils se rencontrèrent enfin, l'intérêt qu'ils avaient l'un pour l'autre cessa vite d'être simplement professionnel. Pour la première fois de sa vie, ton père se préoccupait d'autre chose que de sa Firme. Ah, tu imagines ce bon vieux Owen raide amoureux? Ahah... En tout cas, il n'osa rien tenter -incroyable non?- et les mois passèrent ainsi, tout le monde savait ce qui se tramait, ton père était d'une discrétion comment dire? Plus que douteuse. Dakota aussi était au courant, mais elle ne faisait rien pour conforter Owen dans ses sentiments ni pour le repousser. Face aux sous-entendus, elle se contentait d'un petit sourire. Tu as un peu le même d'ailleurs...

- Ce que tu peux être sentimental... »


Hybris s'évertuait à garder son flegme habituel, cachant son ahurissement et sa curiosité. C'est dans ce genre de moment que ses « entrainements » face au miroir étaient utiles. A sa remarque, Louis s'était contenté de sourire, habitué aux petites pics de la demoiselle impatiente. Il reprit comme si de rien n'était.

« Toujours est-il que je ne sais pas si Dakota avait des sentiments ou non pour lui. Personne ne le sait il me semble, mais chacun a son avis sur la question. Quoi qu'il en soit, elle faisait un travail formidable et ses études apportèrent un jour nouveau aux travaux de ton père, lui permettant une meilleure approche. Mais un jour elle est tombée malade. Cela faisait déjà quelques temps qu'elle n'allait pas bien et face aux insistances de ton père, elle accepta finalement de se faire ausculter par un de ses médecins. Il s'avéra qu'elle contractait une des maladies inconnues sur lesquelles des scientistes travaillaient. Impossible de savoir comment elle avait pu attraper cela puisque ne travaillant pas du tout sur ce genre de projet, elle n'aurait jamais dû être en contact avec ces virus. Bien qu'inconnue, on commençait à connaître les effets et conséquences de son mal, et l'issue ne laissait aucun espoir. Dès lors, beaucoup de choses changèrent. Owen se renfermait de plus en plus, furieux d'avoir tant de connaissances, d'avoir mené tant d'expériences et de ne rien pouvoir pour la sauver. Il se jeta dans le travail, je veux dire, encore plus que d'ordinaire. Il croyait qu'il pourrait peut-être battre la mort, je ne sais pas. Il devint exécrable avec les scientifiques chargés de travailler sur ce virus, leur faisant payer à la fois sa contamination et leur incapacité à trouver un remède. Autant te dire que des têtes tombèrent. Il doubla les effectifs affectés à cette recherche.
Dakota de son côté avait été complètement sonnée par l'annonce. Elle mit longtemps avant d'accepter sa maladie. Quand elle comprit enfin, de l'abattement le plus total elle passa sans transition à une gaieté qui sonnait faux. Tout dans son comportement était surjoué. Elle devint changeante, passant de la joie à l'hystérie en un battement de cil. La moindre contrariété entrainait de violentes crises de folie et de délire, la laissant ensuite dans une faiblesse telle qu'elle se voyait mourir cent fois. Elle commença à ne plus supporter les expériences que menaient la Firme. Elle qui avait fermé les yeux pendant tout ce temps, maintenant qu'elle était malade, ça la révulsait. Comme si elle n'avait plus le temps de se voiler la face. Elle et ton père se déchirèrent sur ce sujet à de nombreuses reprises. Elle voulait le convaincre de changer sa manière de faire, qu'il ne pouvait pas tout se permettre au nom de la science, qu'il n'avait pas le droit de disposer de tous ces cobayes pour jouer à l'apprenti-sorcier. Et lui, acharné, continuait encore et encore, bien qu'il tentait au mieux de la ménager, plus il la voyait changer, lui échapper, plus il s'enfonçait dans ses recherches, persuadé de pouvoir devenir Orphée pour la ramener des Enfers.
Sa respiration devenait difficile, ses os se fendillèrent, ne pouvant supporter la moindre contrainte, le moindre poids. Et puis un jour, elle ne fut simplement plus là. On ne sait pas ce qui est arrivé. Le plus plausible serait qu'elle soit partie pour ne plus participer aux études de la Firme. A l'époque, la sécurité n'était pas aussi élevée qu'aujourd'hui, il n'y avait pas tous ces Militaris, juste quelques hommes de mains, des gardes, qui se concentraient surtout autour des cobayes. Les frontières étaient plus libres, ce qui explique qu'elle ait pu partir comme on le suppose. Mais dans son état, on imagine mal comment elle aurait pu s'échapper seule. On suppose que quelqu'un l'a aidé. Toujours est-il qu'elle n'a pas laissé le moindre mot, elle n'a prévenu personne. Ton père était fou de rage. Il a engagé un chasseur de prime pour tenter de retrouver sa trace, mais ça n'a rien donné. Elle est sans doute morte peu de temps après, quelque part dans l'archipel, mais je n'en sais pas plus. On n'a jamais eu de nouvelle. Et on n'a jamais retrouvé de corps... Bah, l'Archipel est vaste de toute façon, c'était couru d'avance...
C'est après tout cela que ton père a voulu vous créer, je ne sais pas s'il y a de réel rapport, je n'étais pas ici à cette époque. Mais il était devenu plus dur que jamais et son nouveaux projet était la seule chose qui l'intéressait. On ne reparla plus jamais de Dakota Winslow. Mais toujours est-il que ta création... Il y a vu le moyen de la faire revenir vers lui, un peu. Il savait que ce ne serait qu'une duperie, un fac-similé, mais elle lui a servi de muse je crois, elle l'a inspiré, pour toi. Personne n'a jamais prononcé cette vérité devant lui, mais tout ceux qui ont connu Dakota sont d'accord sur ce point. Et de ce que je sais d'elle, tu lui ressembles, c'est certain...

