Aïklando
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"Homme libre, toujours tu chériras la mer !"
"La mer enseigne aux marins des rêves que les ports assassinent."
"La sagesse, c'est d'avoir des rêves suffisamment grands pour ne pas les perdre de vue lorsqu'on les poursuit."
"Il est des moments où les rêves les plus fous semblent réalisables à condition d'oser les tenter."
"Le voyage est une suite de disparitions irréparables."
"Nous sommes de l'étoffe dont sont faits les rêves, et notre petite vie est entourée de sommeil."
"Dieu nous rêve. S'il s'éveille, nous disparaissons à jamais."
"Nous trouverons un chemin... ou nous en créerons un."
"Le rêve de l'homme est semblable aux illusions de la mer."
"Il n’est pas de vent favorable, pour celui qui ne sait pas où il va…"
"Il y a trois sortes d'hommes : les Vivants, les Morts, et ceux qui vont sur la Mer."
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 Une Misérable Reine

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Raei Amaë
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Raei Amaë

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MessageSujet: Une Misérable Reine   Une Misérable Reine EmptySam 05 Juin 2010, 02:29

Une petite pièce rectangulaire aux murs délabrés. Pas de porte, pas de fenêtre. Pas de source de lumière apparente et pourtant la pièce baigne dans une lueur pourpre qui crée une intimité malsaine. Sur les parois écarlates sont placardées des photos sépia, sans cadre ni épingle. En certains endroits, des morceaux de miroir brisé de tailles diverses reflètent les photos et les miroirs qui leur font face. Enfin, au centre, une créature frêle vêtue d'une robe noire est recroquevillée en position fœtale.

Raei Amaë ouvre les yeux. Pendant quelques secondes, elle ne pense à rien. Elle savoure cet instant de latence où il n'existe ni bonheur ni malheur, ni temps ni espace, ni rêve ni réel. Puis, elle prend conscience qu'elle est dans un endroit étrange. Doucement, elle se relève et commence à marcher, l'air absent. Où est-elle enfermée ? Est-elle Là-bas ? L'a-t-on enfermée dans une curieuse prison ? Raei plonge subitement la main dans un trou fait à sa robe sous laquelle elle s'est fixé une petite sacoche. Elle y cherche sa petite boîte de cachets. Ouf! Elle est toujours là.

La jeune femme brune erre d'un pas silencieux dans la pièce exiguë. Elle regarde nonchalamment les photos collées aux murs et entrouvre légèrement la bouche, surprise. C'est elle. Sur toutes ces images, il n'y a qu'elle, à différentes époques de sa vie. Qui donc a bien pu prendre toutes ces photos ? Personne ne s'est jamais intéressé à elle, qui diable aurait pu la suivre pendant toute sa vie pour prendre ces clichés si intimes ?

Raei jette un regard bref à chaque photo, la surprise ayant laissé place à intérêt très modéré. Elle remarque qu'il n'y a aucune image de l'Autre Monde. Ce ne sont que des photos ennuyeuses de sa vie de simple humaine solitaire. Un cliché la présente à sa naissance comme un petit bébé pâlichon emmitouflé dans un drap miteux. Une femme visiblement fatiguée la tient dans ses bras. Elle disparaît rapidement. Sur la plupart des clichés de son enfance, il n'y a qu'une petite Raei, assise, les genoux serrés contre elle, les yeux noirs plongés dans le vide. En arrière-plan on peut voir des enfants jouer au ballon, à la marelle. Oh! Une fillette de sept ans, toujours seule, mais avec un œil au beurre noir. Ces gamins ne lui avaient pas fait de cadeau... La jeune femme change de mur et aperçoit avec un sourire un jeune garçon avec elle. Elle a neuf ans. Il en a onze. Ce garçon a changé sa vie. Raei contemple les photos du deuxième mur avec plus d'intérêt, une pointe de nostalgie dans le cœur. Le troisième mur résume toute son adolescence, et Raei la survole plus rapidement. Elle se voit grandir, s'élancer, maigrir un peu. Elle prend une apparence séduisante, sans formes prononcées mais avec une posture aérienne qui lui donne un certain charme. Son visage rond devient moins grossier, ses yeux mi-clos s'assombrissent un peu. Son regard est absent, il observe les choses avec une indifférence qui fait presque penser à du mépris. Ses sourcils relevés ne font qu'accentuer cet aspect. Son nez s'arrondit légèrement. Ses longs cheveux bruns s'assombrissent au fil des photos. Les clichés lui montrent une gamine d'à peine dix-sept ans, nue, révélant un corps pâle et fragile qui se mêle à celui de nombreux hommes. De nombreuses photos l'affichent sans pudeur dans de nombreuses positions, révélant une modeste poitrine, des côtes légèrement apparentes, des cuisses minces et des épaules rondes, le tout s'agençant en un galbe souple et attrayant. Raei ne s'attarde pas et passe au quatrième mur, qui résume un an d'errance. Son visage ne change pas beaucoup, elle paraît encore plus lunaire et isolée du monde. Sur toutes les photos, elle arbore sa fidèle robe noire, cette robe triangulaire sans manches au décolleté plongeant et pointu. Elle descend au niveau de ses genoux, laissant paraître ses jambes blanches aux pieds sobrement glissés dans une paire de zôris.

