Mystère [libre une personne]

Invité

Lentement, l'Ange s'approcha de la plage. Les cheveux au vent, le soleil accompagnait son pas léger. On avait presque l'impression qu'elle flottait. Ses trois paires d'ailes étaient gentillement repliées sur son dos et malgré leur grandeur impressionante, elles ne gênaient nullement la jeune femme. Un sourire éternelle sur son fin visage, ses pieds nus rentrèrent en contact avec le sable chaud. S'arrêtant un instant, Haïdi regarda ses orteils s'enfonçaient dans les grains pour ressentir la matière. Elle aimait beaucoup ne faire plus qu'un avec la nature.

D'un coup, elle releva la tête et commença à courrir en riant, sautant et tournant sur elle-même. Son rire pur et cristallin devait s'entendre sur toute l'étendue de la plage. Peu importe! Si les esprits du mal la trouvaient sans défence et sans puissance, ils auraient vite déchanté! Mais pas d'âmes corrompues à l'horizon. C'était peut-être aussi pour cela que la jeune femme était de si bonne humeur.

Arrivant près de l'eau, Haïdi laissa les vagues lui lécher les pieds. L'eau était à bonne température. Elle se sentait libre. Sa robe lui arrivant au dessus des genoux, elle n'avait pas peur de mouiller le vêtement léger. Puis elle se calma, comme si sa folie était partie, envolée. Marchant tranquillement, elle semblait rayonner. Lentement, elle commença à chanter un hymne au soleil, astre qu'elle appréciait beaucoup, comme sa comparse la lune.

Sous tes rayons dorés
Ou sous ta douce chaleur
La nature se réveille
En s'étirant, bercée par ta lumière
Impériale et majestueuse,
La vie sans toi ne pourrait exister.

Souvent haut dans le ciel,
Ouvrant tes bras aux hommes,
La joie emplit leur cœur mortel,
Entourés par ta présence en somme
Incolore et pourtant réelle,
La vie sans toi ne pourrait se faire.

Suis-moi, prends-moi la main,
Oublie un moment ton chemin
Loin de toute cette agitation
Eloignons-nous vers un autre monde
Instant de tranquillité
La vie sans toi ne pourrait exister.

« Le ciel est bleu... Blanc, des petites tâches. Le ciel est bleu tâché de blanc. La robe de soie du ciel s'agite comme une bannière au gré du vent, claquant... Claquant. Claquant du caquettement des Mouettes. Voiles blanches envolées des voiliers, portées comme des bribes de mots dans un murmure. Moué, avec le bruit qu'elles font celles-là... »

Les pieds enfoncés dans l'épaisseur chaude du sable, confortablement assis dans son siège granuleux, Aldo tendit la main jusqu'à un coquillage vide et le lança en direction d'un oiseau, un rictus mauvais à la bouche. Loupé! L'aventurier déploya ses ailes majestueuses et s'éloigna par-dessus les vagues.

« Crénom d'sale bête. »

Il attrapa le crayon qu'il avait niché sur son oreille, le passa sur sa langue, et entreprit d'écrire quelques mots sur son carnet de papier mâché. Des mots qui font rêver, des phrases qui font s'évader. Des vers sans suite, des idées insensées. Plus tard il remettrait peut-être un peu d'ordre dans ce puzzle schizophrène.

« C'est quoi ce mot déjà...? »

Ses plumeaux de sourcils s'entrechoquèrent sur l'arrête de son nez, barrière virtuelle au troupeau dévasté de son esprit qui cherchait par toutes les failles à s'évader. Le poète n'avait que sa passion pour lutter contre la folie douce qui s'emparait de lui, sa langue natale était son étoile du berger, ses idées des chiens sautillant acharnés à la tâche. Combien de temps encore répondraient-ils au sifflement du maître?

« Parcimonie! »

Au pied! Et voilà que la belle vint fourrer son long museau dans sa main et la lécher avec dévotion. Pauvre Archibaldo, là haut, bien plus haut que son grenier plein d'araignées. Là où les animaux n'osent aller. Quelque part entre ciel et terre, des sapins et des vapeurs envoûtantes, des surfaces miroitantes sur le chemin et puis, le chaos des couleurs.

Eloignons-nous vers un autre monde
Instant de tranquillité...

« Oui c'est ça, merci! »

Quoi?! L'homme tourna brusquement la tête vers l'origine du chant, les yeux d'abord écarquillés de surprise, puis plissés par la myopie. Une silhouette s'approchait, aux formes... Etranges. Une femme-mouette venue venger les toucheurs de coquillages! Vite, elle ne l'avait pas encore vu, il se leva et courru au petit bois qui bordait la plage, se cachant derrière le premier arbre au tronc rugueux. Elle s'approchait lentement, elle prenait tellement de temps. Le pauvre Aldo, appuyé à son connifère, collant son visage à la sève purrulante pour mieux voir. Il était effrayé. Voilà... Combien de temps déjà? Il ne savait plus. Ici, dans ce coin désert, personne ne marchait jamais. Et puis elle rayonnait. Avait-il émis tant de lumière lui aussi? Etait-ce son âme qui la couvait et qu'il avait égaré la sienne en venant ici? Suza l'avait prévenu, que s'il prenait le bâteau, il ne reviendrait plus. Il ne serait plus jamais le même. Oui, il avait été trop égoïsté, entêté jusqu'au bout bien comme toujours. Et il avait alors trouvé l'île, du moins le croyait-il, mais il n'avait pas pu retourner la chercher, pour lui dire qu'il l'avait trouvé et qu'il était déçu. Et puis il n'avait pas voulu la quitter non plus, son île. Et maintenant quelqu'un d'autre l'avait vue. Il fallait la tuer. Elle ne devait pas le répéter, c'était la sienne, il ne voulait voir personne d'autre!