- Allons, allons Louis, tu sais bien que je suis unique... »


Le ton était devenu taquin, la discussion se poursuivit ainsi, s'éloignant de la mystérieuse Dakota Winslow comme si de rien n'était, se transformant en petite joute verbale. Hybris était partie peu après.

Notre Chimère était étonnée de la perfection avec laquelle ce dialogue avait été retranscrit. Elle le fut tout autant lorsqu'elle vit l'image revenir au bureau de son père, le jour de la disparition d'Adam et Louis, comme si cet aparté sur Dakota n'avait été qu'une explication de texte, un memento (ou un résumé de l'épisode précédent xD). Même jour et même colère donc, juste quelques heures plus tard. Mêmes protagonistes aussi, même affrontement entre le père et la fille, mais un nouveau personnage était là, debout bien droit contre un mur, presque tapi dans l'ombre malgré sa carrure. Même si Hybris n'en avait visiblement rien à faire, Owen se borna à lui présenter cet homme. Adrian, chef de brigade parmi les militaris. Son nouveau mentor, pour les cinq années à venir. Car elle aussi devait suivre un entrainement militaire.

Les premiers temps furent difficiles car même si son entrainement devait se dérouler dans l'enceinte de Lan Rei Ouest, sans qu'elle ait totalement à renoncer à son confort et à ses habitudes, Hybris refusait de se plier à cette obligation, par esprit de contradiction, pour tenir tête à son père. Il était hors de question qu'elle fasse comme si de rien n'était, continuer à vivre comme si elle n'avait jamais eu de frère. Car c'était ce qui était entrain de se passer: chacun récitait le script que leur avait donné Owen, et le nom d'Adam en avait été méticuleusement effacé. Personne ne le mentionnait jamais, chaque trace de son passage avait été recouverte, annihilée. Pendant des mois, face à cette mascarade, sa colère, ses caprices heurtèrent tous les murs de Lan Rei Ouest. Elle provoquait les militaris, malmenait les chercheurs, qui ne savaient comment réagir face à la fille du chef, donnant des contres-ordres, menant à l'échec des expériences pour tenter de faire pression sur son père. Mais le chantage ne marcha pas. Pourtant, elle n'en démordait pas: s'il existait une seule manière pour qu'on lui ramène Adam, elle la trouverait. Elle aurait pu continuer longtemps ainsi mais on lui refusa l'accès des laboratoires, puis de toutes les zones où elle tentait de semer le chaos. Cloitrée dans la chambre-verrière, désespérément vide, elle menaça de disparaître, de partir tout comme Dakota l'avait fait avant elle. Chaque tentative de fugue fut dûment avortée par des militaris aux aguets, mais c'était une mise en garde... Un jour, elle y arriverait peut-être, malgré toute la vigilance de son père, et ce jour-là, il l'aurait perdue, définitivement. Un jour même, elle grimpa sur le rebord d'une fenêtre, au sommet de la tour Eon, promettant de sauter et de détruire l'enfant chéri s'il ne cédait pas. Elle n'y gagna qu'un enfermement encore plus restrictif. Mais elle prenait un malin plaisir à suggérer le pire, quand bien même ce n'était pas suffisant. Regarde papa, je vais faire naître ton pire cauchemar, te faire revivre cet affreux moment... Tu vas encore perdre l'être qui t'est le plus cher, tu es incapable de me garder au près de toi, tu m'as perdu tout comme elle... Tu finiras vieux et seul mais tu es trop borné pour t'en rendre compte.