Rapidement lassée de cette exposition d'elle-même, Raei finit par s'adosser à un mur et à se laisser glisser, l'air apathique. En face d'elle, son reflet fragmenté. D'ici, elle peut voir une partie de sa chevelure brune attachée en chignon. Une grande mèche recouvre son œil gauche duquel elle ne voit pas beaucoup.

Combien de temps va-t-elle rester ici ? La jeune femme attend, patiente. Elle ne cherche même pas à savoir où elle se trouve et ce qu'elle fait là. Peu importe le temps qu'elle doit y rester. Tout ce dont elle a besoin est rangé dans cette petite boîte au fond de sa sacoche...
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Arhid Gramar
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MessageSujet: Re: Une Misérable Reine   Une Misérable Reine EmptySam 05 Juin 2010, 20:53

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Timide, peu farouche, j’apparaissais et disparaissais dans cet encadrement me servant de prison. Reflet qu’elle ne remarquait pas, je suivais pourtant chacun de ces gestes avec une infime précision, je les recopiais jusqu’au plus petit détail. On devrait me remarquer pour çà, non ? On devrait me voir, me féliciter, moi qui suis capable de mimer l’autre jusqu’à la perfection.

La créature, cette femme, finit par se rapprocher de moi, elle va me regarder, elle va me fixer, elle va me remarquer…n’est-ce pas ?
Elle passe, elle m’ignore, elle préfère regarder ces images fixes. Pourquoi ?! Elles sont sans vie ! Moi je bouge, je suis vivant, j’ai le même visage qu’elle, je suis sa jumelle parfaite ! Pourquoi ne me remarque-t-elle pas ?!
La jalousie me brûle les entrailles, la colère m’envahit comme un torrent sans fin.

Je veux la tuer…

Je m’arrache de mon mimétisme avec force. De mes chaînes qui m’emprisonnent à elle ne reste plus que son physique. Mes yeux sont là, rouges, brulant de rage, mes yeux de serpent qui m’ont toujours fait préférer ceux des créatures qui daignait me regarder.
Furieux mes mains s’abattent sur la glace qui me barre la route. Je veux la tuer ! Je veux la tuer ! Elle ne pourra pas m’ignorer, elle me verra l’étrangler !
Je continue de frapper mes yeux fous rivés sur elle. Chaque coup résonne, le miroir se fissure. J’arme mon bras droit, dans ma main une clef rouge apparaît soudainement. Je vais la tuer !
La clef rentre en contact avec la glace et le miroir explose. Le passage s’est ouvert, ouvert vers le noir absolu…
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Raei Amaë
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MessageSujet: Re: Une Misérable Reine   Une Misérable Reine EmptyDim 06 Juin 2010, 13:31

Un passage vient de s'ouvrir brusquement dans le mur, laissant paraître un trou béant d'un noir profond. Il semble qu'il soit temps de sortir d'ici. D'un mouvement lent et indolent, Raei se lève, puis se dirige vers cette porte. Elle la franchit.

