Aïklando
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"Homme libre, toujours tu chériras la mer !"
"La mer enseigne aux marins des rêves que les ports assassinent."
"La sagesse, c'est d'avoir des rêves suffisamment grands pour ne pas les perdre de vue lorsqu'on les poursuit."
"Il est des moments où les rêves les plus fous semblent réalisables à condition d'oser les tenter."
"Le voyage est une suite de disparitions irréparables."
"Nous sommes de l'étoffe dont sont faits les rêves, et notre petite vie est entourée de sommeil."
"Dieu nous rêve. S'il s'éveille, nous disparaissons à jamais."
"Nous trouverons un chemin... ou nous en créerons un."
"Le rêve de l'homme est semblable aux illusions de la mer."
"Il n’est pas de vent favorable, pour celui qui ne sait pas où il va…"
"Il y a trois sortes d'hommes : les Vivants, les Morts, et ceux qui vont sur la Mer."
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 Échange de bons procédés

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Rána
=Aïkologue=

Rána


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MessageSujet: Échange de bons procédés   Échange de bons procédés EmptyMer 13 Juil 2011, 21:52

― Ah, vous voilà !

Dans un couloir de la grande prison de Reilor, un gros gardien se réjouissait de la venue de l'officier Joram Shynx comme de celle du messie.

― On a un problème.

Joram Shynx était un vétéran de l'armée de Lan Rei. Il avait connu de nombreuses années de service irréprochable, mais en raison de son âge – il approchait la soixantaine – on l'avait rétrogradé à un poste plus calme en tant qu'officier de milice et gardien en chef de la prison. A l'époque où il fut muté, son moral et son égo en avaient pris un coup, mais il s'en était bien remis et occupait sa fonction avec sérieux et efficacité.

La nuit touchait bientôt à sa fin et une fatigue générale se faisait ressentir après le mouvement de panique qu'avait suscité l'évasion de tout un groupe de prisonniers. Joram n'avait pas pris part à l'opération, occupé dans les sous-sols à une histoire de règlements de compte entre prisonniers particulièrement sanglante. Du sang, il en avait vu, et il en fallait beaucoup pour l'impressionner ; c'est ce qui lui valait une affectation systématique aux affaires sordides et répugnantes.

Il allait rentrer chez lui quand on lui avait signalé un cas qui rentrait précisément dans la catégorie « sordide et répugnante ». Un massacre dans une taverne, apparemment gratuit, dont l'auteur présumé était une jeune adolescente mystérieuse. Elle avait été prise tout près du lieu du crime et n'avait pas vraiment résisté quand on l'avait interpellée.

Le gros garde, qui répondait au nom d'Ernest, lança un regard soulagé à son supérieur. Il avait un bout de papier froissé dans la main droite et un litron de vin rouge dans la main gauche.

― Vous avez fait le rapport ? demanda Joram avec nonchalance.
― Ben en fait, c'est que c'est comme qui dirait un peu plus compliqué que comme c'était prévu qu'ça allait être. J'arrive à rien avec elle.
― Vous savez qui c'est ?
― Elle a dit qu'elle s'appelait Salade.
― …Salade ?
― Ben c'est qu'est-ce qu'elle a dit, chef.

Joram poussa un soupir et accéléra le pas sans prendre la peine de répondre au subordonné qui le suivit en respirant fort. Il sortit du large couloir et en emprunta un autre plus petit au bout duquel l'attendait deux autres gardes. Il passa auprès d'eux, leur donna congé et entra dans une petite pièce éclairée à la bougie. Au centre se trouvait une table de bois. Sur celle-ci étaient posés une petite pile de feuilles en désordre, une plume et un encrier. Deux chaises se faisaient face de part et d'autre ; celle qui leur tournait le dos était vide et sur l'autre était assise une jeune fille dont il était difficile d'estimer l'âge. Elle semblait être aussi fatiguée qu'une vieille femme, mais son corps frêle était celui d'une adolescente d'une douzaine d'années. Ses yeux quant à eux semblaient refléter sans voilage le plus noir et le plus primaire aspect de son âme. Même dans cette position de soumission, assise, rabaissée, poignets liés et cadenassés devant elle, la détenue faisait froid dans le dos. Ernest, dont la simplicité d'esprit l'exemptait de tout malaise, semblait faire fi de cette atmosphère et prenait de grandes rasades de vin sans se préoccuper de la fille. L'officier non plus ne se laissait pas impressionner ; il s'assit en face d'elle et plongea un regard hardi dans ses pupilles sans fond.

― Bien. Ça t'amuses de te foutre de nous ? fit-il sur le ton des gens qui ont d'autres chats à fouetter – ce n'était pourtant pas son cas : il avait officiellement terminé son service depuis un moment et personne ne l'attendait chez lui, pas même un chat.
― On ne choisit pas son prénom, monsieur le maton, répondit la détenue avec calme.
Joram prit la plume, la trempa dans l'encrier et effleura le papier en ordonnant sèchement :
― Je veux ton vrai nom.
― Aaah mon vrai nom ? Chou-fleur.
Ernest faillit s'étouffer avec une gorgée de vin. Il toussa bruyamment et s'écria :
― Ahaha, n'importe quoi ! C'est même pas un nom de fille !
― Chou-fleuse, alors.
Joram plaqua si brusquement ses mains sur la table que le bidasse sursauta et recracha un flot de liquide qui tâcha ses vêtements.
― Ça suffit ! Arrête de te payer notre tête ! Je veux ton nom et tout de suite !
― Oh, attendez ! Ça me revient : Lâche-Moi-la-Grappe.
― DONNE MOI UN NOM SALE PESTE !
― Isilwen.
― Isilouenne ? C'est quoi comme légume ça ?
Le vieil officier se rassit et griffonna sur une pièce de papier.
― Bon. Comme c'est le premier nom censé que tu nous donnes, on va dire que tu t'appelles Isilwen.
Il marqua une pause avant d'ajouter :
― Et on va oublier le nom de famille...
― Poireau.
Joram ignora cette remarque et enchaîna :
― Passons à la suite. On dit que tu es responsable du bordel au Karill Fumant. A en juger par tes vêtements et ton sale caractère, ça ne fait pas l'ombre d'un doute. Tu as une maison ?
― Navet.
― Bien. Tu m'as tout l'air d'une clocharde, dit-il en griffonnant à nouveau.
― Oignon.
― Tu sais, si tu ne coopères pas, tu vas rester toute ta vie dans cette prison. Ça serait-dommage, à ton âge.
― Radis.
― Il y a trois morts, un blessé grave et une jeune femme en état de choc. Le tavernier ne veut rien nous dire sur ce qui s'est passé là-dedans. Tu es responsable de ce merdier, oui ou non ?
― Oui, monsieur le maton.
― Tu l'as fait exprès ?
― Non, monsieur le maton.
― Bien sûr que tu as fait exprès de déchiqueter trois personnes ! Tu es quoi ? Une serial-killeuse ?
― Oui, monsieur le maton.
― Tu sais, j'en ai rien à foutre de toi. Que tu ne sois qu'une enfant, que t'aie eu une vie horrible, que ce soit bien clair : j'en ai rien à secouer. Si tu coopères pas, tu vas crever ici, c'est aussi simple que ça.
― Oh, ça j'en doute beaucoup, monsieur le maton.

L'officier et la fille s'irradiaient du regard. La tension montait rapidement et il y aurait sans doute eu une explosion s'ils n'avaient pas été interrompus par une voix aussi enjouée que hors de propos.

― Chef ! On a réussi à retirer l'épée !
― Quelle épée ?
― Vous êtes pas au courant ? Il faut que vous veniez voir.
― Pas maintenant.
― Ça serait pas plus mal, pourtant. C'est Arthur qui l'a retirée (vous savez, celui qui ressemble à un ours) et maintenant il se sent plus, il dit qu'il va asservir tout le royaume et il provoque tout le monde en duel. Ça va finir dans le sang, c't'histoire.

Évidemment. Dès qu'il est question de sang, c'est vers l'officier Shynx qu'on se tourne.

― Ernest, je reviens. Tu restes ici et tu la surveilles.
― Mais moi aussi j'veux voir !
― Ne discutes pas mes ordres.

Joram rejoint le soldat qui avait fait irruption et tous deux disparurent dans le couloir. Ernest pris soudain un air très grave, releva le menton et but une gorgée solennelle de vin rouge. Il s'assit en silence sur la chaise libre, sous le regard perplexe de Salade – ou Grappe-de-Raisin, il avait eut du mal à suivre la conversation. Tous deux se regardèrent dans un silence presque gênant qui fut coupé court par le garde bouffi.

― C'est pas très bien c'que t'as fait ! déclara-t-il comme si elle avait attaché une casserole à la queue d'un chat. Il pointa un doigt accusateur en posant sa bouteille sur la table.
― Ah ? Et qu'est-ce que j'ai fait ?
― Euh... Ben euh... Joue pas au con avec moi, hein !
― Vous avez pas peur que je m'échappe, si vous laissez la porte ouverte ?

Le garde jeta un regard derrière lui et sembla étudier cette suggestion. Lorsqu'il reposa son regard sur la détenue, il eut juste le temps de la voir s'emparer de la bouteille en verre de ses deux mains liées et, d'un revers, le frapper à la tête. Le choc et la surprise le firent tomber par terre, suivant le mouvement du flacon qui s'était brisé en cognant son crâne, tout près de la tempe gauche. La jeune fille bondit sur la table et sauta sur l'homme au sol ; ses genoux vinrent s'écraser sur ses biceps gras, lui arrachant un cri rauque. Elle retourna son arme pour la tenir comme un pilon, et donna plusieurs coups frénétiques vers le bas. Le contenant se désagrégeait à mesure que le pauvre maton se défigurait. Contrairement à son officier, quelqu'un attendait qu'il rentre : sa mère. Mais c'était sans importance à présent ; elle ne l'aurait sûrement pas reconnu s'il retournait au bercail après cette agression. De plus, Rána venait d'avorter cette éventualité en tranchant sa gorge rougeaude avec ce qu'il restait de la bouteille de vin.

Pendant ce temps, Joram observait avec une patience fragile le héros victorieux qui jouait avec une épée à deux mains de bonne facture. Une petite foule s'était rassemblée autour de lui, laissant un bon espace de sécurité entre elle et lui. L'imposant soldat, sans aucun respect pour l'arme, l'agitait en tous sens avec plus de force que d'adresse. Il accompagnait ses gestes de copieuses insultes à l'égard de n'importe qui.

― Personne ne peut me vaincre ! Je serai bientôt le nouveau roi de Lan Rei !
― Ça suffit.

La voix ferme de Joram était très respectée au sein de la prison. Même Arthur, qui était aussi fort que bête, se figea net et se mit au garde-à-vous. L'officier s'approcha de lui.

― D'où vient cette épée ?
― De la Grande Porte. Elle y était enfoncée.
― À qui appartient-elle ?
― À une centaure, je crois. Elle faisait partie du groupe qui s'est évadé.
― A-t-elle un fourreau ?
― Oui. Nous avons confisqués plusieurs biens appartenant à son propriétaire.
― Bien. Amenez moi tout ça. Je vais prendre l'épée.
― Mais...

Un regard suffit à convaincre Arthur qui céda l'arme en faisant la moue. Un soldat s'en alla chercher une besace et un fourreau et les rapporta à Joram qui retourna à son office sans ajouter un mot. Cette journée était décidément éreintante. La petite peste avait tout intérêt à se montrer coopérative ou il risquerait d'y avoir du sang sur les murs.

Il reprit le grand couloir, tourna dans le plus petit et marcha d'un pas preste jusqu'à son office. Il stoppa net lorsqu'il aperçut la carcasse gisante du gros Ernest, éventré et défiguré. La détenue quant à elle avait disparu. Joram entra et balaya la pièce du regard. Où était-elle ? Si elle n'était pas dedans...

Trop tard. Deux bras liés par les poignets passèrent au dessus de sa tête et se serrèrent autour de son cou. L'officier lâcha aussitôt la besace et l'épée et attrapa les mains qui l'étranglaient pour tenter de les écarter mais la fille le tirait en arrière en y mettant tout son poids. Joram se pencha en avant pour la soulever et se laissa ensuite tomber sur le côté. Tous deux heurtèrent la table de bois qui céda sous leur poids, faisant voler les feuilles et l'encre. La jeune fille, même à terre, n'avait pourtant pas lâché prise. Toussant, suffoquant, Joram finit par se résoudre à sortir sa clé afin de déverrouiller le cadenas, libérant ainsi les mains de son adversaire. Au moins, il respirait. Se dégageant rapidement, il ramassa la lourde épée à deux mains qu'il ôta de son fourreau. L'arme tremblait légèrement lorsqu'il se mit en garde mais elle était entre des mains expertes. Si Joram n'avait plus vraiment usage des longues lames, il avait gardé un rythme d'entraînement régulier. Dans son regard, il y avait la vraie bravoure qui l'avait porté pendant ses années de guerre.

― Si tu essaies de sortir d'ici, je te jure que je te tranche !

Son adversaire ne semblait pas impressionnée. Elle se releva et lorsque son regard croisa celui de Joram, il se figea sur place. Ses iris verdâtre s'étaient élargies, ses pupilles dilatées, et deux canines pointues dépassaient de sa bouche entrouverte. Les bouts de ses doigts s'étaient assombris et ses ongles transformés en griffes.

― Tu es un...

La monstrueuse jeune fille profita de cet instant de surprise pour se jeter sur l'homme et le projeter à terre. Elle ramassa l'encrier fissuré et le brisa sur sa tête puis se releva pour lui asséner quelques coups de pieds dans l'abdomen. Joram cracha le sang et essaya de se recroqueviller mais elle ne lui laissa pas le temps de souffler et s'assit à califourchon sur ventre endolori.

― Comment... une... gamine...

La lycanthrope découvrit le torse de l'officier et y planta ses griffes.

― Une gamine ? Non. Plus maintenant.

Joram était incapable de se relever. En jetant un bref regard autour de lui, il constata que la besace qu'on lui avait rapporté était à portée de main. Il l'ouvrit et fouilla à l'intérieur ; ses doigts se coupèrent au contact de nombreuses lames fines. Il en prit une poignée et découvrit qu'il s'agissait de pointes de flèche, en or et en argent. Il n'en garda qu'une, en argent, qu'il planta dans la cuisse de son adversaire. Celle-ci poussa un cri et arracha aussi sec la petite pièce qui avait pénétré sa chair. Cela sembla attiser la rage qui la gagnait et elle attrapa la tête de Joram pour lui cogner l'arrière du crâne sur le sol. Puis elle s'empara de la plume qui était tombée près d'eux et la planta sauvagement dans l’œil droit de l'officier qui se mit à hurler. Elle la trempa ensuite dans le sang qui s'écoulait et fit plusieurs entailles sur son front en sueur, lui arrachant plusieurs cris successifs.