Ainsi, quand elle se décida enfin à suivre cette formation, Adrian ne la supportait déjà pas et elle le lui rendait bien. Elle le trouvait obtus, macho, du genre buté qui pense que la force suffit à remporter une victoire. Il la trouvait capricieuse et snobe, trop précieuse et orgueilleuse pour être efficace, persuadée qu'elle n'était qu'un paquet de sentiments exacerbés et frivoles. Sans parler qu'elle n'avait pas les muscles pour cela. Pourtant, il ne pouvait nier qu'elle était douée, peut-être même bien plus qu'une grande partie de ses hommes. Certes, sa force physique, bien que très correcte pour une femme, était son point faible, mais elle n'avait aucun mal à compenser autrement. Ils apprirent donc à se connaître et à s'apprivoiser, même si l'aversion des débuts était trop bien ancrée pour disparaître.
Pour amadouer Hybris, on lui proposa de continuer de loger dans la Tour et non avec les autres soldats dans l'un des baraquements. Son rang valait bien ce privilège. Mais à quoi bon rester à Eon si elle ne pouvait passer d'une pièce à une autre sans escorte militaire? Autant aller avec les autres, peut-être pourrait-elle en tirer quelques nouvelles idées de vengeance ou de chantage. Elle s'installa donc dans le quartier U-32 , soldat parmi les soldats, pour la première fois de sa vie, indissociable de la masse. Malgré tout, elle ne pouvait réprimer ses humeurs ou ses regards hautains qui ne la rendaient guère appréciée de ses congénères, partagés entre aversion et respect craintif. Elle était donc seule avec son mépris et sa suffisance, qui, comme sa solitude, accrurent au fur et à mesure de ses succès. Cette ambiance pouvait être contradictoire, à la fois traitée comme tous, elle aurait pu apprendre l'humilité, mais c'était tout l'inverse, plongée parmi les autres, sa supériorité semblait lui sauter aux yeux avec encore plus de clarté. Jusqu'ici, on aurait pu croire que ses réussites, ses forces venaient de son statut, de ses privilèges. Mais ici, elle était au même rang que tous, sans avantage, sans traitement de faveur, et pourtant, elle brillait par ses triomphes, qu'elle devait à elle seule. Son orgueil et son assurance augmentaient si bien qu'elle se prit à aimer l'objet de ses victoires. Bien sûr, on ne change pas de nature si rapidement. Elle rechignait souvent, négociant les ordres, s'y refusant au gré de ses désirs mais il s'avéra qu'après quelques temps d'adaptation, elle n'eut guère de mal à suivre le rythme et même, elle aimait cela. Était-ce dû à sa facilité à apprendre, à absorber les connaissances et capacités? Toujours est-il que son apprentissage se déroula ainsi, sans trop de heurt. Puis après ce pur entrainement physique, après ce temps d'adaptation vint le moment d'apprendre les techniques de combats, d'infiltration, de meurtres. L'apprentissage venait toujours dans le même ordre, d'abord les méthodes qui vous tiennent le plus éloigné possible de votre cible, en relative sécurité, puis, plus on s'améliore, plus on se rapproche, pour enfin finir au corps à corps.

On commença donc par le tir de précision, à longue distance. De l'aveu même de son professeur, Hybris était un sniper-né. Pas de main qui tremble, de paume moite ou de doigt qui hésite. Elle était redoutable. Il fallait prendre le temps de bien viser sa cible, sans se presser, choisir l'endroit du corps où tirer -suivant l'effet voulu. On vous sert tout un baratin sur ce que ça fait lorsque l'on tue pour la première fois. Mais c'est beaucoup plus simple, beaucoup plus facile. Pas de grande émotion, juste un doigt qui enfonce la gâchette, une balle bien logée, proprement. Rien n'est plus évident. Hybris aimait cette méthode. La distance physique vous évite tous les tracas que les hommes s'inventent face à la mort. En tant que sniper, vous échappez aux supplications, aux remords. Vous échappez aussi aux projections de tout un tas de fluides plus ou moins ragoutants qui vous donnent l'impression d'être chez le poissonnier. Sans oublier que vous vous tenez à l'abri d'une éventuelle réplique, vous restez anonyme, évitant les vengeances. Vous vous résumez à une balle. Pas de gaspillage. Pas de situation délicate. Ce n'est pas du tir de masse, histoire de descendre un maximum de personnes, non, il s'agit de raffinement, trouver le meilleur gibier, chercher à abattre les chefs, les commandants, les hauts-dignitaires, de manière à déstabiliser toute la fourmilière sur laquelle ils trônent. Et puis un sniper peut frapper partout, abattre n'importe qui, sans prévenir. C'est tellement délicat comme attention, c'est une mort qui ne prévient pas, tellement plus sereine pour la victime qui a à peine le temps de se rendre compte de ce qui se passe. Pas de stress inutile. Hybris adorait ce costume de Dieu, fait sur mesure.