De l'autre côté, tout est d'un noir absolu. La lumière rouge de la pièce précédente aurait du éclairer un peu les environs mais Raei se rend compte que le trou s'est refermé. Elle est plongée dans un néant assez déstabilisant. Comme pour la mettre encore plus mal à l'aise, un léger son venu de nulle part se fait entendre. Un souffle, comme du vent. Raei le perçoit de mieux en mieux. Il prend de l'ampleur, puis l'humaine croit entendre une voix criant dans la tempête. Peu à peu, les voix se multiplient ; elle comprend que le vent est en fait un amas de murmures, mais elle n'arrive pas à en saisir les mots. Le volume sonore redescend subitement. Doucement, les murmures reprennent ; cette fois-ci, quelques bribes sont perceptibles.

« Fantôme... Fantôme... »

Les voix se font de plus en plus fortes et distinctes.

« Fantôme ! C'est comme cela qu'ils t'appelaient... »

Raei ne répond pas. Elle sent qu'il va encore être question d'elle.

« Es-tu heureuse, Raei Amaë ? »

La phrase qui tue. Raei choisit d'ignorer.

« Non, bien sûr. Comment peut-on être heureux alors que l'on est indifférent à tout ce qui nous entoure ? »

― Je m'en fiche.

« Bien sûr que tu t'en fiches ! Tu es égoïste. »

― Je le vis bien.

« C'est donc cela ton but ? Vivre seule jusqu'à la fin ? »

― Je ne suis pas seule.

« Tu es incapable de t'intéresser aux gens. »

― Les gens ne m'aiment pas.

« C'est toi qui n'aimes pas les gens ! »

Décidément, ces voix savent où frapper pour faire mal. Raei serre les poings.

― Je n'ai pas besoin d'eux. Je n'ai jamais eu besoin d'eux.

« Et de quoi as-tu besoin ? De ton monde imaginaire ? De cet univers artificiel dans lequel tu fais de toi quelqu'un d'important ? Tu as passé l'âge d'inventer des amis invisibles ! »

Raei sent monter la panique. Ces voix ont raison, elle le sait au fond d'elle, mais elle refuse de l'admettre. Elle n'est pas habituée à ce que l'on lui parle de tout ça. Et elle est lâche, au fond ; pour rien au monde elle ne changerait tout cela.

― Il n'y a qu'eux qui puissent me comprendre.

« Mais à quel prix ? Tu t'es rendue esclave de ces pastilles d'illusions, dans le seul but de fuir un monde où tu dois faire des efforts. »

― Je ne suis pas une esclave...

« Idiote ! Donner ton corps, ta chair, à des inconnus pour ne pas sombrer dans le désespoir, tuer une femme de sang froid, sans éprouver de remord, tout cela au nom d'une drogue, n'est-ce pas de la soumission ? »

― Le corps n'est rien. Seul l'esprit compte.

« Tu es pathétique. Tu te détruis à petit feu pour entretenir des relations avec des gens qui n'existent pas. »

― Ils existent.

« Ils ne sont pas réels ! »

― Le réel n'est rien qu'un mot...

Sa voix est de plus en plus chevrotante. Un long et pesant moment de murmures incompréhensibles s'en suit. Raei tremble, sans en connaître précisément la raison. Soudain, les accusateurs profèrent de nouvelles paroles, comme pour l'achever.

« Tu n'es qu'une toxicomane de plus. »

― Je m'en fiche... Je suis heureuse.

Elle sent une boule dans son estomac. Sa gorge se serre.

« Es-tu heureuse ? »

― Je suis heureuse !

« Es-tu heureuse ?! »

― Je suis heureuse !!!

« Es-tu heureuse, Raei Amaë ? »

― JE SUIS HEUREUSE !!!

Son ultime cri a abattu une barrière ; la jeune femme fond en larmes. Elle se laisse tomber à genoux, puis bascule en avant pour coller son visage sur le sol invisible. Elle reste là un moment, à gémir et à renifler, avant de souffler un très faible :

― Laissez-moi tranquille...