― Tu voulais mon nom ? Tiens, le voilà.

La jeune fille se pencha pour attraper l'épée et plaça la lame bien en face du visage de Joram qui put alors lire avec l’œil qui lui restait les quatre lettres qu'elle avait gravé sur son front :

« AИÀЯ »


Cet unique mot fut le dernier qu'il lirait.

On le retrouva une heure plus tard, mort à la suite d'une agonie dont personne ne fut témoin. Injustement, son nom ne resterait pas longtemps gravé dans les mémoires et personne ne chercherait jamais à le venger. Son assassin quant à lui était déjà sorti de la ville depuis un moment et gagnait à présent la forêt toute proche.

Rána avait emporté avec elle la longue épée, son fourreau, et la besace qui allait avec. Le plus difficile avait été de quitter Reilor sans attirer l'attention sur son arme massive et trop longue pour elle. Pourquoi l'avait-elle emporté ? C'est simple : depuis plusieurs mois, elle avait pris soin de récupérer tout objet potentiellement dangereux qui lui passait sous la main et les cachait dans une réserve personnelle située dans les sous-bois où elle se rendait.

Les oiseaux commençaient à célébrer l'aube lorsqu'elle arriva à sa cachette, un arbre creux dissimulé derrière d'épais buissons. Là étaient entreposés de nombreuses armes blanches, quelques objets contondants, un large choix de projectiles et des choses ramassées ici et là : pièges à loups, bouteilles de verre et d'argile, clous, pièces de machines...

Rána déposa l'épée avec le reste de son inventaire et ouvrit la besace pour en inspecter le contenu. Outre les pointes de flèche, elle y découvrit une pierre à aiguiser et des herbes odorantes dont elle se débarrassa aussitôt. Cela fait, elle jeta la besace derrière elle et s'assit pour examiner sa cuisse gauche. Elle écarta le tissu coupé autour de la plaie et constata que sa peau avait noirci sur un rayon de deux ou trois pouces.

― Et merde...

Un son retentit soudain. Le son de feuilles mortes écrasées sous un pied. Les sens canins de la jeune fille se mirent en éveil et elle perçut une odeur et un mouvement qui n'annonçaient rien de bon. Sauf peut-être un repas. Elle se leva et fendit les buissons vers l'endroit d'où venait le bruit.

[Et voilà! T'as tout le week end pour faire ta réponse, je serais là que par intermittence^^
J'espère ça va pour la "besace" j'étais plus certain que t'ai mentionné la forme de tes bagages, au pire je modifierai. Enjoy !]
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Wilaine
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MessageSujet: Re: Échange de bons procédés   Échange de bons procédés EmptyVen 15 Juil 2011, 21:15

Le bruit de la mer s'était fait de plus en plus lointain au fur et à mesure que je m'avançais sous le couvert des arbres. La sensation de l'humus frais sous mes sabots me ravissait, tandis les odeurs se déployaient autour de moi telle une arborescence. Le sel perdait peu à peu la prédominance qu'il avait eu au cours des derniers mois, laissant place à une foule de merveilles oubliées. L'odeur fruitée des baies sauvages se mêlait à celle de l'écorce humide. Les murmures des différents bruits rugissaient comme une ronde infernale que le roulis régulier de la mer m'avait fait oubliée. Je ne me souvenais pas à quel point toute cette vie sur la terre ferme m'avait manquée, le doux bruissement des feuilles, les multitudes de chants d'oiseaux, la couleur des différents arbres, toute cette présence vivante que seule son absence savait rendre visible.

Mais malgré cette sensation de plénitude retrouvée, je me sentais comme une traîtresse en fuite. J'avais quitté l'équipage, évité les remous marins, fuit les problèmes que nous rencontrions. J'avais ce sentiment de trahison ancré au fond de moi, me serrant les tripes. Je n'aurais pas dû, et j'avais bien fait à la fois. Je n'étais pas et ne serais jamais des leurs, de ceux qui vivent pour l'eau. L'océan est leur univers, mais pas le mien, et je m'en voulais surtout de ne pas avoir pris le temps de leur expliquer. Je trouverais l'occasion de le faire, plus tard...

Des rais de lumière perçaient ça et là parmi les arbres, réveillant petit à petit la faune, créant une ambiance lumineuse et dorée, un couffin sonore et auréolé. Je me sentais à mon aise dans ce petit univers de couleurs chatoyantes, loin du bleu pur et profond de l'océan, des embruns salés et d'un horizon imberbe. Les montagnes s'éclairaient lentement, leurs sommets couverts de neige éternelles reflétant le soleil qui continuait sa course vers son apogée, et je commençais doucement à perdre le fil du temps, mon angoisse desserrait progressivement son emprise. J'avais vu l'Opale, fière, ses longues voiles gonflées par les vents marins prendre le large, tout l'équipage à son bord. J'avais confiance en Niüna et ses soins, secondée par la nouvelle Elfe, Lunielle. A elles deux, elles n'auraient aucun mal à venir à bout des blessures du Capitaine, aussi secoué soit-il. Quant aux autres, ils étaient loin d'être morts, il ne fallait pas exagérer non plus.

Le fatigue me tomba dessus subitement, comme si mon corps ne pouvais pas faire un mouvement de plus. Mes membres refusaient de m'obéir, mes songes de se calmer. Aussi physique que mentale, un trop plein qui avait besoin de sortir, trop d'émotions surement. Je m'arrêtais donc au pied d'un hêtre, et m'affalais sur le sol. De là, mes pensées se mirent à tournoyer à une telle vitesse que je n'arrivais plus à les suivre. Je n'avais pas vraiment eut de moment à moi depuis mon départ de Rosyel, et en éternelle habituée à la solitude, j'appréciais le moment présent. Je végétais dans un état second, uniquement capable d'observer les alentours.

Tout en haut de l'arbre, à sa cime, un ancien nid de pie avait été réhabilité par une famille de hiboux moyen duc. Le petit rapace gris duveteux somnolait dans ses brindilles, tandis que ses parents se faisaient un brin de toilette, lustrant leurs plumes rayées à l'abri des rayons solaires. Leurs yeux d'ordinaire luisants en pleine nuit étaient sombres et orangés, calmes. Le ciel était aussi limpide que l'océan, aucun nuage n'osant s'infiltrer sur cette immensité azurée. Seul le soleil trônait, splendide, se cachant parmi les feuilles des cimes. Au sol, le tapis humide d'humus fait de feuilles mortes grouillait de petite vie, insectes en tout genre, lombrics et même une jeune vipère. Les couleurs rougeoyantes de l'automne se confrontaient aux nuances vertes et blanches des jeunes pousses. Profondément ancrées ans le sol, des empreintes de cerf se dirigeaient vers les montagnes, à la recherche de pâturages frais. A mi-hauteur, un écureuil roux, sa queue en panache balançant entre les branches souples et fragiles, s'amusait à quelques figures de voltige, s'arrêtant çà ou là pour grignoter de petites choses.

De petites choses aussi grignotaient en permanence mon esprit, et je finis par m'assoupir sans même en avoir conscience. Ce fut une sieste peuplée de rêves incongrus et illogiques, d'une longueur indéterminée ou indéterminable, trop courte à mon goût. J'étais incapable de me souvenir de quand est-ce que je m'étais endormie. Embrumée, je me redressais, m'étirais, et mangeais quelques fruits séchés, histoire de me requinquer. Mais ma sieste n'avait pas eue l'effet réparateur escompté. Je me nageais entre deux eaux, réveil et sommeil se bagarrant la majorité dans ma tête. J'avais l'impression d'avoir à récupérer les mois de nuits agitées passées sur l'Opale. Je soupirais. Je dormirais mieux ce soir.

Je me décidais à bouger, car me rendormir ici était trop risqué. Me connaissant, je ne me réveillerais pas avant l'aube. Je devais donc trouver un lieu sûr pour passer la nuit, et vu la hauteur du soleil dans le ciel, ça n'allait pas faire tout noir dans les minutes à venir. Je tournais trois ou quatre fois sur moi-même, incapable de me rendre compte que j'avais déjà vu ce paysage. Je cherchais dans quelle direction aller, et après plusieurs minutes de délibération brumeuse, je me décidais à cheminer vers le cœur de la forêt.

Je n'arrivais décidément pas à me réveiller, et je faillis m'étaler deux fois dans le même trou, ne l'ayant pas vu une première fois pour ma patte avant, et l'ayant déjà oublié lorsque j'y posais le sabot arrière. Je m'arrêtais après cette mésaventure hors norme pour rire toute seule tellement c'en était comique. Je dus rester ici presque cinq minutes à pouffer aux larmes tellement j'avais honte de moi. J'avais un sens de la fierté très diminué, apparemment.

J'eus soudainement la sensation d'être observée. J'essuyais mes yeux humides d'un revers de bras, et retrouvais mes esprits en un rien de temps. Je n'avais aucune arme pour me défendre, excepté mon arc, mais sans flèches, j'allais avoir du mal à en tirer grand chose. Je tournais sur moi-même, remettant pour la troisième fois la patte dans le trou, ce qui me fit sourire. Je cherchais des yeux ce qui pouvait avoir éveillé mes soupçons, mais je ne vis rien de particulier. Ce qui ne m'étonnais à peine, vu la réactivité que je semblais avoir ce jour-là.

Je repris ma marche, mais m'arrêtais quelques mètres plus loin, ayant toujours l'impression d'être épiée. Mais contrairement à mes intentions, je ne découvris pas la personne qui m'épiais, mais un morceau de cuir qui m'était familier, accroché au dessus de buissons entourant un arbre creux. Ma besace ! Vide. Dommage, essaye encore... Comment était-elle arrivée ici ? A moins que l'un des gardes ait une réserve personnelle dans le bois, ce devait être un prisonnier qui l'avait apportée. Je fis quelques pas en direction du bosquet, distinguant des reflets sous les branches épineuses. Apparemment, le contenu de mon cher petit sac (ou devrais-je dire le cher contenu de mon petit sac) se trouvais juste au pied de l'arbre. Manquait plus que mon épée et le compte y serait. Enfin, autant ne pas trop rêver.

J'avais une furieuse envie d'aller la reprendre (ainsi que son contenu, surtout son contenu, en fait) et de fuir comme une malpolie avec, mais je comprenais que la personne qui m'épiait n'était autre que celle à qui appartenait cette cachette. J'avais deux solutions, et aucune valable. C'était pas cool, ça. Parce qu'entre fuir avec mon barda et me retrouver nez-à-nez avec une personne bien plus dangereuse que moi et me faire lyncher ou demander comme une conne à la personne de bien vouloir me rendre mes affaires, mes chances de réussites étaient minces. J'essayais de trouver la cachette de ladite personne, et en étudiant patiemment la forêt, je compris qu'elle était cachée dans les buissons proches de l'arbre. En effet, un geai poussait son cri d'alerte, posté sur une branche haute de l'arbre. En fait, à bien y réfléchir, elle ne pouvait être cachée que là, vu que tout autour elle aurait été à découvert... J'étais d'une perspicacité hors du commun...

Je regardais donc plus attentivement les buissons, mais je ne voyais personne. Je commençais à douter de la présence du propriétaire. Je m'approchais donc des buissons, commençais à les écraser lorsqu'un projectile quelconque me heurta à l'épaule.

« Mais aïeu. »

Je me retournais, entendant un bruissement de pas, mais rien. La présence du propriétaire semblait se confirmer, mais si il voulait m'empêcher de récupérer mes biens à coup de cailloux, il était pas rendu. J'avançais à travers les épines et les branchages drus sans me préoccuper des projectiles, comme si c'était la chose la plus naturelle de se recevoir des morceaux de verre à la figure. Du verre ? Nom de nom, mais c'est que ça devenait dangereux, là ! Je me précipitais vers la cachette, m'écorchant allègrement les pattes par la même occasion, et essayais d'attraper une épée qui trainait, mais mon adversaire se jeta sur moi et me fit chuter lourdement contre le tronc. J'étais incapable de bouger, complètement sonnée et bloquée dans une position plus qu'inconfortable.

« … Mais nom d'un chien, ça fait mal ! »


[J'espère que ça te convient ! Si y'a un problème dis-moi j'édites, pas de soucis ^^]
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Rána
=Aïkologue=

Rána


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MessageSujet: Re: Échange de bons procédés   Échange de bons procédés EmptyLun 18 Juil 2011, 00:13

Il y a deux sortes de proies : les malgré-elles qui fuient le loup et celle qui se jettent dans sa gueule, souvent par hardiesse, par inconscience ou bien sans le faire exprès. Rána eut vraiment du mal à déterminer à quelle catégorie celle-ci appartenait.

En s'élançant comme une tarée dans les buissons pour surprendre la créature imprudente, elle n'avait aucunement l'intention de faire durer les choses. Au poids et à l'odeur, elle estima qu'il devait s'agir d'un cheval en fugue ou monté par un cavalier ; l'affaire serait vite réglée. Pourtant, lorsqu'elle distingua les premiers traits de l'intruse, elle reconnut avec étonnement la silhouette singulière des centaures de Rosyel. Que faisait une telle créature dans une forêt de Lan Rei ? Et comment était-elle arrivée en ces lieux ? Elle avait du mal à imaginer un tel être supporter le remous des vagues et le tangage d'un navire. Mais devant ce fait accompli, Rána ne perdit pas de temps en spéculations et observa la femme-cheval qui semblait ne pas l'avoir remarquée. La jeune lycane se tapit un instant pour voir ce qui allait se passer et il s'avéra que rien ne passa avant une bonne minute. La centaure, après un moment de flottement, continua sa marche et s'approcha de la cachette, insouciante. Son regard se posa sur la besace que Rána avait jeté plus tôt comme si elle la reconnaissait. La jeune fille fronça les sourcils. Accroupie, elle recula avec douceur pour se rapprocher de l'arbre creux et sa main saisit à tâtons le premier objet à sa portée. La centaure s'avança un peu plus sans vraiment prendre garde à ses arrière, commençant à traverser les feuillages. Rána lança l'objet qu'elle avait ramassé, qui n'était en fait qu'une motte de terre partie exploser contre son épaule. L'intruse se retourna, mais ne chercha pas à découvrir l'origine du lancer et se contenta de progresser maladroitement dans les buissons. Rána s'empara alors d'objets plus dangereux. Elle ramassa des tessons de verre et des petites bouteilles d'alcool vides et pilonna la centaure qui faisait fi du raid verrier qu'elle était en train de subir. Quand elle comprit que finalement, il ne valait mieux pas rester là sans rien faire, elle accéléra sa progression et atteint la réserve d'armes. Ni une ni deux, Rána changea de tactique, pour revenir à ses méthodes traditionnelles et se jeta sur centaure avant qu'elle ne réussisse à s'emparer de quoi que ce soit. Elle la projeta contre le tronc de l'arbre, et ses yeux prirent l'apparence de ceux du loup qui sommeillait en elle. La transformation de jour était beaucoup plus difficile, mais des griffes s'allongèrent au bout de ses doigts sales et elle accompagna son assaut d'un grognement qui n'avait rien d'humain. Sans perdre de temps, elle écrasa sa victime de tout son poids pour l'empêcher de se relever.