Comme une pause dans une course folle et sans fin, les images militaires se stoppèrent brusquement. Le bureau de son père apparut soudain sur l'eau, contrastant avec les uniformes et les ordres. Inchangés, le bureau comme le père. Il avait son masque des mauvais jours, le visage qui annonce les mauvaises nouvelles. Après tout le foin qu'il avait fait pour qu'elle aille dans ce camp d'entraînement, elle se demandait bien quelle raison pouvait le pousser à l'en déloger. Hybris se laissa tomber dans l'un des fauteuils, caressant l'accoudoir du bout des doigts, attendant la sentence. Elle était trop occupée à s'ennuyer pour écouter le moindre mot de la longue introduction qu'il avait semble-t-il longuement préparée et apprise par cœur. Mais dans ce brouhaha de mots creux, ceux qui avaient de l'importance, les mots les plus vrais de toute son existence se détachèrent avec une lourdeur presque palpable. Il lui semblait qu'elle aurait pu les agripper à pleines mains. Mais à vrai dire en cet instant, c'était eux qui l'avait saisie à bras le corps, la berçant cruellement.

« Ton frère est mort lors de la première vraie mission à laquelle il a participé. C'est son mentor qui vient de me l'annoncer. J'ai jugé bon de t'en tenir informée dans les plus brefs délais. Il n'avait décidément pas ta force... »

Était-ce une sorte de satisfaction doucereuse qu'elle percevait dans le timbre de sa voix? Lentement, elle releva la tête, sans réussir à trouver ce qu'elle aurait du ressentir. Elle cherchait dans son catalogue d'émotions disponibles, de mimiques apprises, mais tout sonnait faux, incroyablement vide d'intérêt. Son regard s'ancra dans celui de son père. Elle semblait dénuée d'âme, une poupée qui ne comprend pas pourquoi elle est douée de vie. Ses lèvres s'entrouvrirent avec lenteur tandis qu'elle dénichait enfin les seuls mots qui lui semblaient convenir.

« Je ne te crois pas. Je veux voir le corps.

- Il n'y avait rien à ramener.

- Non, vraiment... Je ne te crois pas. »


Puis elle se redressa, si droite, si fière face à ce bureau, face à ce père, cet inconnu. Toujours dans cette espèce de flottement, elle contourna son fauteuil et sorti de la pièce sans un bruit, sans le moindre éclat ou débordement.
Alors ainsi, même quand il n'y avait plus rien, on pouvait toujours trouver quelque chose à briser ou à faire disparaître? Elle s'était cru vide, sans se rendre compte que le simple fait de se battre pour le retour d'Adam suffisait à la maintenir debout. En cet instant, elle attendait le coup de grâce, l'ignoble moment où elle réaliserait enfin qu'il n'y avait plus rien. Mais ce moment ne vint pas, ni dans les minutes qui suivirent, ni dans les heures, pas plus que les jours et les mois suivants. Pas d'affolement, pas de colère. Elle était juste endolorie, certaine qu'on lui avait menti sans pouvoir le prouver. Il devait vivre encore, quelque part. Elle se le répétait, sans toutefois réussir à s'en convaincre tout à fait. Mais elle préférait croire que son absence de douleur était dû à la certitude qu'il vivait encore plutôt qu'à une incapacité pour elle de ressentir quoi que ce soit.

Elle redoubla d'acharnement dans son apprentissage. Tout ce qu'on lui demandait, elle le faisait en double, se compliquant elle-même la tâche, toujours plus exigeante avec elle-même. Moins elle parvenait à comprendre son néant mental, à trouver des réponses, plus elle se jetait dans l'entrainement, s'endurcissant, s'améliorant. La voie militaire n'était plus un choix par défaut mais une véritable résolution. Si elle voulait devenir une arme parfaite, elle ne pouvait pas se contenter d'être douée, elle devait être rodée, capable de tout. Il fallait apprivoiser chaque type d'arme jusqu'à ne voir en eux qu'un prolongement naturel de ses bras. Il fallait que chaque technique devienne un instinct, que chaque enchainement soit un réflexe. Elle ne savait pas à quoi ce perfectionnement lui servirait exactement, mais elle sentait qu'elle avait besoin de cette force. Son corps s'habituait progressivement à ce nouveau but, se remodelant selon ses besoins, se parant d'une musculature fine et d'une souplesse fatale. Ses gestes devenaient d'une précision mortelle, chaque mouvement était plus mesuré que jamais. Elle découvrait avec étonnement que cet entrainement militaire lui offrait une meilleure maitrise de son corps, de ses attitudes, la rendant certes plus efficace en combat, mais parachevant son travail d'adolescente mimant le charisme face à son miroir. Quand son supérieur lui disait que c'était bien, elle s'acharnait encore d'avantage. « Bien » ne lui suffisait plus. Elle savait qu'elle touchait au but lorsque ses instructeurs restaient pantois, incapables de qualifier ce qu'elle parvenait à faire, incapables d'y accoler le moindre adjectif. Au vu de ses capacités, on ne tarda pas à la placer dans une nouvelle unité puis bien vite à l'emmener sans hésitation sur le terrain. Rapidement, bien qu'elle fut toujours officiellement en formation, elle prit de plus en plus souvent part aux opérations des militaris. Progressivement, elle gagnait la confiance et le respect des hommes avec lesquels elle travaillait même si le contact restait distant. On n'hésitait plus à la placer comme sniper pour couvrir les troupes ou abattre un émissaire ennemi. Elle s'imposait, prenait de plus en plus d'importance. Et puis s'appeler Odd Gabriel suffisait à abattre les dernières réticences. Mais son but n'était pas de grimper jusqu'en haut de l'échelle, elle ne cherchait pas à prendre du galon. Elle avançait avec soin, apprenant l'organisation de chaque unité, décryptant les stratégies et les situations qui se déployaient face à elle. Elle avait indéniablement changé, la petite fille pourrie gâtée était certes restée, obstinée, mais habitée d'une fureur et détermination brûlante, irrévocable. Elle ne se contentait plus de taper du pied pour obtenir ce qu'elle voulait, elle fonçait, monstre dévorant tout, machine écrasant murs et personnes. Elle ne savait plus attendre, elle n'essayait plus la persuasion et le chantage pour que d'autres exaucent ses vœux. Rien ne devait lui résister. Elle cherchait désormais les chemins les plus courts, les plus droits, parfois avec une violente volonté. Les exercices, les manœuvres avaient sournoisement pris toute place en elle, la comblant de cette obsession lancinante. Oubliant un quelconque but, elle s'entrainait pour s'entraîner, le combat devenant une fin en soi et non plus un simple moyen. Elle voulait s'améliorer, elle voulait être létale. Elle se sentait pleine de poison, tellement vénéneuse...