Dernière édition par Raei Amaë le Mar 08 Juin 2010, 19:28, édité 1 fois
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Arhid Gramar
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MessageSujet: Re: Une Misérable Reine   Une Misérable Reine EmptyDim 06 Juin 2010, 16:52

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L'entrée dans notre antre ne se fait jamais sans dommage. Nos visiteurs ne devraient pas entrer avec tant de désinvolture et comme des harpies jalouses de leur territoire, nous le leur faisons comprendre. Nous sommes des oiseaux cruels qui s'acharnent sur leur victime et nous sommes toutes les douleurs du monde. Toutes les peines que cette femme a créées. Comme les autres, je me jette sur elle, le bec en avant, ma voix plus accusatrice que la plus outragée des victimes. J'ai la même voix qu'une femme trompée, la même intonation qu'un ami à qu'on a volé, les mêmes inflexions que celles d'un enfant à qui on a promis la lune sans la lui donner. Et puis je hurle, de temps en temps. C'est l'expression pure de mon accusation. Toi qui te tiens au milieu de notre cercle, pourquoi as-tu abandonné? Nous aimerions entendre tes réponses, nous devons fouiller ton âme. Pas pour trouver des pardons. Simplement pour comprendre. Au fur et à mesure, nos cris se perdent, se font moins sûrs, hésitants, plus faibles. Une à une, on se tait, le noir se perce de ce silence alourdi par nos présences devenues lettres mortes. Les charognes sont rassasiées. Un peu confuse de notre comportement toujours si emporté, le repentir apportant une sorte de honte, je dépose un pieu baiser sur les lèvres de notre victime pardonnée. De mes lèvres tombe un objet qui émet à la rencontre du sol un tintement léger. Sur le sol, un carré de lumière se dessine. Nous sommes condamnées à toujours voir nos visiteurs disparaitre par cette bouche blanche.


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MessageSujet: Re: Une Misérable Reine   Une Misérable Reine EmptyLun 07 Juin 2010, 14:25

Les voix se calment, puis disparaissent. En se redressant, Raei remarque qu'un trou blanc s'est ouvert dans le sol. La porte suivante ? La jeune femme brune se lève et se dirige vers ce carré lumineux. Y met un pied. Puis deux. L'instant d'après, elle se retrouve dans une troisième pièce toute blanche. Dans un premier temps, elle est éblouie et ferme les yeux. Elle sent alors un léger courant circuler sur ses pieds quasi-nus. De l'eau ? Elle ouvre lentement les yeux et voit à ses pieds une masse sombre lui servir de reflet.

Raei s'avance dans l'étendue blanchâtre et s'accroupit. Sa robe noire jure dans ce paysage immaculé. Doucement, elle effleure la surface du liquide du bout de ses doigts. Aussitôt, des onde s'étendent. Puis il le se passe une chose étrange : les ondes continuent de se propager alors qu'elle a retiré sa main, et elle prennent des couleurs indéfinissables. Des formes apparaissent, de plus en plus distinctes. L'image prend de l'ampleur et Raei semble y plonger. Sa vie commence alors à défiler sous ses yeux.

La jeune femme solitaire est le fruit d'une grossesse non désirée. Issue d'une famille très pauvre, sa mère l'abandonna dans un vieil orphelinat de Reilor à quelques mois seulement. Ce n'était pas un établissement de luxe et le personnel était un groupe de gens lassés. Raei n'eut pour ainsi dire aucun lien de proximité avec un adulte. Elle grandit sous les réprimandes lorsqu'elle ne faisait pas les choses comme il le fallait. Elle était pourtant obéissante et calme, mais avec une froideur qui l'apparentait davantage à un robot qu'à une enfant. Aucun adulte ne la portait vraiment dans son cœur. Et il n'en allait guère mieux chez les pensionnaires.

Raei avait toujours été réservée. Incapable d'aller vers les autres, elle préférait s'isoler. Certains enfants essayaient de l'approcher parfois, et elle en était ravie, mais ils finissaient toujours par rapidement se lasser d'elle, peut-être à cause de son humour limité ou de son manque d'expression. Cela n'arrangeait en rien sa crainte du contact.

La jeune fille avait fini par s'accoutumer à cette solitude, bien que celle-ci l'emplisse de tristesse. Lorsqu'elle était bien sûre d'être seule, elle s'autorisait à verser quelques larmes. Plusieurs années s'écoulèrent ainsi, mornes et monotones que Raei voit défiler dans sa bulle de souvenirs, puis une scène vient à elle. Le jour qui avait changé sa vie.