― Mais nom d'un chien, ça fait mal ! s'exclama la malheureuse.

Non, sans blague ? Rána hésita à indiquer que c'était là son projet, mais choisit finalement le silence – question de tension dramatique.

Elle se réjouissait déjà du repas qu'elle allait s'offrir. A côté de l'amertume des elfes et de la fadeur des fées, le centaure était de loin la saveur rosyeline qui manquait le plus à la jeune fille depuis son retour sur l'île des humains. Dans cette position de faiblesse, la malchanceuse n'avait plus aucun espoir d'évasion. Il suffisait de planter des crocs dans son cou pour régler cette affaire. Comme Rána était joueuse, c'était possiblement ce qui pouvait changer la donne, aussi choisit-elle d'abréger.

― Tu n'aurais jamais dû quitter ton île.

Et pour conclure, la jeune louve se pencha vers la tête de sa proie... et lui hurla à l'oreille avant de s'en désintéresser complètement. Ses mains perdirent leurs griffes et se plaquèrent sur sa cuisse blessée. Ses yeux retrouvèrent leurs iris habituelles et se posèrent sur la jambe qui avait encore noirci. Mais qu'est-ce qu'il se passait ? La douleur s'était brusquement accrue et Rána souffrait le martyr.

Ce n'était pourtant pas la première fois qu'elle était blessée avec une arme en argent, et elle s'en était toujours remise sans problème. De plus cette plaie était plutôt bénigne par rapport aux autres fois. Alors pourquoi semblait-elle s'aggraver ? Elle serra sa cuisse en crispant son visage, retenant des larmes de douleur et de rage. Ce qu'elle détestait par dessus tout, c'était d'être mise en difficulté par ce genre d'évènement absurde. La centaure n'avait qu'à prendre ses jambes à son cou et détaler dans n'importe quelle direction, et même se perdre en forêt. La jeune fille ne pouvait pas espérer rattraper quoi que ce soit dans cet état. Elle serra sa jambe encore davantage et la douleur finit par s'estomper un peu, à moins que ce ne fût que l'effet de la durée qui la rendait plus supportable.

Le temps de deux ou trois expirations, Rána resta accrochée à sa cuisse avant de relever la tête en affichant un regard éloquent qui laissait un libre choix d'interprétation située entre « ce genre de truc n'arrive qu'à moi » et « désolée pour ce petit contre-temps ».
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MessageSujet: Re: Échange de bons procédés   Échange de bons procédés EmptyMar 19 Juil 2011, 15:41

La tête dans l'humus sombre, j'avais du mal à reprendre mon souffle. Je sentais le poids de quelqu'un, ou quelque chose sur mon dos. Incapable de me retourner, ni même de bouger, je me contentais de sentir des griffes crasseuses et acérées s'enfoncer dans ma chair. Je me concentrais sur l'analyse de la situation, histoire de gagner un peu de temps. L'arbre creux se trouvait à ma droite, ce qui n'était pas spécialement à mon avantage, étant gauchère. Mes pattes étaient emberlificotées dans les ronces, et j'aurais bien du mal à trouver un appui stable facilement. Quant à mon adversaire... Je ne sentais même pas son poids tant il était léger. Seules ses griffes me rappelaient sa présence.

« Tu n'aurais jamais dû quitter ton île. »

Le ton, sec et cassant, était amoindri par la sonorité de la voix. C'était celle d'une enfant, malgré des notes graves et caverneuses étranges, elle gardait les aiguës d'une petite fille. Cela ne me rassurait pas le moins du monde. Elle hurla à la manière d'un loup dans mon oreille droite, rendue inutilisable pour au moins quelques heures vu la puissance du cri. Paralysée quelques secondes par la force de son hurlement, je ne bougeais pas. Puis la pression des griffes s'arrêta, et la petite s'éloigna. Du moins, c'est ce que je pensais avant de me rendre compte qu'elle se tenait la jambe, les larmes aux yeux, en proie à une douleur apparemment coriace. Dans cette position, recroquevillée sur elle-même, elle semblait si fragile. Ses iris noirs dilatés de loup laissèrent place à deux yeux verts cernés, et ses griffes disparurent. Je ne comprenais pas son attitude, ce qui lui arrivait. Elle avait l'air de vivre ici, vu ses habits déchirés et sales. Elle faisait partie de ses nombreux enfants vivant dans la rue, survivant tant bien que mal. Mais elle n'avait pourtant pas l'air aussi innocente que cela. Elle était lycanthrope, certes, mais cela ne faisait pas tout... Sa manière de procéder m'intriguait, me perturbait.

Je me redressais tant bien que mal, et réussi à trouver une position convenable ; couchée en ce qui concernait ma moitié équine, debout pour la moitié humaine. Je n'osais pas me lever, attendant la réaction de la petite. Ses cheveux bruns ternes lui tombaient sur les épaules, crasseux et emmêlés. J'étais mal placée pour parler, vu l'état des miens après plusieurs mois de navigation. Elle lâcha enfin sa jambe, me regardant avec un regard étrange, que j'avais du mal à cerner. Elle n'était ni implorante ni quoi que ce soit de visible. A vrai dire, je ne la regardais pas dans les yeux. Je regardais ses mains, couvertes de sang et de terre. Je regardais sa jambe, blessée. La chair avait noircie autour d'une plaie assez profonde, qui ne semblait pas infectée pour autant. La blessure devait donc être relativement récente, quelques heures tout au plus. Le sang séché faisait des croûtes sur la plaie, mais un sang noir putride semblait encore s'en écouler lentement. La couleur sombre couvrait presque toute la hauteur de la cuisse maigrelette de l'enfant, s'étalant aussi en largeur. Soit c'était moi qui hallucinait, soit cette tâche inquiétante grossissait à vue d'œil.

Je regardais la jeune fille dans les yeux, essayant de comprendre ce qui se passait exactement. Étonnamment, il ne me fallut que quelques secondes pour faire le lien entre la lycanthropie de la petite et sa plaie surement réalisée par une arme en argent. Restais à savoir si la jeune demoiselle allait accepter mon aide, mais je ne pouvais pas la forcer à se laisser soigner. Du moins, pas pour l'instant. Mais vu l'accueil glacial qu'elle m'avait réservé... J'allais peut-être y être contrainte. Ce qui était certain, c'est qu'elle ne crèverait pas sous mes yeux sans que j'aie testé tout ce qui puisse la soigner.

« Est-ce que tu accepterais que je regarde ta plaie ? Il faut absolument que tu te soignes, sinon tu vas y passer. Elle grandit à vue d'œil. »

Mon ton était clair, calme, mais décidé. Elle comprendrait aisément que si elle refusait, j'allais trouver une autre manière de la soigner. Je n'étais pas médecin, mais j'avais quelques rudiments. Je pouvais au moins nettoyer la plaie et la désinfecter. Après cela... Il n'y aurait plus qu'à espérer. Je n'avais pas de plantes, enfin si, dans ma besace, qui était... Ici, en fait. Mais c'étaient celles de Niüna, et je ne savais pas m'en servir. Seule l'argile et l'écorce de saule étaient des plantes dont je connaissais les vertus. Ah, et la camomille pour faire du savon, mais elle ne me serait pas d'une grande utilité dans le cas présent.

L'important, c'était que le sang continuait à circuler. Si la peau avait gangréné à un endroit pareil, il aurait fallut l'amputer de l'entièreté de la jambe, et vu son âge et son physique gringalet, elle aurait peu de chance de survie. Bien que la petite devait être plus solide que son apparence le laissait présager, vu qu'elle semblait survivre dans cet environnement hostile. Ce que je ne comprenais pas, c'est que malgré tout, les lycans guérissaient d'habitude relativement facilement de leurs plaies, y compris de celle faites avec de l'argent. Ils mettaient plus de temps, mais si il ne restait rien dans la plaie, ils... Merde. C'était ça, il devait rester un morceau métallique dans la cuisse de la petite. Et si elle ne l'enlevait pas rapidement...

« C'était une arme en argent ? Tu penses qu'un morceau aurait pu rester dans la plaie ? »

J'essayais de ne pas brusquer la petite, et en même temps de ne pas trop lui laisser le temps de réfléchir, pour ne pas qu'elle se braque. Le pire serait qu'elle se transforme et qu'elle fuit dans les bois. Si cela arrivait, je n'aurais aucune chance de la retrouver. J'étais rapide mais elle était petite et maligne, la seule chose que je retrouverais serait son corps caché habilement après plusieurs jours de recherche, et c'était hors de question.
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MessageSujet: Re: Échange de bons procédés   Échange de bons procédés EmptyMar 19 Juil 2011, 22:53

[Je bats le fer tant qu'il est chaud!]

Lorsqu'elle leva les yeux vers sa proie en sursis, Rána s'attendait à la voir s'enfuir et l'abandonner à son sort, comme bon nombre de ses victimes auraient fait à sa place. La jeune fille songea que si les rôles avaient été inversés, elle-même serait déjà loin avec une partie de l'inventaire – bien qu'elle reconnut que la comparaison n'était pas vraiment pertinente.

Le fait était que la centaure n'avait pas bougé et regardait son assaillante avec pitié. Qu'est-ce qui n'allait pas chez elle ? Était-elle assez stupide pour croire que Rána n'avait pas fait exprès de presque faillir la tuer ? Non apparemment, car elle resta précautionneuse dans sa façon de lui proposer ses services :

― Est-ce que tu accepterais que je regarde ta plaie ? Il faut absolument que tu te soignes, sinon tu vas y passer. Elle grandit à vue d'œil.

La jeune fille éprouva une étrange sensation lorsqu'elle entendit les paroles de la centaure. C'était la première fois depuis des lustres qu'on adressait poliment la parole à la vraie Rána, celle qui terrorisait, celle qui torturait, celle qui tuait. Cette attitude, qui d'ordinaire avait tendance à l'exaspérer, la rendit carrément furieuse. Peut-on sincèrement avoir de la compassion pour quelqu'un qui n'aspire qu'à vous tuer ? La réponse est non. Toute action laissant penser le contraire est un comportement de façade. C'est ce que Rána avait retenu des leçons de son père.

Il était de plus inconcevable pour la jeune fille d'accepter l'aide d'une victime, aussi hypocrite soit-elle, ne serait-ce qu'une question d'orgueil. C'était clairement un acte de humiliant et impardonnable. Elle ne prit donc pas la peine de répondre à la centaure et jura qu'elle souffrirait longtemps avant de mourir pour avoir osé la tourner en ridicule.

― C'était une arme en argent ? ajouta-t-elle comme pour aggraver son cas. Tu penses qu'un morceau aurait pu rester dans la plaie ?

La centaure ne pouvait mesurer ni l'affront qu'elle infligeait à Rána ni le supplice qu'elle subirait en conséquence. Chaque mot qui sortait de sa bouche était un nouvel hurlement de douleur que Rána lui arracherait avant de dévorer son cœur trop sucré d'altruiste. Et le comble était qu'elle avait sûrement raison. Si un morceau de la pointe de flèche était resté à l'intérieur de sa chair, la jeune fille était dans une situation critique. Elle en savait assez sur la circulation sanguine pour savoir qu'en fonction de sa taille et de l'endroit où il était logé, le débris pouvait très bien se déplacer et affecter des organes vitaux.

La lycane déchira le vieux pantalon qui recouvrait sa jambe et observa l'étendue des dégâts. La peau s'était assombrie sur tout l'extérieur de la cuisse et l'envelopperait totalement dans l'heure. Sur un rayon d'environ quatre centimètres autour du trou à peine cicatrisé, la chair avait clairement commencé à gangréner. Le foyer quant à lui était carrément putréfié et cerclé d'une croûte de sang noir et coagulé. En exerçant une pression de part et d'autre de la blessure, Rána en fit sortir non sans grimace une substance grasse et fétide mêlée à son hémoglobine polluée. Elle voulut en extraire davantage mais la douleur la rappela à l'ordre et elle prit une grande inspiration en serrant les dents. Les mouches commencèrent à venir lui tourner autour.

Un morceau d'argent était resté à l'intérieur de cette horreur. S'il ne partait pas, Rána allait mourir. Il fallait s'en débarrasser.

Tout de suite.

La jeune fille s'empara d'un tesson de verre et le planta en plein cœur de la plaie en poussant un cri à s'arracher la gorge. Elle introduisit deux ongles de sa main libre tout près de son bistouri de fortune et entreprit d'écarter les deux bords de la blessure. Elle souffrait tellement qu'elle ne sentit même pas les larmes couler à flots à travers ses yeux scellés. Tout en se tordant de douleur, hurlant à pleins poumons, elle s'efforçait de maintenir l'espacement son ouverture béante. Un sang rouge foncé en jaillissait, affluant le long de la jambe frêle pour aller abreuver la terre humide.

Si Rána n'était pas autant obnubilée par la souffrance qu'elle endurait – et nous la comprenons – elle se serait sûrement réjouie de l'abominable spectacle qu'elle offrait à la centaure en prémisse de ce qu'elle lui ferait vivre par la suite. Elle s'en délecterait d'autant plus qu'elle ne s'arrêta pas là et glissa le pouce et l'index à l'intérieur de sa chair, cherchant à l'aveuglette un éclat d'argent dont elle ne connaissait ni la taille ni la cachette. Elle retira presque aussitôt sa main tant c'était insupportable, mais réitéra rapidement, lâchant le bris de verre pour se cramponner à sa jambe.
[Bon appétit !]
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MessageSujet: Re: Échange de bons procédés   Échange de bons procédés EmptyMer 20 Juil 2011, 19:21

La jeune demoiselle me lança un regard noir. Elle était terrifiante, lorsqu'elle était en colère. Apparemment, elle n'avait pas du tout apprécié ma proposition. Habituée à la solitude et ne supportant pas d'être une victime, j'en connaissais une autre... Tant pis pour elle, elle ne se débarrasserait pas de moi si facilement. Les centaures étaient des êtres particulièrement déterminés. La petite déchira son pantalon troué et tâché de sang, mettant la plaie au soleil et à l'air frais – qui ne le resta pas longtemps. Il semblerait que l'horreur n'ait pas de fin. La chair gangrénait autour de l'impact de l'arme, tandis que l'infection se propageait, accompagnée d'un pus abondant et malodorant. La lycane appuya en serrant des dents à l'endroit le plus infecté de la plaie, faisait sortir du sang putréfié, mélange immonde de sang noirci et de pus. Les mouches pourtant peu nombreuses à cette période, accoururent à une vitesse alarmante.