Mais au final, les cinq ans d'entrainement militaire passèrent vite, et malgré la place indéniable qu'elle s'était faite parmi les troupes, bien qu'elle semblait enfin savoir ce qu'elle voulait, son père exigea qu'elle prenne le temps maintenant d'étudier un peu le travail des scientistes. Car même si elle comptait devenir militaris, pour être efficace elle devrait connaître parfaitement le fonctionnement des chercheurs, surtout si elle comptait prendre la tête de la Firme d'ici quelques temps. Mais cette nouvelle obligation imposée par le paternel l'irrita, faisant reparaître ses anciennes contestations. Cependant elle se plia à cette exigence bien plus vite, son caractère ayant changé. Elle savait que protester ne serait qu'une perte de temps. Plus vite elle s'acquitterait de cette tâche, plus vite elle en serait libérée. Et en y réfléchissant bien, c'était vrai, cette nouvelle expérience lui apporterait des connaissances neuves, de quoi s'enrichir et se fortifier encore. Elle aurait eu tort de cracher sur une nouvelle force, elle qui avait si soif de perfection.
Elle revint donc s'installer au sommet de la tour d'Eon, son père l'accueillant tel l'enfant prodigue. Ce fut comme si les litiges n'avaient jamais existé. Comme si Adam n'avait jamais existé. Pas une fois Owen ne mentionna ce nom, et il se flattait d'observer le même silence chez sa fille. Ainsi finalement, cela avait marché? Elle avait oublié, elle était passé à autre chose? Ce n'était évidemment pas le cas, la jeune femme savait simplement qu'en parler avec le vieux Odd Gabriel ne servirait à rien sinon le braquer. Et puis même si elle ne se l'avouait pas, d'astre brûlant, de soleil cruel, l'espoir de retrouver Adam s'était mué en une lointaine étoile qui, bien que peuplant votre ciel chaque nuit, restait douloureusement inaccessible, un repère, un guide précieux mais que l'on ne penserait plus pouvoir atteindre. D'année en année elle s'était résignée, ne se trompant même plus elle-même quand elle prétendait se battre pour lui. Elle oubliait le sentiment de plénitude, adoptant ce vide comme faisant irrémédiablement partie de son être.

Retrouver son univers d'avant était étrange, c'était un sentiment confortable et tiède, les choses étaient restées familières et pourtant ne lui apparaissaient plus de la même manière. Les laboratoires et les postes de surveillance lui étaient à nouveau ouverts, les incidents précédant son départ effacés de toute mémoire. Elle revit des visages qui l'avaient étudiée étant enfant. Elle découvrait l'autre côté de la barrière, elle n'était plus objet de recherche, expérience, cobaye, elle n'était plus militaris protégeant et travaillant en parallèle des scientifiques. Elle était l'une des leurs, ou presque. Car bien qu'elle s'intéressa à ce nouveau continent à explorer, elle ne parvenait plus à s'y impliquer totalement, elle sentait que ce n'était pas tout à fait sa place. Peut-être cela eut-il était différent si elle avait commencé par la science et non le combat. Malgré tout, elle s'appliquait, cherchant tout de même à tirer un maximum d'enseignements de cette nouvelle affectation. Elle passait plusieurs mois sur chaque projet de la Firme (du moins les principaux), étudiant les différents aspects de ces recherches. Sentant bien que le côté purement médical et chirurgical n'était pas pour elle, elle se concentra plus volontiers sur les études de cas et les tests en villes-laboratoires.