Elle avait alors neuf ans et vivait toujours dans ce vieil orphelinat délabré. Ce jour là, un nouvel arrivant rejoint le cercle des pensionnaires. Une jeune garçon de onze ans au visage rêveur. Il s'appelait Helian. Avec un pincement au cœur, Raei l'avait vu s'adapter très rapidement à sa nouvelle maison et les autres enfants l'adorait. Pendant les premiers jours, ils ne se parlèrent pas, jusqu'à ce que le gamin décide d'aller la voir, lors d'une après-midi estivale. Raei était assise sur un petit quai qui s'avançait dans l'étang de la résidence.
― T'es punie ?
― Non.
― Qu'est-ce que tu fais toute seule ?
― Rien.
― Je t'ai remarquée dès le premier jour. T'es toujours à l'écart.
― J'ai pas d'ami.
― C'est triste ça !
― Les autres ne m'aiment pas, ils me trouvent nulle.
Helian lui sourit. Il alla s'asseoir à côté d'elle.
― Si t'es malheureuse ici, suffit de t'en aller...
― Je peux pas, je suis qu'une petite fille. Et personne m'adoptera, j'suis pas normale.
― T'es pas obligée de partir, pour partir.
― Quoi ?
― Il y a le Monde à l'Envers.
― De quoi tu parles ?
Helian lui montra alors la surface de l'étang. Sur l'eau plane, Raei observa leur reflets.
― Ici, t'es juste une fille triste. Mais de l'autre côté, tu peux être tout ce que tu veux.
― Pfff... Ça sert à rien, puisque c'est pas vrai.
― On s'en fiche de ça. Du moment que tu es heureuse quelque part.
Raei réfléchit un moment. Helian était vraiment un drôle de garçon.
― Bon d'accord, mais alors dans le Monde à l'Envers, je suis la Reine.
― Ah ouais ?
― Ouais. Et j'habite dans un palais au beau milieu du ciel.
Helian scruta la l'étendue bleue.
― Il doit être haut, parce que je le vois pas d'où je suis.
― Évidemment. Sinon n'importe qui pourrait tomber dessus en sautant dans le lac !
― Dis... Tu me ferais visiter ton royaume ?
Ce fut la première fois que Raei plongea dans son monde imaginaire. Au début, ce n'était qu'une suite de paysages fantastiques qu'elle décrivait à Helian et ils sautaient de tableaux en tableaux, rencontrant parfois des personnages bizarres. Les yeux fermés, allongés sur le quai, ils s'imaginèrent des aventures pendant toute l'après-midi. Raei adorait ça. Pour la première fois de sa vie, elle était heureuse. Vraiment heureuse. Elle pouvait s'enfuir de ce monde gris où personne ne se souciait d'elle, où rien n'était amusant. Par la suite, ils se retrouvèrent souvent seuls tous les deux pour plonger dans le Monde à l'Envers.

Cette vie fut pourtant de courte durée. Un peu plus d'un an plus tard, Helian fut adopté par une petite famille noble de la côte Est. Le garçon protesta mais l'avis d'un enfant était bien loin des préoccupations de ces adultes. Lorsque Raei l'apprit, ils étaient déjà sur le point de partir. Elle se précipita en larmes dans le long couloir central au bout duquel se trouvait la porte.
― Helian !
― T'inquiètes, Raei ! Je te retrouverai Là-Bas !
― Pitié, non !
― Occupe-toi bien de ton Royaume, surtout !
― Heliaaaan !!!
C'est ainsi qu'Helian disparut de la vie de Raei, aussi vite qu'il y était entré.

Le temps de la solitude revint. On oublia Helian. C'était comme s'il n'avait jamais existé. Raei se terrait de plus en plus dans son monde imaginaire et ne cherchait même plus à tisser un quelconque lien avec autrui. Elle ne répondait que rarement quand on lui parlait, dormait beaucoup, le rêve l'aidant à percevoir son Monde à l'Envers qu'elle finit par appeler simplement Envers. Peu à peu, elle construisait son Royaume, rencontrait certains personnages récurrents, visitait des lieux de plus en plus familiers. Cultivant une indifférence croissante à tout ce qui l'entourait, elle devenait la cible des persécuteurs en culotte-courte, qui profitaient de son désintérêt pour toute chose en accumulant moqueries, extorsions et violences physiques.

Ayant depuis longtemps passé outre la douleur morale, c'est la multiplication des blessures et un désir d'émancipation qui décidèrent la jeune fille à lever le camp. A treize ans seulement, elle s'enfuit du sinistre orphelinat, n'emportant rien avec elle. L'adolescente ne savait pas vraiment où elle irait, mais peu lui importait.