La petite me stupéfia. Elle avait bien compris qu'il fallait faire quelque chose, mais faire quelque chose ne signifiait pas pour moi n'importe quoi. Elle prit un tesson d'un bouteille en verre et le planta dans sa jambe lacérée en hurlant à la mort. Là, mes deux oreilles étaient hors de fonction à vie. Le sang et le pus se mirent à couler abondamment, noyant rapidement les feuilles mortes sous une flaque noirâtre nauséabonde. Subitement prise par un réflexe jusque là inattendu, je me ruais à l'intérieur de la souche, espérant trouver un outil plus adapté à l'opération chirurgicale en cours. Rien que d'avoir mis les mains sur le sol, je fus coupée par de nombreuses armes et objets en tout genre. La luminosité inexistante du lieu ne me permettait pas de faire des recherches abouties. Je plongeais à nouveau les mains dans le bazar qui ornait le sol. Des bouteilles cassées, des cailloux pointus, des clous... Sourire. Mon bonheur. M'emparant de deux de mes pointes de flèches, je sortis à la lumière du jour. Ah merde, non pas mon bonheur, pas du tout d'ailleurs ! Les deux pointes en question étaient en argent. Je retournais donc en chercher deux en or, histoire de pas amocher la petite encore plus. Je retournais voir la petite qui, les yeux fermés, essayant d'ouvrir la plaie avec ses doigts crasseux pour en sortir le morceau de métal argenté. Des larmes énormes coulaient sans répit le long de ses joues palotes. Et pourtant, elle continuait à écarter les bords coupés de sa peau, comme si elle ouvrait un geyser de sang.

Incapable d'ouvrir la bouche pour sire quoi que ce soit – l'ouvrir revenait à vomir – je me tus et entrepris tant bien que mal d'être efficace. Je mis les lames dans ma main droite, me relevais entièrement, et fouillait avec la main que j'avais libre dans une seconde sacoche que j'avais sur moi. J'y pris une petite gourde en peau, pleine. La petite allait hurler, mais vu ce qu'elle était en train de faire, désinfecter la plaie ne serait pas une mauvaise idée. Surtout vu la propreté des objets qu'elle avait mis dans la plaie. Soudain, prise de court par la douleur, l'enfant lâcha son scalpel de fortune. Mais elle n'arrêta pas sa recherche pour autant. Si j'avais eu un peu plus le temps pour réfléchir, j'aurais tout de suite conclus qu'elle était folle. Vraiment folle.

Prenant mon courage à deux mains – de toute manière, quoi que je fasse, cela devenait difficile d'empirer la situation, vu son état actuel - je posais toutes mes affaires à ses côtés, puis lui attrapais fermement les bras. Ne lui laissant pas le temps de réagir, je la poussais en arrière. Elle se retrouva dos contre le sol, et j'en profitais pour passer au dessus d'elle. Une patte entre les pieds de la petite, l'autre à sa droite, mes deux autres pattes à sa gauche (et il me restait encore deux bras ! La classe hein ?). Je me baissais pour pouvoir toucher la plaie de l'enfant, sans pour autant m'appuyer sur elle. Je voulais l'aider, pas la tuer (qui l'eut cru ?). Sans plus attendre, j'ouvris la petite fiole de cuir et déversais une partie de son contenu sur les flèches dorées. Une forte odeur de mirabelle emplit les lieux. Je donnais la gourde à la petite.

« Bois en quelques gorgées, ça te fera pas de mal. »

Oui, il est déconseillé de donner de l'alcool à des enfants, surtout des alcools forts, comme la gnôle de mirabelle de très bonne qualité que je posais sur le ventre de la petite louve. Mais la présente situation ne me laissait pas vraiment de choix. J'espérais juste que la petite soit un minimum dans les vapes avant de désinfecter la plaie, histoire que la douleur soit un minimum diminuée. Je pris les deux pointes en or, les coinçant respectivement entre mon pouce et mon index et mon index et mon majeur, dans le but de m'en servir comme d'une pince. Puis je me tournais vers la petite, pour récupérer la fiole.
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MessageSujet: Re: Échange de bons procédés   Échange de bons procédés EmptyVen 05 Aoû 2011, 18:37

Ne pas lâcher prise. Ne pas renoncer avant d'avoir trouvé le débris. Ne pas lâcher prise. Pour ne pas avoir à recommencer... Ne pas lâcher prise !

La jeune lycanthrope était prisonnière d'un atroce cercle vicieux aux allures de transe. Plus elle enfonçait ses doigts dans la chair de sa cuisse mutilée, plus la douleur était vive et plus sa rage de survivre était grande. Ce qu'elle faisait pouvait paraître monstrueusement courageux et l'on se hâterait à tort de penser qu'elle agissait par pure folie – même s'il y avait un peu de ça, je vous le concède. Ce n'est pas si dur en réalité d'en arriver là. C'est comme toute tâche pénible : l'important, c'est le premier pas. Il suffit de déployer l'énergie nécessaire à l'amorce du processus. Un monstre se cache en chaque être vivant et une pichenette au bon endroit juste assez bien dosée peut le faire tomber dans une colère folle.
Rána était donc en pleine libération de son monstre intérieur lorsqu'elle fut soudainement forcée à lâcher prise. Son état second lui avait presque fait oublier la présence de la centaure qui l'avait bousculée afin de prendre en main la suite de l'opération. La jeune fille poussa un juron de surprise qui accompagna le choc de sa tête sur une racine épaisse. La femme-cheval avait eu la finesse d'esprit de trouver des outils plus adaptés à une intervention chirurgicale et semblait vraiment déterminée à lui venir en aide ; c'était à se demander s'il elle n’espérait pas mourir des mains de la lycanthrope.

― Bois en quelques gorgées, ça te fera pas de mal, lui intima-t-elle en lui présentant une gourde.

Il y a une règle commune aux enfants et aux loups solitaires ; ne jamais rien accepter d'un inconnu. Surtout quand il vous propose un truc douteux. Les nasaux sur-développés de la petite lycane n'eurent aucun mal à interpréter les violentes informations olfactives qui s'échappaient de la bouteille. Cette odeur infecte qui vous attrape le nez pour le tordre et le retourner – et qui devrait suffire à faire comprendre au monde entier que ça ne se boit pas, normalement – laissait présager que la gourde n'était pas remplie de sirop de fraise. Rána crut vaguement se rappeler d'une centaure amatrice d'eau-de-vie de poire et ne put s'empêcher de penser que ces créatures dites sages et respectables cachaient plutôt bien leur jeu.

Elle s'empara de la gourde et fit couler le spiritueux à travers ses lèvres sans l'avaler, se contentant de remplir sa bouche autant qu'elle en était capable. Elle attendit ensuite que la centaure se tourne vers elle pour lui cracher son élixir au visage. Puis, dans la foulée, elle la repoussa et se dégagea avec toute la vigueur qui lui restait. En attrapant sa jambe meurtrie d'un main, elle tenta de se relever en s'appuyant sur l'autre. Le goût infect de l'alcool et la sensation de chaleur lui restèrent sur la langue tandis qu'elle peinait à se redresser.

La jeune fille, furieuse d'orgueil, n'aspirait plus qu'à fuir le plus loin possible. Tant pis pour sa proie ; survivre, et survivre seul, était plus important que tout. Lorsqu'elle fut debout, elle tenta de s'appuyer sur sa jambe mais celle-ci se faisait de plus en plus lourde. Elle fit un pas, chancela dangereusement, et préféra continuer son avancée en traînant son membre derrière elle. La douleur faisait couler sa sueur et battre son cœur. Elle s'éloignait à une vitesse très lente, mais elle débordait encore de volonté. C'était ce qui faisait sa force dans les moments comme celui-ci : Rána n'abandonnait jamais.

Mais parfois il ne suffit pas de vouloir pour pouvoir. Il arrive dans les situations d'urgences que notre corps fasse preuve d'un incroyable potentiel latent. C'était arrivé lorsque la jeune fille avait cru sa dernière heure arriver en constatant les dégâts de la pointe d'argent. Sa petite mutilation avait été éprouvante physiquement, mais surtout mentalement. Maintenant qu'elle avait tout donné, elle n'avait plus aucune ressource. Si elle tombait, elle ne se relèverait pas.

Et elle tomba.

Elle mit un moment à comprendre pourquoi ; elle n'avait pas trébuché, elle n'avait pas perdu l'équilibre et ne s'était pas découragée. Quelque chose cependant avait changé : elle n'avait plus mal. En fait, elle ne sentait plus sa jambe. Le sang noirâtre coulait toujours et de la terre était venue se mélanger au pus lorsque la lycane avait heurté le sol. Mais elle ne sentait plus rien, nada, que dalle ; comme si sa jambe n'existait plus. Puis soudain, la douleur revint, mais cette fois au niveau de l'abdomen. Rána crispa son visage en se tenant le ventre et poussa un hurlement de rage. Elle tenta de ramper mais c'était terminé. Elle ne bougerait plus.

Mais ce qui achevait la jeune fille, ce n'était pas cette douleur interminable. Ce n'était pas non plus fait qu'elle risquait fort de mourir dans les prochaines heures. Non, ce qui était le plus insupportable et difficile à admettre, c'est que son sort reposait entièrement entre les mains de sa proie.

Peut-on sincèrement avoir envie de sauver la vie de quelqu'un qui n'aspire qu'à nous tuer ? Les paris sont ouverts.
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MessageSujet: Re: Échange de bons procédés   Échange de bons procédés EmptyDim 07 Aoû 2011, 17:11

L'odeur de chair en putréfaction recouvrait pratiquement toutes les autres. Seule l'effluve forte et entêtante de l'alcool réussissait à se faire une petite place entre les relents âpres de sang putride. J'entendais la petite vider la fiole, les yeux fixés sur sa plaie suintante. Si je n'avais pas senti son corps sous moi, j'en aurais déduit que la frêle jambe qui pourrissait sous mon regard appartenait à un enfant mort depuis plusieurs jours. Je compris seulement à ce moment les dégâts monstrueux que pouvait avoir l'argent sur les Lycans.

Mais ce n'était pas le moment de réfléchir. Il fallait agir, et vite - ce qui n'était pas forcément à mon avantage. Je me retournai vers la demoiselle qui semblait avoir bu la... Ah non. Une gerbe d'alcool m'arriva en plein dans la figure, et dans les yeux en particulier. Sensation plus que désagréable. Je voyais dorénavant flou, pour ne pas dire rien du tout. Je n'arrivais pas à fixer mes yeux sur un point fixe. La petite louve n'avait décidément pas envie du tout de m'aider. Je m'essuyais rageusement le visage, sentant par la même occasion l'enfant se tortiller sous moi pour s'échapper. À tâtons, je cherchai à l'empêcher de fuir, mais je n'y arrivai pas. À peine ouvrais-je les yeux qu'une forte sensation de nausée me prenait, et je me trouvais obligé de ne plus bouger pendant plusieurs secondes pour me sentir à peu près bien.

Le bruit des pas saccadés de la petite ne tarda pas à s'arrêter. Au bout de quelques minutes, je l'entendis chuter lourdement. J'entrouvris mes paupières pour la repérer, mais je fus de nouveau prise de vertiges. Tous le décor semblait se mouvoir dans un tourbillon rapide, pas de quoi être à l'aise. Je pleurais à chaudes larmes pour évacuer tant bien que mal l'alcool, et plutôt mal que bien. La petite poussa un cri, de douleur ou de rage. Je me forçais à me lever, m'appuyant à l'arbre creux, m'empêtrant les pieds dans les ronces. En moins de deux, je m'écrasais comme une pauvre tâche sur le sol, accompagnée d'un boum resplendissant. Je patientai quelques secondes. Ma vue commença à revenir, floue, certes, mais au moins équilibrée.

Je repérai la petite quelques mètres devant moi, recroquevillée en position fœtale. Étonnamment, j'avais réussi à garder mes lames de flèches dans la main gauche. En fait, non, ce n'était pas tant étonnant, ce qui l'était vraiment, c'était que je ne me sois pas encore tuée avec, ou que je n'aie pas tué l'enfant. Je me relevai, titubant un peu, et m'assis près de la petite. Ma vision était encore trouble, mais j'entendais nettement son souffle rauque. Je la retournai sur le dos, histoire d'inspecter mieux les dégâts. Ses yeux fixaient le vide, et ses mains étaient recroquevillées sur son abdomen. Je soulevai son pull. Son ventre était rouge et gonflé. L'argent faisait son chemin.

Je m'essuyais le visage, enlevant les larmes plus que l'alcool, qui avait fini par partir presque en totalité. Je voyais à peu près nettement, mes yeux me picotant toujours un peu ; c'était supportable. Mais de là à faire une opération chirurgicale, et en plus avec mes faibles (pour ne pas dire inexistantes) connaissances médicinales... C'était pas gagné. Entre laisser crever la gamine ou abréger ses souffrances, au final, la différence n'était pas frappante ; ce n'était qu'une question de temps. Je pris les deux lames dorées et grattait sa cuisse pour évacuer un maximum de pus près du centre de la plaie. J'essayais de trouver l'entrée du morceau d'argent, mais la putréfaction était telle que toute la jambe semblait avoir été lacérée. Prenant mon courage à deux main, je plongeais les lames dans l'endroit le plus putréfié de la plaie.

Délicatement, je coupai la peau, ou le pus ou je ne savais quoi avec les lames, les enfonçant de plus en plus profondément vers le morceau d'argent. Autant chercher une aiguille dans une motte de foin. Je ne connaissais ni la taille, ni la forme de l'objet. Ce pouvait aussi bien être un morceau microscopique qu'une moitié de lame. Je ne savais absolument pas quelle quantité d'argent était nécessaire pour tuer un lycan. Je n'avais qu'à espérer que cette quantité soit suffisante pour être visible à l'oeil nu.

Le plus inquiétant n'était pas l'état de la petite, mais le fait que pendant tout le temps que j'essayais de trouver la lame, elle ne broncha pas d'un poil. Pas un mot, pas un grognement. Juste son souffle de plus en plus rauque, difficile. Je sentis tout à coup un passage parfait pour faire passer les pointes de flèches. Je collais les deux lames l'une contre l'autre, espérant pouvoir m'en servir comme d'une pince au moment où j'aurais trouvé le morceau d'argent. J'étais quasiment certaine que l'objet se trouvait là, et mon pressentiment fut le bon. Après quelques secondes de recherches, je sentis une résistance sous mes lames. Je les écartai, pinçai le morceau de métal, et tirai doucement. Ripai. Les lames glissaient. Je repris ma tâche, faisait remonter la ferraille en douceur.