Voyant l'interêt de sa fille se fixer sur les écrans de surveillance, Owen décida de lui adjoindre un nouveau tuteur, un spécialiste de cette section, expert comportemental de quelques années son ainé. Bien que plus avenant qu'Adrian à tout de point de vue, aux yeux d'Hybris il était tout aussi irritant, quoique ce fut d'une toute autre manière. Maxence était intelligent, brillant même, mais il manquait de grandeur, de volonté. Il se contentait de faire ce qu'on lui demandait, incapable de prendre la moindre initiative sans le consentement de son supérieur, qu'il vénérait comme un chien admire son maître. Seul face à son travail et ses subalternes, il était assuré, impressionnant de connaissance et de précision. Mais dès qu'il évoluait au sein d'un groupe constitué de personnes de sa compétence ou meilleures, il s'effaçait, s'écrasait même, balbutiant presque, incapable d'affirmer la moindre opinion. Cette faiblesse exaspérait Hybris, d'autant plus que bien qu'elle ne soit pas une éminente chercheuse, sa présence suffisait à l'intimider comme un enfant. Pas une fois il n'osa franchement la dévisager ou la regarder dans les yeux.
Mais elle avait une autre raison d'être agacée par ce triste personnage. Dans le moindre geste de Maxence, elle ressentait l'influence de son père. D'instinct, elle devinait les directives qu'il avait données, ses objectifs. Elle savait que Maxence était chargé de plusieurs rôles auprès d'elle. Il n'avait pas choisit ce chercheur par hasard, ce garçon pouvant tout à la fois être un excellent instructeur, un chaperon inquiet et prêt à rapporter toutes informations, mais également, et c'était sans doute le plus important, il pouvait devenir un prétendant pour sa fille. D'un perfectionnisme maladif, même si la belle ne parlait plus jamais d'Adam, Owen ne pouvait pas se contenter de ça, il fallait que cette place soit prise, il ne supportait pas de savoir cette affection vacante et il se hérissait de l'obstination d'Hybris à ne trouver personne à son goût, à sa hauteur. Il voulait lui trouver quelqu'un, et tant qu'à faire, une personne de confiance, un scientifique brillant mais docile, quelqu'un qu'il pourrait facilement contrôler. Et aussi, il pourrait enfin l'atteindre, avoir une emprise sur elle... Mais il avait mal choisi son homme, il aurait du savoir qu'il lui fallait quelqu'un d'aussi entêté qu'elle, une personne pouvant l'impressioner. Certes, il n'avait pas un physique désagréable et il aurait pu contenter bien des femmes. Des boucles brunes encadraient un visage sans réel défaut où trônaient des yeux noirs qui auraient pu être pleins de force s'ils n'étaient pas aussi fuyants et régulièrement abrités derrière des lunettes, dont le changement récurrent était d'ailleurs la seule fantaisie qu'il osait se permettre. Hybris avait peine à se souvenir de lui vêtu d'autre chose que d'une blouse blanche, ce qui le rendait d'autant plus interchangeable avec n'importe quel scientiste.

Ces interférences dans sa vie privée devinrent un nouveau prétexte aux joutes du père et de la fille, où finalement Maxence n'était plus qu'un pion, tantôt noir, tantôt blanc, balancé entre deux camps ennemis qui ne se souciaient guère de son sort. Si l'armée avait appris à Hybris une certaine froideur, la mesure de chaque acte et de chaque parole, ce retour en plein duel avait vite fait ressurgir ses réactions d'enfant capricieuse et mauvaise. L'acharnement, du père comme de la fille, était puéril et toute personne censée évitait soigneusement de se retrouver sur le champ de leur bataille, sous peine d'en subir les dommages collatéraux. Il arrivait même quelques fois qu'ils se menacent avec quelques armes plus ou moins banales, plus ou moins dangereuses. Owen faisait dans le sobre et implacable tandis qu'Hybris privilégiait le spectaculaire. Revolver contre tronçonneuse, poison et incendie. Mais il semblait évident que tout deux tiraient de ces affrontements de grands plaisirs, une exaltation proche de la démence.