Raei tenta dans un premier temps de survivre dans la nature, mais elle était trop faible pour cela. Rien ne la rattachait à ce monde et elle aurait très bien pu se laisser mourir en cet instant, mais l'Envers avait pris une si grande place dans son esprit qu'elle ne pouvait se résoudre à abandonner son peuple imaginaire. Elle finit donc par retourner en ville et subvint à ses maigres besoins nutritionnels en volant les marchands ou en pillant des potagers. Elle pensait souvent à Helian, qui était elle ne savait où. Comment allait-il ? Était-il heureux, lui ? Avait-il un royaume à protéger, comme elle ?

A force d'errance, Raei commençait à connaître les gens de la rue. Les clochards, les poivrots, mais aussi les figures du marché noir. C'est par ces personnes qu'elle entendit parler de comprimés qui permettaient de rêver éveillé. La jeune fille grandissait, son imagination enfantine la quittait et elle avait de plus en plus de mal à s'y projeter. Grâce à ces cachets, on lui garantit une immersion totale dans son subconscient. Raei essaya. Elle y prit goût. Son besoin croissant de disparaître dans son royaume était pleinement satisfait par une petite pilule blanche. Malheureusement, ces Portails avaient un prix. L'homme qui l'y avait initiée s'appelait Kuzag et il était connu pour ses nombreuses affaires illicites. Il lui proposa de travailler pour elle, comme fille de joie. Voilà comment, à seize ans à peine, Raei se retrouva à vendre du plaisir dans les quartiers portuaires de Reilor. Contrairement à la plupart des femmes qui exerçaient ce métier à contre-cœur, Raei, qui avait passé sa vie à tout endurer par l'indifférence, n'en faisait pas grand cas. C'était certes assez déconcertant au début, mais elle s'y adapta. Kuzag la payait en psychotropes plus quelques pièces pour se nourrir. Cette vie suffisait amplement à l'adolescente. La nonchalance presque apathique avec laquelle elle faisait son travail et sa personnalité absente et peu loquace lui valurent le surnom de « Fantôme ». Cela n'en effraya personne, au contraire ; Raei devint une attraction nocturne. Les hommes qui usaient de ses services se lançaient des défis obscènes et parlaient d'elle comme d'une bête de foire. Kuzag en tirait profit et chérissait sa vache à lait, ce qui attisa la jalousie de ses congénères.

Le soir de ses dix-huit ans, alors qu'elle s'apprêtait à s'en aller pour Envers, un groupe de jeunettes firent irruption dans la chambre qui lui était assignée. L'une d'entre elles, une blonde aux cheveux courts, qui avait un fort caractère s'avança un peu plus. Raei ne l'aimait pas.
― Alors ? Comment va le Fantôme ce soir ?
― Tu veux quoi ?
― Ça te fait rien d'être la petite protégée de Kuz ?
― J'ai rien demandé.
― Vas te faire foutre, salope ! T'es qu'une gamine, tu connais rien à la vie ! On mérite mieux que toi !
― T'as qu'à le lui dire à lui.
Alors qu'elle disait cela, Raei essaya de dissimuler son comprimé dans un pli de sa robe noire. Mais la fille le vit et s'empressa de lancer :
― Alors c'est vrai ? Il te paye en came ?
― Dégage.
Des rires et des murmures s'élevèrent dans le petit groupe de filles.
― On se fait voler notre boulot par une putain de camée !
La blonde essaya de lui prendre la cachet. La réaction de Raei fut immédiate : elle lui mis un violente claque sur la joue gauche qui la fit tomber sur le côté. Folle de rage, la blonde se jeta de nouveau sur elle et Raei, qui s'était levée, fut repoussée contre le mur. Se ressaisissant, elle décrocha le miroir qui se trouvait à côté d'elle et le fracassa sur la crâne de son agresseur qui revenait à la charge. Le groupe de filles lançait des cris d'encouragement pour leur amie qui peinait à se relever. Raei répéta :
― Dégage.
La blonde se releva et retourna en direction du groupe. Puis, elle se retourna et ouvrit sa main droite, découvrant le petit cachet blanc qui logeait au creux de sa paume. Elle le goba rapidement avec un rictus avant de déclarer :
― Allez, on se casse.
Mais Raei n'en resta pas là. Elle avait osé. Elle avait avalé un de ses précieux Portails, la seule chose matérielle à quoi elle tenait. Cette fille. Utiliser ses cachets. Prise d'un accès de rage encore inédit, Raei ramassa un morceau de miroir tranchant et le planta violemment dans le dos de la blonde qui s'apprêtait à franchir la porte. Elle le retira, et frappa une seconde fois. Sous les cris d'effroi et de surprise, elle frappa une troisième, puis une quatrième fois, avec une violence croissante. Elle frappa encore plusieurs fois sur le corps tombé à terre, s'aspergeant d'un liquide écarlate qu'elle n'avait alors vu couler que de ses propres plaies. Puis elle se calma. Le groupe s'était dispersé et tout le monde s'était enfui. Raei se leva et alla se jeter dans son lit.