Mais... S'il pouvait prendre des nouvelles de Suza? Non, il préférait l'observer encore. Peut-être que c'était un piège.

Invité

Un homme... Possible... En tout cas, aucune aura maléfique entourait l'étranger. Toujours en chantant, le bel Ange s'approcha de l'inconnu. D'un pas léger et lent, comme à son habitude. Mais il se leva et partit en courant vers l'orée de la forêt. Lui avait-elle fait peur? Ce n'était nullement son intention. Haïdy sourit et continua sa progression comme si plus rien n'existait autout d'elle. Comme si le temps s'était arrêté et qu'il n'existait plus qu'elle.

Aller à la rencontre de l'homme? Oui mais si elle le faisait, il allait peut-être encore s'enfuir et elle ne le voulait pas. Alors l'Ange décida de déplier ses ailes, ses belles ailes blanches. D'un mouvement, la jeune femme s'éleva du sol pour venir attérir quelques mètres plus loins, juste en face de l'arbre qui servait de pseudo-cachette à l'étranger. Lui tournant le dos, elle s'avança vers la mer et se fit tellement légère que, alors que tout être voulant rentrer dans l'eau devait s'enfoncer dans l'écume, elle marcha dessus. Elle fit quelques pas et s'arrêta finalement, ses yeux regardant loin vers l'horizon.

Et Haïdy éclata de rire. Cela lui prenait souvent, rire juste parce qu'elle en avait envie, sans raison apparente. Car le rire était un bien précieux et celui qui perdait l'envie de rire, et donc de vivre, ne devenait que l'ombre de son ombre.

L'ange tourna la tête vers l'inconnu et dans un sourire, s'enfonça dans les eaux profondes de la mer. Mais elle avait tout calculé! Elle était d'humeur coquine aujourdh'ui! Elle avait créé un bouclier qui lui permettait de respirer et de ne pas se mouiller. Elle sentit l'homme se rapprocher de l'eau, sûrement pour voir ce qui se passait... Haïdy attendit quelques secondes puis s'ejecta hors de l'eau, déployant majestueusement une deuxième fois ses ailes.

Reprenons notre sérieux... Le bel Ange vola lentement vers la rive et se posa avec délicatesse dans le sable. Ses trois paires d'ailes se replièrent et c'était souriante qu'elle se rapprocha de l'étranger. Mais elle ne lui parla pas car l'Ange ne répondait qu'aux questions, ce n'était jamais elle qui entamait une conversation. Tournant la tête, elle s'éloigna doucement de l'homme. S'il voulait la questionner, elle était prête à satisfaire ses envies. Sinon, elle passerait son chemin en quête d'une nouvelle âme à aider! A lui de choisir!

« Psst ! Va-t’en ! Tu vas nous faire repérer ! »

Il donna des coups de main agacés en direction d’une pluche d’écorce flottante au bout d’un fil d’araignée. Celui-ci s’accrocha un bref instant à son doigt puis s’en retourna à la terre dans une chute, bousculé. Archibaldo, l’extravagant poète (quoi ? de quel pléonasme parlez-vous ?), s’écarta de son arbre pour avancer en trottinant derrière un autre. Ses yeux délavés ne distinguaient toujours que très vaguement les traits de la créature s’engageant vers l’eau. Ils eurent à peine la force de s’écarquiller lorsque, stupéfait, Aldo constata qu’elle ne se mouillait pas dans l’onde mais y reposait. Etait-elle capable de voler sans plier et déplier en cadence ses six grandes ailes plumeuses ? Il n’avait jamais rien vu de tel !

« Nom d’une Elfe sans culotte ! »

Il secoua la tête et, ahuri, se mit en marche sans réfléchir sur la plage pour mieux voir ce qui se tramait d’incroyable. Et Plouf ! Elle s’enfonça sans crier gare entre deux dunes d’écume, disparaissant sous la surface bleutée.

« Haha ! Bien fait ! C’est bien f… »

Il eut un geste de recul, s’abritant le visage d’un bras plié contre une possible réplique de la part de… De… L’ange ! C’était un ange ! Aldo en avait déjà maintes fois entendu parler, il en avait même vu le jour où il avait épousé Suza. Alors elle n’apportait pas de danger, l’homme pouvait soupirer. Les anges étaient des créatures pacifiques grotesquement ennuyeuses. Oui, ils n’avaient à offrir que des rimes fades, de leur philosophie bien trop sage. C’est facile, ça, quand on est beau et bienveillant ! Pas d’effort à faire, tout le monde vous apprécie naturellement, parce qu’à l’occasion vous servez d’éventail… Aldo n’avait pas cette même vision du monde, non non non. Il savait avoir fait des erreurs mais les assumait pleinement, sa sagesse à lui il avait trimé pour l’acquérir et elle en était d’autant plus précieuse. Il y a des enfants bien trop gâtés…

Baissant les bras, il la dévisagea avec myopie, puis lui tourna le dos et reparti vers la forêt : Il avait un p’tit creux. Sa hutte, tenue debout parmi les branches grâce à la forte d’un saint esprit généreux, était donc perdue entre les arbres. A son arrivée, victorieux, le poète l’avait construite vaillamment à cet endroit car il lui semblait suffisamment reculé de la mer pour s’en protéger, tout en restant assez près pour la surveiller. Il avait repéré certains arbres biscornus pour la retrouver facilement, cependant à présent que son esprit s’échappait comme les mouettes chassées par les coquillages cascadeurs, il ne les connaissait plus. Peu importe où il passait, combien de fois il marchait de nouveau sur ses fraîches empreintes, il finissait par la retrouver, ne sachant parfois plus pourquoi il voulait la rejoindre. Il avait donc de la chance, d’un certain point de vue.