Ses années dans la peau d'une scientiste se déroulèrent ainsi, partagées entre les coups échangés avec son père, l'acharnement sur le pauvre Maxence -qui faisait pourtant preuve de l'endurance et de la douceur d'un agneau-
et entre tout cela, par l'étude. Elle connaissait, de près ou de loin, chaque section de recherche, chaque grand protocole. Elle était fascinée par le sort des cobayes, leur volonté de vivre la réjouissait d'autant plus qu'elle les savait irrémédiablement condamnés. Jamais elle ne s'identifiait à eux, elle qui était pourtant née de la science. Elle aimait les voir se débattre, que ce soit à la clinique ou dans les villes-laboratoires, constater comme ils étaient changés après ce qu'on leur faisait subir. Elle allait régulièrement visiter le Purgatoire et parfois, quand il avait éveillé sa curiosité, elle choisissait -pour son plus grand malheur- l'un des prisonniers, le confiant aux mains des scientistes pour voir ce qu'il deviendrait, elle suivait ces âmes perdues, n'hésitant jamais à venir les hanter dans leur horreur. Elle aimait ce sentiment de puissance, et c'est ce à quoi elle ne pouvait pas renoncer pour devenir scientiste. Sans compter qu'elle avait trop besoin de soleil pour accepter de rester enfermer dans des laboratoires mal ventilés. Elle préférait se placer au dessus de la recherche, elle voulait superviser, donner des ordres à exécuter, cela lui convenait mieux. Son père était satisfait de ses penchants, il la voyait marcher dans ses pas, prête à être un dirigeant à sa hauteur, ne reculant devant rien.

Mais il y avait un domaine qui semblait obséder la jeune femme hors de toute mesure. Parmi les expériences et recherches les plus secrètes et les plus surveillées de la Firme, celles sur le Rêve et l'île d'Aïklando étaient en bonne position. Connaître les mystères de ces deux phénomènes serait un grand pouvoir, et qui pouvait convoiter cette puissance plus que la famille Odd Gabriel? Sans oublier que la jeune femme, privée du Rêve, en était d'autant plus subjuguée. Hybris se pencha longuement sur ces études, mais rien n'était assez concluant, tout lui semblait trop timide. Pour avoir de grands résultats, ne faut-il pas prendre de grands risques?
Avec le consentement de son père, Hybris créa une unité toute particulière dont elle avait l'entière maîtrise. Même Owen n'avait pas vraiment son mot à dire à ce sujet. Officiellement, il s'agissait d'un groupe d'intervention de très haut niveau, chargé de régler divers problèmes de grande importance, un peu partout dans l'archipel. C'était à eux que l'on confiait les missions les plus délicates, celles demandant du doigté et de la confiance. Officieusement, c'était un groupe restreint d'une dizaine d'individus, uniquement des hommes, tous personnellement choisis par Hybris, pour leurs compétences spéciales. Leur dévouement se devait d'être sans faille, leur solidarité inébranlable. Il n'y avait guère de place pour la vie personnelle des membres de l'Unité Zéro. Comme Hybris le disait elle-même si souvent, dès qu'ils signent, leur vie, leur âme et leur corps lui appartiennent jusqu'à ce qu'elle en décide autrement. Et ce moment-là, dans la majorité des cas, équivaut à la mort. Ils traquaient la moindre information digne d'éveiller l'intérêt d'Hybris. Quoi qu'elle décide, quoi qu'elle leur ordonne, ils s'exécutaient. De cette description, on pourrait croire qu'Hybris se contentait de diriger ses hommes tout en restant à l'abri, mais il n'y a rien de plus faux. Au contraire, Hybris s'impliquait toujours énormément, peut-être même trop, faisant quasiment toujours partie des expéditions qu'elle ordonnait. Malgré une apparente rudesse, elle avait une infinie confiance dans les hommes qu'elle avait choisis, elle connaissait leurs forces et leurs faiblesses, elle avait appris à composer avec eux, et même si on ne pouvait parler d'amitié, son sort était lié aux leurs. Pour eux, elle était Black Baccara. L'Unité reposait donc sur des rouages ingénieux, une réelle stratégie de groupe qui se voulait imparable. Le groupe accueillait rarement de nouveaux membres, c'était un cercle exclusif, où chacun connaissait le moindre détail sur ses partenaires. Et Hybris, grâce à des dossiers bien fournis, savait plus que tous de quoi chaque minute de leur vie était constituée.

Rien ne pouvait la faire reculer, aucune expédition n'était trop risquée, aucun sacrifice ne pouvait stopper sa quête de savoir, de puissance. Ils enchainaient les missions, parfois entrecoupées de quelques semaines, de quelques mois de répit. Elle revenait en Lan Rei Ouest, prenait part aux recherches, se tenait au courant des dernières découvertes, des dernières décisions prises, parfois s'investissait pour une certaine durée dans une expérience ou une mission des militaris, au gré de ses humeurs. Mais en un claquement de doigt, elle pouvait rassembler l'Unité Zéro et l'envoyer où bon lui semble. Sa vie se déroulait ainsi depuis des années maintenant, parsemée de trésors, de découvertes qu'elle gardait jalousement. Parfois, l'envie secrète et lancinante de partir à la recherche des disparus, pour les retrouver ou s'assurer de leur mort. D'autre fois, le désir de faire brûler tout ce qui avait fait d'elle ce qu'elle était. Son père avait abandonné l'idée de lui trouver un conjoint, que ce soit Maxence ou un autre, même si le pauvre restait transis au simple souvenir de la Plante Vénéneuse. Les choses semblaient s'être stabilisées autour d'elle, elle voguait lentement, comme si sa course ne devait jamais être arrêtée, ni par l'échec, ni par la mort. A la surface de l'eau, elle voyait son visage qui la dévisageait, son visage tel qu'il avait été tout au long de sa vie. Il ne vieillissait pas, il changeait, il semblait même embellir avec le temps, se parant toujours de nouveaux charmes, sans que l'on puisse savoir qu'elle âge avait cette femme.