― Mais qu'est-ce qui t'a pris ?!
Dix minutes plus tard, Kuzag avait appris par les autres filles ce qui s'était passé. Il s'était aussitôt précipité dans la chambre de Raei et l'avait trouvée en plein délire. Il l'avait donc transportée jusque chez lui où il avait attendu qu'elle revienne à elle. C'est finalement après une bonne nuit de sommeil qu'il la sermonna :
― T'es malade où quoi ? T'as buté Soa à cause d'un cachet ?
Assis sur une chaise, il faisait face à Raei qui était à genou sur le lit.
― Il était à moi.
― Tu réalises ce que t'as fait ?
― Oui.
― T'es accro, Raei. Je pense que ça tu devrais arrêter.
― Jamais.
― C'est pas un conseil, c'est un ordre.
― Arrêtes ! Tu sais que j'en ai besoin !
― Tu dérapes complètement !
Raei resta silencieuse un moment, puis s'approcha de l'homme. Prête à tout, elle commença à retirer les bretelles de sa robe en s'asseyant à califourchon sur ses cuisses. Kuzag la repoussa brusquement et se leva.
― Je te payerai comme les autres et tu iras chercher ta came avec ton propre fric.
Il lui tourna le dos. Une poignée de secondes plus tard, Raei l'avait assommé d'un coup de chaise. Le proxénète perdit connaissance et Raei commença à mettre à sac toute la maison. Elle finit par trouver une bonne quantité de pilules hallucinogènes qu'elle glissa dans un sac avant de prendre la porte. Cette même nuit, elle quitta Reilor, bien décidée cette fois à vivre en autonomie.

Ce fut alors le début d'une année d'errance où Raei voyagea dans les contrées de Lan Rei, cherchant l'inspiration et le changement d'air. Ses itinéraires étaient guidés par ses provisions en hallucinogènes. Elle y avait trouvé un substitut presque aussi satisfaisant, une variété de champignons, et gardait ses pilules pour les moments où elle n'avait pas le choix. Lorsque sa réserve s'épuisait, comme ce fut le cas à deux reprises, elle retournait en ville pour voler ce dont elle avait besoin, employant alors tous les moyens pour arriver à ses fins. Les hommes sont si faciles à manipuler quand on est jeune, jolie et prête à tout...

Les images se troublent. Raei a un vertige ; elle se sent tomber en arrière. L'instant d'après, elle est de retour dans la pièce blanche, allongée sur le dos dans ce liquide incolore. Revivre dix-neuf ans d'existence, c'est épuisant...
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Arhid Gramar
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MessageSujet: Re: Une Misérable Reine   Une Misérable Reine EmptyLun 07 Juin 2010, 18:01