Soudain, plus de résistance. L'objet apparut sous mes yeux. Je le laissais glisser dans ma main. Long d'un pouce et demi, c'était la fine pointe d'une flèche en argent, l'une des miennes. Quelqu'un avait dû la planter dans la cuisse de la petite, et casser la pointe dedans.

Je rangeai les morceau de métal ensanglantés dans ma sacoche. La petite ne bougeait toujours pas. Mais elle respirait. De la sueur perlait abondamment sur son visage. Je sortis ma couverture, l'inusable. Cela faisait des années que j'avais cette peau assez grande pour couvrir deux centaures, assez épaisse pour protéger du froid mais jamais trop chaude. Isolante à souhait. Une merveille. J'enroulai la louve dedans, et la portai jusque vers son abri. Je la déposai à côté, vu que l'intérieur de l'arbre ressemblait plus à une salle de torture qu'à une chambre.

J'essayai de faire boire quelques gouttes à la petite, mais je n'avais pas vraiment moyen de savoir si elle buvait vraiment ou non. Je lui rinçai le visage pour la rafraîchir, puis rempli une poche pleine de petit cailloux. L'argile retrouva rapidement sa forme visqueuse. Je pris la jambe de l'enfant, et l’enduisis abondamment de terre verdâtre.

J'hésitai quelques minutes à aller chercher de l'écorce de saule, connue pour ses vertus... Ses vertus... Ouais, bref, pour des vertus médicinales quelconques, et que l'on mettait souvent sur les plaies. Je ne savais pas si je pouvais laisser la louve toute seule, alors même qu'elle n'avait pas l'air d'avoir repris connaissance. Elle risquait tout aussi bien d'être incapable de se défendre ou d'essayer de s'échapper. Et puis du saule... Je n'étais même pas sûre d'en trouver sur cette île. Quoique, ça devait bien pousser partout.

Je décidai donc d'attendre encore un moment le réveil de la petite. Ne sachant pas vraiment que faire, j'entrepris de récupérer mes flèches dans son antre. Je sentais lentement la fatigue reprendre le dessus, l'adrénaline de l'opération retombant peu à peu. Je soupirai. L'après midi était à peine entamée. La journée promettait d'être longue.

M'endormant à moitié, je décidai de faire un petit tour du coin, sans trop m'éloigner. Je constatais que la petite louve était un vrai renard. Rusée, sa cachette était postée entre plusieurs chemin peu empruntés, et difficile d'accès pour quelqu'un qui empruntait ces chemins. Je retournais près de l'arbre, rassurée d'être relativement hors de danger. Les soldats de la garde auraient bien du mal à me trouver, et même si ils me trouvaient, je devancerais sans aucun problème leurs belles montures bien lustrées sur un terrain bien boueux et accidenté, même avec la petite sur le dos.

Je remarquais en arrivant qu'elle avait bougé. Pas beaucoup, mais quand même un peu. Ses yeux étaient ouverts, un peu dans le vague. Elle semblait consciente.

« Comment te sens-tu ? Tu as mal quelque part ? Tu as faim ? Froid ? Tu as besoin de quelque chose en particulier ? »

Je m'assis près d'elle, l'inspectant sous toutes les coutures.

« Tu as soif, peut-être ? »

Je savais que je réagissais comme la pire des mères poules, et que vu l'accueil pour le moins désagréable de la petite, ce n'était pas forcément la bonne solution pour la mettre de bonne humeur. Mais j'avais une raison...
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MessageSujet: Re: Échange de bons procédés   Échange de bons procédés EmptyMer 24 Aoû 2011, 21:13

Rána avait sombré dans une léthargie semi-consciente et ne pouvait plus que se faire spectatrice, ou plutôt auditrice – ses paupières closes étaient si lourdes qu’elles semblaient scellées – de ce qu’il se passait dans le petit bois aux abords de Reilor. La fièvre l’avait gagnée à grand pas et la faisait abondamment baver et transpirer. Un bourdonnement continu assaillait ses oreilles en feu et sa respiration était tremblante et saccadée. Elle se sentit soulevée et transportée, mit du temps à comprendre qu’elle était enveloppée dans une couverture et crut comprendre que l’on soignait la jambe qui ne donnait plus aucun signe de vie. On lui glissa le goulot de l’ignoble liquide près de sa bouche entrouverte et quelques gouttes passèrent à travers ses lèvres pour se faufiler à travers la salive et atteindre sa gorge. L’effet fut immédiat : la jeune fille toussa et cracha la liqueur en laissant échapper un gémissement.

Un moment passa sans que la petite ne puisse en estimer la durée. Une minute, une heure peut-être ? Une journée ? Toujours est-il qu’à son terme, à force de résistance, la lycane commença à reprendre ses esprits. Avant qu’elle ne parvienne à ouvrir les yeux, des mots vinrent cogner à ses tympans.

― Comment te sens-tu ? Tu as mal quelque part ? Tu as faim ? Froid ? Tu as besoin de quelque chose en particulier ?

Encore cette voix insupportable.

Décidément, la centaure était têtue, ou d’une naïveté à toute épreuve. Alors que la fillette reprenait lentement ses esprits, sa colère se ravivait une fois de plus, mais accompagnée cette fois d’une franche incrédulité. C’était vraiment trop stupide. Alors qu’elle venait de frôler une mort froide et douloureuse, la femme équine se comportait comme une vraie mère-poule avec son potentiel assassin.

― Tu as soif, peut-être ? ajouta-t-elle.

Rána avait envie de lui faire mal. Elle avait envie la prendre par les épaules, de la secouer et de lui hurler au visage pour lui faire prendre conscience de l’absurdité de ses actes. Elle voulait lui crier de la laisser crever là et de partir loin, très loin, se terrer dans son nid de bouffeurs d’avoine en espérant ne jamais se réveiller transformée en elvoïde cul-de-jatte ficelée dans les entrailles d’un cheval sans tête. Elle aurait inventé des mots pour exprimer tout le dédain et la rage que lui inspirait cette nonne à sabots. Son état physique ne lui permettait cependant pas de mettre en pratique ce tentant programme, aussi sa vive animosité se traduit-elle de manière plus résumée : Rána lui cracha un copieux flot de salive au visage.

Elle se tourna ensuite sur le côté, afin de, sans un mot, faire comprendre à sa sauveuse qu’elle ne comptait lui exprimer aucune forme de gratitude et que ses questions resteraient sans réponses.

La douleur la relança dans le bas-ventre et elle se recourba en position foetale.


Dernière édition par Rána le Mer 11 Avr 2012, 17:21, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Échange de bons procédés   Échange de bons procédés EmptyDim 28 Aoû 2011, 19:12

La petite ouvrit les yeux et me regarda fixement. Les yeux grands ouverts, cernés, le regard hautain et figé... Elle avait un je ne sais quoi à cheval entre la folie et l’inhumanité. Elle savait des choses qu'elle n'aurait du apprendre que plus tard, et le seul moyen de s'en protéger avait été pour elle de se forger une carapace, de s'enfermer dans le lieu circulaire de sa tête. Et pour protéger sa conscience, rien de mieux que de faire preuve de haine envers tout ce qui était extérieur à sa tête. C'était terriblement flippant. Mais elle était plus que blessée, et ne risquait pas de me faire du mal. Pourtant, j'avais le sentiment qu'elle n'aurait pas hésité une seconde à me tuer à cet instant. C'était navrant d'en arriver là, surtout pour un enfant.

Je me pris un gros crachat en pleine face. Cela ne me fit ni chaud ni froid. Au moins, elle était vivante. Mais est-ce que vivre enfermer était considéré comme être vivant ? Pas pour moi. Quoi qu'il en soit, elle vivait. Je m'essuyais patiemment le visage, retenant un sourire. Elle venait de me prouver qu'elle était solide, dans le sens ou elle ne laisserait personne la manipuler, entrer dans son espace intime. Mais c'était aussi inquiétant, car si ses pensées étaient fausses, personne ne pourrait la remettre sur le droit chemin. Punaise, j'étais en train de faire son portrait psychique alors que cela ne me regardait absolument pas.

Elle me tourna le dos, se mit en boule. Je ne m'attendais pas vraiment à autre chose. En fait, il y avait eu deux issues probables, l'une étant que la petite fasse preuve de gratitude et l'autre que non. Dans les deux cas, tant qu'elle ne crevait pas comme un chien, cela ne faisait aucune différence à mes yeux. Et si je pouvais forcer la petite à accepter des soins physiques, je ne me sentais pas du tout bien placée pour lui soigner son mental. Et je comptais bien le lui faire comprendre. En fait, tout bien réfléchit, je n'étais pas bien placée pour la soigner tout court... Mais bon, c'était une histoire de bon sens ! Je ne pouvais quand même pas la laisser mourir...

« Je vais rester la nuit avec toi, histoire de voir comment évolue ta blessure. Ensuite, ce sera à toi de me dire si tu veux que je parte ou que je reste. Je me fiche que tu m'adresses ou non la parole. Si je reste c'est uniquement pour ta santé. Je ne suis pas du genre à laisser crever des gens les bras croisés. »

Je me levais, posais un petit sac en toile à côté de la petite et fit quelques pas vers les bois.

« Je vais essayer de trouver quelque chose de plus conséquent à manger. Si tu as faim, il y à des amandes et des graines dans le petit sac. Et je vais chercher de quoi faire un feu pour cette nuit. »

Je commençais à partir avant de me souvenir que je n'avais pas d'arme sur moi, à part mes pointes de flèches, pas très utilisables sans bois. Je retournais vers la souche d'arbre et y récupérais mon arc et mon épée. Je pris aussi un petit canif qui traînait, sans demander la permission à la petite. Je lui rendrais en partant. Hélas, elle n'avait pas récupéré de flèches pendant ses escapades. Je me résignais et posais mon arc et mes pointes de flèches. Ce serait plus encombrant qu'utile.

Je trottais en direction de bois un peu plus denses. Je doutais d'arriver à chasser quoi que ce soit avec mes armes, mais je savais reconnaître bon nombre de plantes comestibles. Au final, j'étais plus végétarienne que carnivore. Mais la viande était facile à digérer et permettait de rapidement se refaire des forces. Enfin... Je crois.

Je ramassais tout de même quelques champignons, des morilles. Quelques carottes sauvages, un peu d'ail des ours aussi. Je maugréais en réalisant que ce n'était plus la période des œufs, et qu'il n'y avait pas de ruisseau assez proche plus aller pêcher... J'aurais pu aller en bord de mer, mais autant se jeter dans la gueule du loup. Quoique, d'une manière ou d'une autre, j'avais de fortes chances de finir dans la gueule d'un loup.

Je trouvais quelques baies tardives, des mûres et des groseilles en l'occurrence, ainsi qu'une poignée assez conséquente de pommes de terre. Bon, peut-être bien qu'avec tout ça, je réussirais à faire quelque chose de potable à manger... Et tant pis pour la viande. Je mis toutes mes réserves dans une sacoche – je commençais à me dire que j'en avais beaucoup, de ses sacoches, et qu'elles étaient sacrément pratiques ! – puis je me mis à la recherche de bois sec pour faire un feu.

Je ramassais les grosses bûches où je me trouvais, histoire de ne pas laisser de traces trop proches de l'abri de la jeune louve. J'en était assez éloignée, une petite demi-heure, et cela permettrait de ne pas éveiller de soupçons. Je ramassais quelques grosses branches avant de me rendre compte que je devenais paranoïaque. On s'en foutait, de où je ramassais mon bois.

Je me décidais donc à retourner près de l'abri. Cela devait faire un peu plus de deux heures que j'étais partie, autant dire que nous étions en milieu d'après midi. Je suivais la piste qui comprenait le plus de bois , c'est-à-dire une piste hasardeuse. Mais elle s'avéra bien utile, puisqu'elle me permit de trouver un pommier couvert de pommes, et j'en ramassais autant que j'en avalais.

Dès que j'eus assez de bois pour faire un petit feu qui tiendrait toute la nuit – assez rapidement, au final – je rentrais voir la petite. Elle n'avait pas bougé d'un poil. Du moins, me semblait-il. Je posais mes branchages un peu plus loin, en fit un tas, et allumais un feu. Pendant que je cassais les branches, je parlais à l'enfant.

« Au fait, je m'appelle Wilaine. Et toi ? »

Le feu prit assez rapidement. Je devais encore attendre les braises pour pouvoir faire cuire les patates.
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MessageSujet: Re: Échange de bons procédés   Échange de bons procédés EmptyDim 08 Jan 2012, 13:55

Dans les sous-bois, à deux bonnes lieues de l'endroit où gisait l'enfant semi-consciente, sept ombres rôdaient dans l'obscurité des feuilles épaisses. Elles avançaient à la queue leu leu dans un silence parfait et passaient parfois à travers les quelques rayons qui perçaient les branchages des vieux frênes, révélant de fugaces détails de leurs anatomie. Longs museaux. Pelages gris. Queues velues. Canines légèrement proéminentes. Oreilles droites. La meute de loup qui occupait le bois de Reilor marchait vers l'ouest.

Le territoire occupé par une meute peut s'étendre sur une zone très large. L'intrusion d'un loup ou d'un groupe de loups dans un territoire occupé est invariablement source de conflit. Or, les sept seigneurs qui régnaient sur le bois de Reilor depuis plusieurs mois partageait ce territoire avec une louve solitaire. En général, l'imprudent prédateur qui osait pénétrer ces lieux était rapidement chassé ou tué, mais ce n'était pas le cas de celle-ci qui avait non seulement su se défendre contre la meute entière, mais l'avait également soumise et chassée. Ne pouvant cependant pas se résoudre à abandonner le bois qui était un endroit parfait – c'était une bonne réserve de nourriture et peu de loups s'aventuraient aussi près de la ville –, le mâle alpha de la meute, Fenraar, avait simplement décidé d'ignorer l'intruse – qu'ils nommaient Grandelouve car elle faisait partie de ces loups puissants qui se changeaient en humains – et de l'éviter si possible. Celle-ci semblait quant à elle se désintéresser complètement du groupe.

Tout en avançant, les loups étaient en train de parler. Il serait difficile de traduire le langage lupin de façon précise car il se situe à un niveau de conscience très différent du notre. De plus, sa forme peut changer de façon significative d'une meute à l'autre, se divisant en de nombreux dialectes qui ne partagent entre eux que certaines structures et concepts, et divergeant par leur vocabulaire, accent, rythmes ou intonations. Notons cependant que les loups éprouvent assez peu de difficulté à communiquer d'une meute à l'autre, d'une part parce que ce qu'ils ont à se dire laisse peu de place à l'extravagance et d'autre part parce que leur langage s'accompagne de nombreux gestes associés, illustrateurs ou emblématiques – la plupart ne sont pas remarqués par les races les plus évoluées, cela s'explique par le fait que nous n'avons guère d'utilité à savoir repérer un geste illustrant une langue que nous n'entendons pas.