Sans qu'elle s'en soit rendu compte, elle avait tellement approché son visage du reflet, que bientôt, l'onde se troubla tandis que son corps s'enfonçait sous la surface, son visage immergé, paupières closes.

De toute manière, il n'y avait plus aucune image à voir.
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MessageSujet: Re: Ni d'Eve ni d'Adam   Ni d'Eve ni d'Adam EmptyJeu 25 Fév 2010, 04:23



Ni d'Eve ni d'Adam Coeurfs0

Habituellement, c’était un moment cruel et douloureux, pour les passants de la Salle Blanche, que de se retrouver aux prises avec leurs souvenirs. Certains voyaient toute leur souffrance revenir en bloc face à ces vestiges du passé. D’autres se perdaient dans ces images avec regret ou amertume. D’autres encores ne laissaient parfois rien paraître. Au début en tout cas. Ils finissaient toujours par laisser leur Moi Profond s’exprimer…
Celle-ci ne semblait pas humaine. Pas comparable… Unique en son genre.
Je la regardais découvrir ces images lointaines avec une sorte de curiosité. Elle semblait plutôt apprécier cette projection, en profiter. Loin d’elle l’idée de s’effrayer. Mais connaissait-elle seulement la peur ? Là ou bien d’autres s’étaient écroulées sous le poids du passé, celle-ci se laissait porter et attendait avec avidité que les souvenirs défilent…
Je continuais donc imperturbablement à propulser sur l'onde les fragments de son cœur, de ses entrailles. Et elle continuait à les accueillir… Je la trouvais plutôt fascinante, comme tous les être aux réactions peu communes. J’aurais pu égoistement tout arrêter, ainsi elle aurait été coincée avec moi, n’ayant pas pu aller au bout… J’aurais pu continuer de l’observer… J'avais vu tellement de passés que finalement ces moments de vies n'arrivaient plus à m'atteindre. Il n'y avait que la tristesse et la joie présentes, enfermées dans cette pièce, qui m'émouvaient encore. Et Elle m’apportait un quelque chose d’inédit, cette belle plante-là… Mais ma mission n’était pas d’en faire une décoration d’intérieur, et je devais la relacher… Quand il sembla qu’elle avait fait le tour complet de sa vie, elle se laissa immergée par les flots.
La petite clé lumineuse apparue dans un souffle, fila comme un carreau d'arbalète, s'extirpant des flots comme une improbable figure de proue. Elle barra l'air d'un soupir et se ficha dans la poitrine de la malheureuse. Déchirant la chair, je pu m'extirper enfin de cette cage, libéré par toutes ces épreuves. Un homme ne devrait jamais voir son cœur à nu. C'est pour cela qu'aucun ne se souvient de cette partie du Rêve.
Lourd cœur, lourd cadenas, je flotte un instant puis je m'abats sur le sol, disparaissant dans l'ouverture que je dessine. L'eau s'enfuit dans le trou noir, il aspire tout, et la divine créature est entrainée, comme tirée par les chevilles, les poignets. Maintenant qu'elle a réussit, elle peut tout oublier.



Ni d'Eve ni d'Adam Clblancheyq8




Bon bah… Je crois que tout est dit. Désolée pour le copié-collé final, c'est honteux j’aurais voulu faire plus original, mais ça aurait repoussé ma réponse à encore plus tard et je veux joueeeeer avec toi alors osef et on passe au RP.

C'était un très beau travail Miss, tu y a mis du coeur ça svoit o/

Donc Bienvenue officiellement sur Aiklando, tout ça, tu connais la maison, tu sais que tu peux poster des demandes de RP, Flooder, participer aux jeux d'écriture, étaler ton talent dans la rubrique graphisme, etc, etc.

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Dernière édition par Isilwen Loendë le Jeu 25 Fév 2010, 16:27, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Ni d'Eve ni d'Adam   Ni d'Eve ni d'Adam EmptyJeu 25 Fév 2010, 14:06

Merci Darling Smile

Tu seras très vite beaucoup moins pressée d'être dans le rp Laughing
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MessageSujet: Re: Ni d'Eve ni d'Adam   Ni d'Eve ni d'Adam EmptyJeu 25 Fév 2010, 14:07

Et bien ma foi... Bienvenue!

Bouh, l'hypocrite!
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MessageSujet: Re: Ni d'Eve ni d'Adam   Ni d'Eve ni d'Adam Empty

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