Une Misérable Reine Coeurfs0

C'est toujours un déchirement d'infliger cela aux voyageurs. Plus de souffrances que de bonheur apparaissent a la surface… Pourtant, je continue imperturbablement à propulser sur l'onde les fragments de son cœur, de ses entrailles. Et cela est ma seule finalité, je n'existe que dans ce but, je ne me réalise que lorsque j'égrène le chapelet de leur histoire, le reste du temps je ne suis qu'une idée abstraite et avortée. Mais en vérité, j'aurai eu le choix, j'aurai pu tout arrêter, mais la jeune femme n'aurait jamais pu quitter l'endroit et serait restée prisonnière de cette salle. Il faut donc toujours que je choisisse entre le meurtre et l'assassinat, en espérant faire ce qu'il y avait de mieux pour tous ces passants. J'observe avec eux leur passé, leurs souvenirs, discrètement penché au dessus de leurs têtes, j'espére qu'aussi insaisissable qu'il soit, mon souffle puisse leur apporter une once de réconfort. J'ai vu tellement de passés que finalement ces moments de vies n'arrivent plus à m'atteindre. Il n'y a que la tristesse et la joie présentes, enfermées dans cette pièce, qui me touchent encore.
La petite clé lumineuse, apparait dans un souffle, file comme un carreau d'arbalète, s'extirpant des flots comme une improbable figure de proue. Elle barre l'air d'un soupir et se fiche dans la poitrine de l'elfe en pleurs. Déchirant la chair, je pu m'extirper enfin de cette cage, libéré par toutes ces épreuves. Un homme ne devrait jamais voir son cœur à nu. C'est pour cela qu'aucun ne se souvient de cette partie du Rêve.

Lourd cœur de métal, je flotte un instant puis je m'abats sur le sol, disparaissant dans les remous qui ont commencé à agiter l’étendue d’eau. Des vagues venues de nul part se brisent contre les parois blanches de la pièce, des petits tourbillons se forment autour de la jeune femme… L’écume des vagues finit par grignoter les murs, et il semble alors que ceux-ci s’effritent… et, soudain, toute l’eau est comme aspirée vers la brèche qui s’est formée. Un puissant courant balaye tout, et tandis que l'eau s'enfuit, la jeune femme est entraînée, impuissante, comme si ce fleuve en furie l’emmenait droit vers une cataracte. Maintenant qu'elle a réussit, elle peut tout oublier, tout recommencer.


Une Misérable Reine Clblancheyq8


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MessageSujet: Re: Une Misérable Reine   Une Misérable Reine EmptyLun 07 Juin 2010, 18:28

Ouaaais merci beaucoup !!
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MessageSujet: Re: Une Misérable Reine   Une Misérable Reine EmptyLun 07 Juin 2010, 18:46

Amuses-toi bien! Wink
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MessageSujet: Re: Une Misérable Reine   Une Misérable Reine EmptyMar 08 Juin 2010, 13:41

Super fiche !!!
Non jrigole, j'lai pas encore lue bien comme il faut, juste en diagoinale... mais jpeux au moins dire que j'aime le style. La vraie lecture est prévu au programme v_v

En tout les cas, bienvenuuuue à toi !!!
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MessageSujet: Re: Une Misérable Reine   Une Misérable Reine EmptyMar 08 Juin 2010, 15:19

Soit la bienvenue chez toi I love you
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MessageSujet: Re: Une Misérable Reine   Une Misérable Reine EmptyMar 08 Juin 2010, 15:38

Voila un perso intéressant Smile J'ai beaucoup aimé ton histoire comme je te l'ai déjà dit.
Bienvenue sur Aik donc, en espérant que tu t'y amuse bien !
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Kaleya Lhil
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MessageSujet: Re: Une Misérable Reine   Une Misérable Reine EmptyMar 08 Juin 2010, 20:09

Bienvenue !!! Et comme l'a dit Balsa, ton perso est super intéressant. Vachement bonne idée ! cheers

J'espère que tu t'amuseras bien ! Very Happy
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MessageSujet: Re: Une Misérable Reine   Une Misérable Reine EmptyMar 08 Juin 2010, 20:12

Merci beaucoup tout le monde ! ^^
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MessageSujet: Re: Une Misérable Reine   Une Misérable Reine EmptyMar 08 Juin 2010, 21:38

Un tit message juste pour te dire que ça y est, tu as ton rang d'homme, ton gif moche et ta couleur XD

Amuse toi Smile
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MessageSujet: Re: Une Misérable Reine   Une Misérable Reine EmptyMar 08 Juin 2010, 21:44

Merci ! Vive le bleu !
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MessageSujet: Re: Une Misérable Reine   Une Misérable Reine EmptyMer 09 Juin 2010, 00:33

C'est Re-Moi, pour dire que j'ai lu ta Fiche *o*
Très belles idées, j'aime beaucoup ce personnage.
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MessageSujet: Re: Une Misérable Reine   Une Misérable Reine EmptyMer 09 Juin 2010, 01:30

Encore merci^^
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