Malgré les difficultés à présent évidentes que poserait une tentative de traduction rigoureuse, voici une retranscription approximative de ce que se disaient les membres de la meute du bois de Reilor en cette journée mouvementée :

― Sentir, ordonna Fenraar à sa meute qui s'exécuta.
― L'odeur du chevalelfe et l'odeur du sang de Grandelouve et l'odeur du brillevenin, affirma Hatei, la femelle bêta, en dressant les oreilles.
― Brillevenin très dangereux, Grandelouve mourir, ajouta son mâle, Skol.
― Grandelouve ne pas mourir, dit simplement Skadei, la femelle alpha qui ne parlait que pour contredire ses subordonnés.
― Chevalelfe oui mourir. Chevalelfe long repas et chevalelfe s'éloigner de Grandelouve, se réjouissait Gerui.
― Dangereux, dangereux, couina Garm, l'oméga, baissant les oreilles et plaquant sa queue sous son ventre.
Aucun loup ne lui prêta attention. Hatei enchaîna :
― Grandelouve presque-mort. Tuer Grandelouve après tuer chevalelfe.
― Fenraar décider ! lança Fenraar queue droite et oreilles dressées.
Tous les loups se turent. Il y eut un silence, pendant lequel Fenraar semblait réfléchir, puis soudain :
― Grandelouve presque-mort. Tuer Grandelouve après tuer chevalelfe.

Les sept ombres firent demi-tour et se dirigèrent droit vers l'est.


- - -

Faiblesse.

La fièvre donnait à la jeune fille la désagréable sensation de tremper dans de l'huile bouillante. Elle avait du mal à rester éveillée et se désintéressait du monde qui l'entourait. Allait-elle mourir ? Une nausée s'emparait progressivement de son cœur et de son cerveau. L'inlassable centaure sembla se mettre en mouvement. Elle lui adressa la parole mais Rána ne parvenait ni à se concentrer ni à s'intéresser à ce qu'elle disait.

― ...la nuit avec toi, histoire de voir comment... de me dire si tu veux que je parte ou que je... uniquement pour ta santé. Je ne suis pas du genre à laisser... plus conséquent à manger... amandes et des graines dans le petit sac... un feu pour cette nuit.

La jeune louve n'en était pas certaine mais elle cru comprendre que la femme-poney avait fini par s'absenter. L'avait-elle abandonné ? Bien sûr que non, elle était plus collante qu'une sangsue. Elle reviendrait et lui imposerait son indésirable compagnie jusqu'à ce que la jeune fille soit en état de lui dévorer le cœur. Pourquoi sa proie se donnait-elle toute cette peine ? Même cette stupide Isilwen avait montré plus de jugeote face à la petite lycanthrope.

« Contrairement à la cruauté, la bienveillance n'est jamais gratuite. »
Cette phrase cognait contre son crâne au rythme de la chamade que battait son cœur. C'étaient les paroles de son père que Rána avait mis tant d'années à comprendre. Il était rare que la jeune fille pense à lui avec autant de force. Peut-être la fièvre et la faiblesse en étaient-elles la cause ? Dans son autre vie, de laquelle elle ne gardait que peu de souvenirs, elle ne pouvait trouver la quiétude et le réconfort qu'en présence de son père. Même s'il avait été souvent absent et qu'il semblait parfois distant, c'était la seule personne à qui elle osait se confier pleinement. Il lui disait toujours au bon moment ce qu'elle avait besoin d'entendre.

Pourquoi n'arrivait-elle pas à se rappeler son visage ? Comment avait-elle pu l'oublier ? Est-ce que la lycanthropie effaçait les souvenirs de son ancienne vie ? Ou était-ce le fait de grandir ? Plus d'une fois elle avait tenté vainement de redonner des traits à l'homme qui l'avait construite.

Le corps brûlant et suintant de Rána était agité de petites convulsions que la jeune fille ne sentait même pas. Son esprit vagabondait dans un carrefour entre la vie, la mort, le rêve et le cauchemar. Tout s'assombrissait autour d'elle. Ses membres pesaient une tonne. Cette fois, elle partait vraiment.

Tout près d'elle gisait une poupée gigogne dont le visage aux yeux cernés n'était pas sans rappeler celui de la jeune fille. Il lui semblait que ce jouet pour enfant appartenait à un passé trouble. Rána voulut l'ouvrir et aussitôt, la poupée, obéissant à son désir, sépara son corps en deux en suivant une découpe horizontale chirurgicalement sectionnée au niveau du bassin. Une poupée plus petite s'échappa du corps scindé. Elle était peinte en un gris très sombre, représentant un loup aux yeux écarlates. La créature se déchira à son tour pour révéler une petite poupée ovoïde aux joues roses et aux yeux ronds et tristes desquels s'écoulaient deux ruisseaux de larmes blanches. Le cœur de Rána fit un bond violent dans sa poitrine à la vision de cette fillette perdue et éplorée qui, au delà de la peine, inspirait un profond sentiment d'espoir. A la surprise de la jeune louve la poupée s'ouvrit à son tour, libérant un petit caillou noir et luisant. A la vue de cette gemme, pour une raison aussi obscure que la pierre elle-même, Rána se mit à hurler. Elle la saisit brusquement et essaya de l'ouvrir, espérant y découvrir encore autre chose. Mais le caillou restait entier et semblait se jouer de la colère qui s'était emparée de la jeune fille.

Quelques larmes coulèrent, peut-être de rage, peut-être de tristesse. Peut-être de rage et de tristesse ; après tout elle avait deux yeux.

Un bruit de craquement la happa et la fit revenir vers la réalité. On approchait. La jeune fille rampa vers son arbre et s'emparait de la première arme qui venait, un machette un peu abîmée qui avait jadis aidé deux vieilles proies à se frayer un chemin vers l'arbre creux. Rána risquait d'avoir du mal à la manier efficacement dans son état mais elle se sentait un peu moins vulnérable ainsi équipée. La jeune fille huma l'air et lâcha aussitôt son arme, désabusée.

La centaure apparut quelques secondes plus tard avec des branches et de quoi nourrir un chevreuil anorexique. Elle alluma un feu et recommença à vainement faire vibrer ses cordes vocales.

― Au fait, je m'appelle Wilaine. Et toi ?

Rána ignorait combien de temps elle avait passé seule mais cela semblait avoir filé à vitesse grand V. Elle avait du dormir... peut-être. Elle jeta un regard vers l'endroit où elle croyait avoir vu les poupées gigognes et le caillou noir mais ne vit plus rien. Elle se laissa tomber en arrière.

― Pareil, fit-elle d'un ton désinvolte. Elle regretta presque aussitôt d'avoir répondu ; cette... Wilaine risquait de croire qu'elle avait réussi à établir un contact.

A quelques pas de là, tandis que le soleil commençait doucement à entamer sa descente vers l'horizon, quatorze yeux brillant dans la pénombre des bois observaient la scène.

La voie insonore de Fenraar, appuyée par une brise fraîche, s'éleva alors aux oreilles de ses congénères. Son message était simple et sa traduction est sans ambiguïté possible, car cela se résumait à un concept commun à tout ce qui vit en ce bas-monde.


― Tuer.

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MessageSujet: Re: Échange de bons procédés   Échange de bons procédés EmptyMar 31 Jan 2012, 20:55

Je commençais à fixer le feu avec une intensité perturbante. J'avais toujours aimé regarder les flammes. Leurs couleurs variaient selon le bois, selon la chaleur, l'humidité. Du bleu électrique au rouge sombre, en passant par un camaïeu d'oranges tous plus éclatants les uns que les autres... Et le bruit du feu ! Si il y avait un bruit au monde plus rassurant que celui du feu, je demandais à entendre ! C'était l'un des sons que je préférais. Bien sûr, il était aussi ambivalent que n'importe quel élément... Mais de regarder, là, à cet instant précis les flammes tournoyer dans un crépitement agréable et commencer à prendre de l'ampleur, j'adorais.

« Pareil. »

Je sursautais quasiment, cherchant l'origine de cette voix caverneuse et enrouée. En fait, c'était logique, mais très illogique à la fois. La voix ne pouvait venir que de la petite, qui avait encore rampé un peu plus dans son antre, mais vu comme elle avait commencé, je ne m'attendais pas à l'entendre parler d'aussi tôt. Soit, de toute manière, elle devait être fiévreuse parce qu'elle ne devait sûrement pas s'appeler Wilaine, ni Pareil. Bref, je ne répondis pas. Parce que je n'avais rien à répondre, et parce que la petite méritait bien que je lui foute la paix un moment.

J'allais mettre les quelques pommes de terres que j'avais trouvées dans les braises lorsqu'un grognement sourd et rauque brisa le silence. Je relevais la tête, interrompant net mes mouvements. Le jour déclinait lentement, mais la lumière était encore largement dominante. Le pelage des loups commençait tout juste à se fondre dans leur environnement. C'était l'heure de la chasse, et la meute qui s'était arrêtée à quelques mètres de notre campement avait dû sentir l'odeur de la proie facile.

Ou étaient-ce des connaissances de la jeune louve ?... J'en doutais, mais de toute manière il était hors de question que je les attaque sans qu'ils aient été menaçants d'une quelconque manière. Mes principes à la con finiront bien par me tuer, un jour... Ils étaient nombreux, j'en comptais facilement quatre, mais je présentais qu'ils étaient plus que cela. Si ils attaquaient, j'aurais plus de chance de les semer qu'autre chose, même si je n'étais pas la plus rapide de mon espèce. Et puis, je préférais de toute manière fuir, vu que d'un côté, j'étais effectivement sur leur territoire, et qu'ils avaient raison de se protéger des inconnus. On est jamais trop prudent.

Je me levais et me dirigeais vers l'arbre creux. Les flammes se reflétaient sur mon arc en corne. J'attrapais la sacoche qui se trouvait à côté, mes pointes de flèches. Hors de question de partir sans elles, vu le prix qu'elles m'avaient coûtées. Je les attachais à ma ceinture, à côté de mon épée... Que j'espérais pouvoir garder rengainée ce soir. J'avais l'impression d'être une grosse brute à chaque fois que je frappais avec cette lame. Puis je m'approchais de la petite. Je fixais toujours des yeux le loup le plus avancé, qui semblait être l'Alpha. Pelage gris sombre, ses yeux oranges avaient la couleur des flammes. Mes mouvements étaient lents, encore plus qu'à mon habitude, et c'était peu dire vu comme ma lenteur naturelle pouvait être exaspérante.

Alors que je fis un pas de plus vers l'arbre, le loup se remit à grogner, de plus belle. Je m'arrêtais, me couchais sur le sol. C'était la petite qu'ils avaient senti, et malgré toute ma bonne fois, je doutais toujours autant du fait qu'ils viennent ici en tant qu'amis. Après tout, je n'avais jamais connu de loup réellement aimable à mon égard, et le lycans n'étaient pas vraiment une exception... Mais la petite, avant d'être un lycan était une enfant, et blessée de surcroît. Hors de question que je les laisse y poser la patte. Et hors de question que je la laisse ici toute seule. Je devais avoir eu un manque dans mon enfance, pour ressembler tellement à une maman poule... J'avais aussi un don pour penser à des trucs inutiles dans des moments plus ou moins critiques. Fallait vraiment que je m'auto-analyse psychologiquement un de ces jours, qui sait, peut-être que j'apprendrais quelque chose...

Le loup grogna de nouveau, différemment, en tout cas pour mon ouïe pas très développée. Ma main alla instinctivement se poser sur la garde de mon épée. Le métal s'était réchauffé près des flammes, il était encore tiède sous ma paume. J'inspirais un grand coup, me détendant.

« C'est tes potes ceux-là ? murmurais-je en parlant des loups, parce que sinon, on a plutôt intérêt à se tirer vite fait... »

Les yeux du mâle Alpha fixait avec intensité dans notre direction. Ils semblaient de plus en plus vifs, de plus en plus éclatants. Ses muscles se tendirent, prêt à bondir. Ma main se referma sèchement sur mon épée.


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MessageSujet: Re: Échange de bons procédés   Échange de bons procédés EmptyLun 06 Fév 2012, 12:15

Rána pouvait sentir la meute approcher depuis une certaine distance. Ce n'était pas une bonne chose ; le bois de Reilor leur appartenait, techniquement, et ils ne toléraient la présence de la jeune fille en ces lieux que parce qu'elle avait sauvagement déchiqueté trois membres de leur groupe. Les loups savaient généralement qu'il fallait redouter les lycanthropes et cette démonstration de force avait suffi à les tenir éloignés d'elle, du moins tant qu'elle était en état de les affronter.

Les yeux oranges du mâle alpha, Fenraar – c'est ainsi que les autres l'avaient nommé, la dernière fois – percèrent dans l'ombre d'un hêtre tout proche.

― C'est tes potes ceux-là ? demanda Wilaine. Parce que sinon, on a plutôt intérêt à se tirer vite fait...

Rána ne répondit pas tout de suite. Sous l'effet de l'adrénaline, elle avait retrouvé un semblant de vigueur. Elle ramassa la machette dont elle s'était armée plus tôt et soutint le regard du chef loup qui était rivé sur elle.

― Si on se tire, on est mortes toutes les deux.

Les sept loups s'étaient en quelque sortes sédentarisés en restant aussi longtemps en ces bois et connaissaient les lieux mieux que Rána, et a fortiori bien mieux que la centaure qui, si elle avait l'avantage de la vitesse, ne tirerait aucun profit du terrain, celui-ci sombrant toujours un peu plus dans l'obscurité. Et si elle s'encombrait de la jeune fille – ce qui était assez prévisible – elle aurait à gérer, plus qu'un petit soucis de poids, un vrai problème d'équilibre ; car Rána était très mauvaise cavalière.

Les loups, constatant qu'ils étaient découverts, s'approchèrent sans prendre soin d'être discrets et les encerclèrent sur un rayon d'environ quatre ou cinq mètres. Fenraar s'avança. C'était de loin le plus grand et le plus musclé des sept. Sa fourrure épaisse était d'un gris foncé mais assez hétérogène, allant du noir par endroits au gris presque presque clair. Rána jeta un bref regard sur chacun des autres loups pour les jauger. Trois femelles, quatre mâles en comptant Fenraar. Non loin derrière celui-ci se tenait une louve plus claire de pelage avec deux émeraudes en guise d'yeux. Elle était dangereuse, c'était sans doute la femelle alpha. A sa gauche et à sa droite se trouvaient deux loups assez semblables, tous deux presque noirs, plus petits et aux yeux jaunes. Derrière Rána, sur la gauche, se tenait une louve brune qui semblait difficilement se retenir de bondir sur la jeune fille. Derrière Wilaine, la troisième louve, à peu près dans les mêmes teintes que le chef de meute. Enfin, tout à droite de la centaure se trouvait un loup maigre au poil blanchissant. C'était l'oméga, le souffre-douleur. Cela se voyait à son manque très net de nourriture et à son air malade. S'il fallait trouver une brèche dans le cercle, c'était sur lui qu'il fallait miser à coup sûr.

Le chef de la bande s'adressa à Rána dans la langue des loups. Le message était clair et elle le compris assez bien malgré le manque d'affinité.

― Donner chevalelfe.

Rána n'était pas en mesure de négocier. Elle réfléchit aussi vite qu'elle put, envisageant tous les scénarios possibles. Si elles fuyaient, elles étaient mortes. Si elles se battaient, il était difficile de prévoir ce qui se passerait avec certitude. Sous sa forme humaine, Rána pouvait en abattre un ou deux à la machette, compte tenu de son état, mais l'alpha la mettrait rapidement au tapis. Si elle se transformait – ce qui étrangement lui parut compromis à ce stade du crépuscule, sans doute à cause de la blessure – elle pourrait sûrement en tuer la plupart. Encore fallait-il se transformer ! Ah, fichus loups ! Que n'avaient-ils pu arriver un quart d'heure plus tard ! Et elle ignorait tout des compétences martiales de la centaure, mais si son talent résidait dans le tir à l'arc, à cette distance elle serait égorgée avant d'avoir pu décocher la moindre flèche. Si malgré tout elle savait se servir de son épée et tenir tête à un ennemi au corps à corps, il lui faudrait affronter quatre, peut-être cinq loups à la fois. Bref, un combat ouvert ne tournerait pas à leur avantage.

Alors quelles options restait-il ? Si les loups avaient osé venir jusqu'ici, c'est qu'ils avaient senti que Rána était mourante. La voir débout face à eux, menaçante, n'était probablement pas entré en ligne de compte lorsqu'ils avaient lancé leur assaut. Ils avaient sans doute pris pour plan de s'attaquer à la centaure et d'achever ensuite la jeune lycanthrope si l'argent ne s'en était pas déjà chargé. Mais Rána était debout, armée, et ne montrait aucun signe de peur. En cet instant, ils devaient la craindre à une certaine mesure et elle devait jouer là-dessus. Tout ce qu'ils voulaient, c'était la centaure. Si elle leur livrait Wilaine, ils s'en contenteraient peut-être et ne se risqueraient pas à perdre la moitié de leur meute dans un combat vain. Mais rien n'était moins sûr. Si par contre la centaure s'enfuyait, seule, il y avait fort à parier que tous se lanceraient à ses trousses, laissant à Rána le temps de s'enfuir... ou de se transformer. Mais jamais cette bourrique ne l'abandonnerait là à la merci de sept loups affamés. Oh bien sûr, la jeune fille pouvait le lui suggérer avec un hypocrite « fuis, je les retiens » ou un honnête « cours, c'est toi qu'ils veulent » mais voilà bien le genre de phrase qui lui aurait arraché la gueule (non c'est pas un gros mot pour un lycan). Sans compter que Wilaine devait si possible rester sa proie. Rána n'était pourtant pas complètement butée quand sa vie était en jeu – elle avait tiré une bonne leçon de quelque précédente mésaventure. Non, vraiment, la meilleure chose à faire paraissait évidente.

― Donner chevalelfe, insista Fenraar avec un grognement.
― Non, rétorqua Rána d'un regard.

Et elle donna un violent coup de pied dans le feu de camp, envoyant des braises et des étincelles au museau du chef des loups qui poussa un aboiement et fit tressaillir tous les membres de la meute. Sans cérémonie, Rána grimpa aussi vite et adroitement qu'elle le put sur le dos de la centaure, évitant de justesse la louve brune qui se ruait sur elle. La bête, en manquant sa cible, atterrit sur le feu et hurla à son tour.

― Allez, on se casse ! lui cria-t-elle en se cramponnant à sa ceinture.

La jeune louve essaya de ne pas revenir sur sa décision qu'elle jugea impulsive – et bigrement stupide a posteriori. Heureusement, Wilaine n'avait certainement pas pu comprendre les très brefs échanges qu'elle avait eu avec l'alpha de la meute. Elle ne se doutait sûrement pas que la jeune fille venait de lui sauver cinq minutes de vie – cinq secondes, peut-être ? – mais il n'en demeurait pas moins que ce fut le cas, et Rána était bien en peine de se l'expliquer sur le moment.

L'heure n'était cependant pas à la rationalisation d'un acte aussi improbable. Nos deux héroïnes se trouvaient à présent dans le même pétrin et peut-être était-il bon de se concentrer sur un moyen de s'en sortir plutôt que de s'attarder sur de futiles analyses de comportement.
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MessageSujet: Re: Échange de bons procédés   Échange de bons procédés EmptySam 11 Fév 2012, 22:04

Contre toute attente, la jeune louve remua, attrapa une machette et se leva. L'arme était ancienne, rouillée mais paraissait aiguisée. Un semblant de vigueur retrouvé, elle fixa droit dans les yeux le chef de meute, d'un regard glacial et meurtrier qui en aurait fait fuir plus d'un. Je ne bougeais pas, la laissant agir. Si elle avait pris la peine de se lever, c'est qu'elle avait une bonne raison. Elle était mal en point, mais très loin d'être stupide. 

« Si on se tire, on est mortes toutes les deux. »

Tiens, serait-ce une once d'amitié, ou de pitié ? Je ne pus m'empêcher de sourire, rassurée d'avoir au moins quelqu'un à mes côtés, et aussi de voir qu'elle méritait de rester en vie. Et mouahahaha j'avais raison de croire que l'homme était naturellement altruiste. Bref. Sa voix s'était éclaircie, même si elle parlait en un murmure. Elle semblait dans son élément, là, à fixer cet animal sans bouger, silencieusement. La situation, d'ailleurs, me semblait se dérouler dans un autre espace temps dans lequel je n'avais aucune emprise... Comme dans un rêve. Et pourtant, je me sentais physiquement présente.

Je détachais mon regard, observant les subalternes prendre leur position. Dans le silence, la meute se découvrit peu à peu, nous encerclant. Ils étaient sept, dont un moitié-mort qui semblait à peine avoir de l'énergie pour respirer. On m'avait déjà expliqué plusieurs fois la hiérarchie au sein d'une meute, mais je trouvais toujours autant que les loups étaient des crevards pour laisser l'un des leurs dans un si piteux état. Son poil grisonnant était terne, ses os transparaissaient sous son pelage. Il faisait pitié.

Le grognement de l'alpha me rappela à la réalité. Ce n'était pas le moment pour s'apitoyer sur le sort d'un pauvre animal, mais c'était plus fort que moi. En tout cas, il était hors de question que je me serve de la faiblesse de ce loup pour échapper à la meute. Je préférais encore les lapider un à un que de fuir du côté de l'Oméga. Par principe.
En y réfléchissant bien, on pouvait avoir une chance en tuant l'Alpha. Enfin, me semblait-il. En toute logique, la meute lui obéissait au doigt et à l'œil. Il les guidait. Donc, en théorie, plus de guide = gros bordel = fuite possible autre part qu'en utilisant la faiblesse de l'Oméga. En pratique = suicide. Bon, en dernier recours, on pouvait toujours essayer.

L'Alpha grogna à nouveau. La jeune demoiselle ne l'avait pas quitté des yeux. Ils avaient l'air de converser sans même parler, le grognement de l'Alpha soulignant uniquement son mécontentement.

Et soudain, l'enfant envoya une gerbe d'étincelle au loup, s'agrippant à ma ceinture et montant tant bien que mal sur mon dos. Plutôt mal que bien, d'ailleurs.

« Allez, on se casse ! » hurla-t-elle.

Un loup brun me frôla sur la droite, manquant de peu la jambe de la fillette et allant s'écraser de tout son poids dans le brasier. J'avais mal pour lui, mais il l'avait cherché. Je n'avais toujours pas bougé, malgré les coups de talons répétés de la jeune louve, en attendant... En attendant quoi d'ailleurs ?! Mais non de nom, bouge toi de là gros canasson !

J'attrapais la couverture de peau que j'avais prêté à la petite, parce que je ne voulais pas la laisser ici. Un jour, il faudrait qu'on m'explique pourquoi à cet instant il m'a semblé plus urgent de ramasser cette foutue couverture plutôt que d'éviter l'énorme loup aux yeux verts qui venait me sauter dessus. Soit dit en passant, mon mouvement brusque de recul combiné à celui du ramassage de la couverture envoya valser le bas de ladite couverture en plein dans la gueule de l'animal, qui – dommage pour lui – la mordit férocement et se retrouva par terre recouvert du drap et incapable d'en trouver la sortie.

Pendant ce temps, j'avais senti de l'agitation du côté de mon arrière train, mais la jeune demoiselle avait l'air de réussir à maintenir l'animal qui lui voulait du mal. De mon côté, les trois loups qui me faisaient face avaient eu du mal à comprendre ce qui s'était passé avec ma couverture. Rectification faite, j'avais pas compris non plus, mais n'ayant toujours pas lâché le tissu et voyant l'animal s'énerver dessous, je me dressais sur mes pattes arrières et lui envoyait un bon coup de sabot, histoire de bien l'assommer. Mais le grand mâle décida de cet instant pour me sauter au cou, et ce fut bien maladroitement que je touchais le sol, écrasant plus fort que prévu l'animal qui se trouvait sous moi. Vu le craquement morbide, celui-ci, au moins, il ne nous embêterait plus.

Le chef de meute atterrit souplement à côté de moi, tandis que la fillette essayait de retrouver un temps soit peu d'équilibre sur mon dos. Enfin, me semblait-il, vu que je ne la voyais pas. Une fois n'est pas coutume, je ne cherchais pas à réfléchir plus longtemps ; les tous derniers rayons solaires reflétèrent sur la lame de mon épée, éclairant les bois d'un rougeoiement morbide...
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MessageSujet: Re: Échange de bons procédés   Échange de bons procédés EmptyVen 24 Fév 2012, 17:10

Échec critique. Voilà probablement le plus grand point faible de Rána : elle exécrait tellement l'échec qu'elle ne savait pas l'anticiper. Dès l'instant où elle était montée sur le dos de Wilaine, elle avait déjà commencé à chercher un moyen de semer la meute. Seulement, comme il fallait s'y attendre, la centaure fit à nouveau montre de sa réactivité de riru narcoleptique et quelques battements de cœur plus tard, l'une comme l'autre n'avaient pas bougé d'un pouce.
Wilaine ramassa sa couverture – ce qui eut le dont de mettre Rána hors d'elle – et s'en servit pour mettre en défaut la femelle alpha qui le bondissait dessus. La jeune adolescente était à peu près sûr que c'était là un coup de chance.

― Mais qu'est-ce que tu fous ? lui hurla-t-elle en tentant de se retourner sans tomber de sa monture.

Un des deux loups noirs voulut attaquer par derrière mais il fut stoppé net d'un coup de machette en brisé intérieur. Il y eut une giclée de sang et l'animal poussa un cri en reculant, heurtant la louve au poil grillé qui revenait à la charge. Le mouvement déséquilibra Rána qui dut se cramponner à l'arrière-train de la centaure. Celle-ci choisit ce moment précis pour se cambrer afin de piétiner la louve prise sous les couvertures, ce qui eut pour effet de faire glisser la jeune fille en avant. Elle dût serrer ses jambes de toutes ses forces pour ne pas partir en soleil, maudissant à la fois Wilaine, l'équitation et les lois d'Isaac Newton – qui avait la chance inestimable de ne pas exister. Le chef de meute attaqua à son tour : il bondit sur la centaure et celle-ci retomba brusquement au sol, secouant violemment la jeune fille.

Wilaine était toujours debout. Rána toujours sur son dos. La jeune louve se redressa, encore dos à dos avec sa monture, et essaya d'analyser la situation. La louve alpha était morte, ou du moins hors d'état de nuire ; c'était la seule dans ce cas. Deux loups se tenaient face à la jeune fille et les quatre autres (dont Fenraar) s'agitaient de l'autre côté. Ils semblaient avoir été surpris par la mort d'une des leurs et semblaient réfléchir à une manière plus prudente de s'approcher. Ils allaient attaquer en même temps, c'était évident. Rána serra les poings. C'est à cet instant qu'elle se rendit compte qu'elle avait perdu son arme. En se penchant le moins possible, elle jeta un bref regard sous le ventre de la centaure et constata que la machette gisait au sol, sûrement lâchée pendant les secousses.

Elle doutait toujours de pouvoir sortir de ce pétrin vivante, aussi hésita-t-elle à descendre de sa monture pour récupérer son arme. Impossible de savoir ce que Wilaine comptait faire jusqu'à ce que chuintement de sa lame dans son fourreau indique assez clairement qu'elle ne comptait pas fuir. Rána commençait à se demander si elle n'était pas atteindre d'une contradictisme compulsif, une maladie qui vous pousserait à faire l'exact opposé de ce que le bon sens attend de vous. Cette pensée suffit à la décider ; elle descendit aussi adroitement qu'elle était montée. Ce mouvement eut, comme elle l'avait prévu, l'effet d'un coup de feu qui mit tous les loups en mouvement. La jeune fille eut juste le temps de saisir son arme en faisant un roulé-boulé sous le ventre de la centaure et tomba nez à nez avec la louve brune au poil grillé. Le loup noir avait attaqué du côté par lequel Rána était descendu et fut retardé assez longtemps pour que la machette de la jeune fille aille se planter dans le cou de la femelle qui, bien que morte, emporta la lycanthrope dans son élan. En se relevant, Rána retira sa lame de l'artère tranchée qui laissa gicler une pluie de sang noirci par l'obscurité. Elle n'eut pas le temps de souffler que l'autre bondissait déjà en se direction ; elle l'évita au dernier moment et voulut lui faucher les pattes arrières mais l'animal parvint à son tour à esquiver.

Pendant cet affrontement, Rána essayait au bruit d'évaluer la situation du côté de Wilaine. Non pas par inquiétude, ne vous méprenez pas. Elle espérait en fait plus rationnellement que la centaure pourrait survivre à quatre loups et en abattre au moins un le temps qu'elle en ait finit avec son deuxième assaillant. Elle espérait aussi de ne pas se faire surprendre par un troisième loup qui aurait décidé de changer de cible.
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MessageSujet: Re: Échange de bons procédés   Échange de bons procédés EmptyDim 08 Avr 2012, 20:52

Le temps s'arrêta quelques instants. Je respirais bruyamment, mes méninges étaient surmenées depuis trop longtemps, et je n'allais pas tarder à péter un plomb. J'avais horreur de la violence, et pourtant je me retrouvais de plus en plus souvent confrontée à des situations dans lesquelles j'optais pour la bagarre. C'était frustrant, honteux même, et ça commençait à avoir une sacrée influence sur mon ciboulot.

Je regardais les quatre loups qui me faisaient face, sans ciller du regard. L'épée à la main, immobile, je semblais tout sauf peureuse. Et pourtant je paniquais plus qu'autre chose. Je n'avais aucun moyen de faire fuir les bêtes, qui pourtant étaient connues pour rarement s'attaquer aux humains. Leur sédentarité leur avait peut-être fait prendre de l'assurance, leur nombre aussi. Cela me perturbait.

La petite s'agita sur mon dos. Elle ne semblait pas se poser de question. Elle affirmait plutôt qu'elle allait survivre. Je savais que lorsqu'elle descendrait pour récupérer son arme ce serait le signal pour l'attaque des canidés. Il fallait que j'accorde du repos à mes neurones. Copier l'attitude de la jeune louve serait suffisant. L'emprise sur mon épée se resserra.

Pour une fois, j'avais la capacité de prendre quelqu'un de vitesse. C'était inouï, vu ma réactivité qui frôlait le zéro absolu, mais je comptais bien en profiter. Alors que la petite n'avait toujours pas touché le sol, je pris impulsion sur mes pattes arrières et m'élançais vers les loups. Ils avaient fait de même, et malgré leur vivacité, le tranchant de ma lame rencontra le museau de l'un d'eux, qui entrava la course d'un second en s'étalant sur le sol. Les crocs d'un troisième rencontrèrent mon bras gauche, que j'avais oublié de munir de la côte de maille qui l'ornait habituellement. Douloureuse erreur...

Déséquilibrée par le poids de l'animal, je ne cherchais pas à retenir ma chute. Les crocs acérés du canidé ne lâchaient pas prise, ce qui risquait fort de lui coûter la vie. Je m'affalais sur le côté, l'écrasant de tout mon poids. Mais l'animal réussit à se dégager lors de la glissade, et revint à l'attaque avec les deux autres. Au moins, le premier devait être hors d'état de nuire.

Je n'étais pas du tout dans la position idéale pour combattre. Déjà que debout, j'avais du mal, si on me coupais les pattes, j'étais morte. Le problème d'être un centaure, c'est qu'en plus, on a le double de surface à protéger. Pour les loups, cela signifiait qu'ils avaient le double à manger, malheureusement, et ils avaient l'air de ne pas vouloir laisser passer l'occasion.

Le premier attaqua mon ventre, et se prit un sacré coup de sabot dans la mâchoire, qui se brisa dans une gerbe de sang. Les deux autres hésitèrent avant d'attaquer. A deux, ils faisaient moins le poids contre moi. Pendant qu'ils tergiversaient (pour une fois que ce n'était pas moi qui était lente à la réflexion !) je me redressais. Ils décidèrent alors subitement de changer de cible, et se jetèrent comme des furies dans le dos de la jeune fille, qui apparemment n'avais rien vu venir. Moi non plus, d'ailleurs.

« DERRIÈRE TOI ! »

Cri d'alerte peu compréhensible, certes, mais c'était tout ce dont j'étais capable. Et je m'élançais à la poursuite des deux loups qui comptaient bien ne faire qu'une bouchée de la petite.

La lune se mit à éclairer le ciel de ses pâles rayons.


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MessageSujet: Re: Échange de bons procédés   Échange de bons procédés EmptyVen 04 Mai 2012, 16:56

Le loup revint à la charge et, cette fois, ne put éviter le tranchant de la machette de la jeune fille qui avait plongé dans sa garde en l'esquivant. Rána était assez contente de constater que son entraînement portait ses fruits. Lorsqu'elle avait perdu sa meute, deux années plus tôt, elle avait du trouver un moyen de se protéger et de se battre lorsqu'elle était sous son apparence humaine. C'est ainsi qu'elle avait commencé à s'intéresser aux arts de l'escrime, en fouinant un peu partout, en observant des soldats et surtout en expérimentant par elle-même. Elle avait commencé par s’entraîner contre des cibles invisibles, cherchant les moyens les plus efficaces de porter ses coups. Elle avait ensuite testé sur des arbres les effets de chacun d'entre eux et leur associait une parade adéquate. C'est à cette époque qu'elle avait commencé à récupérer toutes sortes d'armes afin de les comparer. En raison de sa carrure et de sa force, elle préférait les lames fines et légères. Après quelques semaines de pré-entraînement, elle avait commencé à prendre pour cible des animaux sauvages qui avaient des méthodes d'attaque assez prévisibles. Ce n'est qu'au bout de plusieurs mois qu'elle s'était mesurée à son premier adversaire, un soldat qui l'aurait tuée si elle ne s'était pas transformée à temps. Elle essuya plusieurs défaites ainsi, tirant toujours des leçons de ses échecs même s'ils lui étaient insupportables. La jeune fille n'abandonna jamais, ne se découragea pas une fois, animée d'une rage de vaincre et d'un profond désir de vengeance ; car elle n'avait pas oublié ce funeste soir dans les monts d'El ou elle avait tout perdu. Elle rendrait sa justice, un jour, mais elle savait que cela était impossible pour l'instant contre de tels adversaires. Rána était encore loin d'être une fine lame et, si elle était habile et réactive, avait encore beaucoup à apprendre.

― DERRIÈRE TOI ! lui cria la centaure.

Cet avertissement fit bondir le cœur de la jeune fille mais ne fut pas suffisant pour la préparer à contenir l'attaque des deux loups qui l'attaquaient par surprise. Elle eut à peine le temps de se retourner et d'attraper des deux mains la mâchoire d'un loup qui allait la mordre au visage. Elle fut projetée contre un arbre, puis tomba au sol mais s'efforça de maintenir la gueule de la bête ouverte. Les crocs rentraient dans les doigts de la fillette, laissant s'échapper quelques goutte de sang. L'haleine répugnante du prédateur s'insinuait dans les narines à l'odorat décuplé par ses sens canins de Rána. Pendant ce temps, le deuxième loup s'attaquait à la jambe blessée de la jeune fille qui poussa un cri en sentant ses dents se planter dans la chair gangrenée.

Pour la première fois, Rána effleura le sentiment qu'avaient éprouvé les nombreuses victimes torturées par sa meute défunte et, même si elle se débattait avec hargne, elle sentait que c'était la fin. Après plusieurs essais, elle parvint à repousser d'un coup de pied le loup qui tentait de lui dévorer la jambe mais il revint rapidement à la charge. Celui qui l'attaquait au visage lui donnait de violents coups de griffes sur le torse et la tête.

Une nouvelle fois, Rána maudit la centaure qui ne faisait décidément rien de ce que la jeune fille attendait d'elle. Ses forces s'amenuisaient de nouveau.

Mais ne perdons pas de temps en tergiversations dramaturgiques car tout conteur sait bien – surtout les mauvais – que c'est dans ce genre d'impasse que le dieu issu de la machine vient sauver le héros d'une mort certaine. Le dieu, cette fois, revêtit le manteau noir de la nuit et la couronne argentée de la lune et hérissa les poils de la petite lycanthrope. Rána émit une sorte de hoquet. Un violent spasme s'empara de tout son corps et repoussa les deux bêtes qui reculèrent, interloquées. La jeune fille sentit ses muscles se contracter et plusieurs crampes la contraignirent à se tordre de douleur. Les deux animaux hésitèrent un instant avant de reprendre leur attaque, mais la jeune fille leur envoya un crochet subit et puissant, tout en gesticulant. Puis il y eut un craquement. Un second. Un troisième. Le corps de la jeune fille commença alors sa mutation. La couleur jaunâtre de ses iris s'étendit dans ses yeux. La gamine se voûta, grandissante, déchirant ses vêtements, et un museau se forma sur son visage. Des poils d'un gris sombre poussèrent partout sur son épiderme, des dents pointues s'échappèrent de sa bouche et ses ongles crasseux se muèrent en griffes.

La bête était réveillée. Ce n'était pas simplement un loup monstrueux comme cela avait été le cas pendant de longues années. La créature avait de grandes pattes arrières modelées pour tenir un corps debout sans l'aide des membres supérieurs qui eux se terminaient par deux ersatz de mains aux pouces inversés. Le monstre se dressa, leva la tête au ciel et poussa un cri rituel qui glaça le sang des loups encore vivants. L'un d'eux voulut s'enfuir mais il fut très vite rattrapé et massacré. Fenraar et son dernier subalterne se jetèrent en même temps sur Rána mais le combat fut de courte durée : la puissance de l'alpha fit tomber la lycanthrope en arrière mais elle emporta son agresseur dans sa chute et le fit voler sur plusieurs mètres. Le deuxième loup voulut la mordre au cou mais fut saisit d'un main et égorgé de l'autre. Fenraar, résigné, refusa de fuir et fondit une nouvelle fois sur la bête. Celle-ci l'imita et planta une patte aux griffes acérées dans la poitrine de l'animal qui poussa un cri aigu avant de tomber au sol. Rána ressortit des côtes brisées de sa proie un cœur percé se vidant de son sang.

Sans cérémonie, la créature sanguinaire planta ses crocs dans la chair du mâle alpha à peine mort et commença à le dévorer. Le repas fut assez rapide. Elle se tourna ensuite vers l'endroit où se trouvait la centaure et constata qu'elle n'avait pas toujours pas détalé. Elle la fixa un long moment pendant lequel régna un silence de plomb. Puis, contre toute attente, Rána tourna les talons et disparut dans le noir.

Peut-on sincèrement sauver la vie de quelqu'un qui veut vous tuer ? Y a-t-il un loup sous la toison de chaque agneau ? Après quelques minutes de marche dans l'ombre des bois, Rána reprit son apparence humaine et continua d'avancer, nue, boiteuse, exténuée et tourmentée. Elle découvrait une sensation d'un inconfort tout nouveau. Ses convictions les plus intimes, celles qui avaient forgé sa vie toute entière se voyaient ébranlées et elle avait du mal à le supporter. Elle en voulait à Wilaine pour cela, et n'avait pas changé de point de vue à son sujet. Pourquoi alors l'avoir épargnée ? Si leurs routes se croisaient de nouveau, Rána ne serait pas aussi clémente, elle le savait bien. Ce n'était pas une déclaration d'amitié entre elles, ce n'était qu'un sursis. C'était comme une dette qu'elle avait tenu à rembourser, sans savoir encore précisément pourquoi. Un simple échange de bons procédés.

FIN...?


Il aurait mieux valu que cet épisode s'arrête là, car la suite n'a rien de glorieux. Rána marchait depuis un bon moment vers le sud, se rapprochant de la mer, quand son pied droit se glissa dans la gueule affamée d'un nœud de laguis qui se resserra sur sa proie alors que la jeune fille tentait de faire le pas de trop. La traction avait libéré une pièce de bois qui empêchait une branche de noisetier à laquelle était fixée la corde de remonter brusquement, emportant le gibier malchanceux dans les airs. Rána poussa un juron pour le moins grossier en quittant la terre ferme et en scanda quelques autres tendis qu'elle se balançait à un bon mètre du sol, suspendue la tête en bas par le pied droit.

Il y a des jours comme ça où la vie vous met sur un fil au dessus d'un canyon pour vous faire des croche-pieds. Après quelques cris de rage, la colère de Rána se mua en une lassitude incrédule et la jeune fille se dit que la situation pouvait difficilement empirer. Et bien entendu, elle se fourrait copieusement le doigt dans l’œil.
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Onyrin Glaveïnir
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MessageSujet: Re: Échange de bons procédés   Échange de bons procédés EmptyVen 11 Mai 2012, 14:36

Enfin la douce tranquillité un peu humide des sous-bois! Mes passages en ville étaient souvent éprouvants. Les gens se bousculent, moins ordonnés que des insectes, s'entassent dans leurs propres immondices, plus sales que les porcs qu'ils critiquent. Mais ces escales dans mon voyage étaient indispensables et je souriais en tapotant ma sacoche pleine d'outils neufs. Les humains étaient friands de champignons psychotropes, et je me faisais toujours un plaisir de leur en fournir en échange de cette chose étrange qu'ils appellent argent, que j'échangeais ensuite contre les outils qu'ils avaient l'art de bien fabriquer.
Le soir tombait furtivement, mais je n'en avais cure, j'aimais autant marcher la nuit et dormir au soleil pendant les journées fraîches de ce début de printemps. Je contemplais les premières étoiles, m'orientant rapidement en direction de l'ouest, vers des régions qui m'étaient inconnues. On m'avait parlé d'une cité étrange au Nord quand on avait remarqué mon intérêt pour les expérimentations et je comptais bien essayer de m'y rendre pour en apprendre plus. Les feuilles crissaient doucement sous mes sabots et une légère brise rendait l'air frais et agréable. J'allais commencer à penser que ma route serait tranquille et agréable quand un cri glaçant transperça la tranquillité de la forêt.
Instantanément une vague d'angoisse me perça l'estomac, faisant trembler mes membres. Je me figeais, aux aguets, d'après ce que j'avais entendu c'était des loups, s'en prenant sans doute à des voyageurs imprudents. Avec une bouffée de pitié pour ces malheureux, je poursuis mon chemin, prévoyant un large détour vers le sud pour éviter la meute. Les sous-bois étaient de nouveaux silencieux mais une tension m'habitait et ne semblait pas décidée à me fausser compagnie. Au risque de me tordre une jambe sur le sentier sombre, je me lançais dans un petit galop. La vitesse me calma et me détendit tandis que le vent sifflait à mes oreilles et je m'imaginais dire à la mort "pas ce soir" avec un sourire sardonique. Pauvres humains, si lents sur leurs deux pattes ridicules et sans même de sabots pour les protéger! Les hurlements des loups s'étaient arrêtés. La meute devait être en train de festoyer, loin de moi. Tant mieux, le ventre plein ils ne s'attaqueraient jamais à un centaure.
Je cheminais tranquillement sous la lueur douce de la lune, admirant les reflets qu'elle lançait sur les fougères et les mousses. J'aime la nuit, le calme. Avisant une plante familière, je la déterrais avec mon long bâton à fouir pour en arracher les racines. Je les lavais sommairement du bout des doigts avant d'en couper un bout au couteau et de jeter le reste. Cette racine était agréable à mâcher, même crue, elle donnait de l'énergie tout en faisant légèrement planer. Exactement ce qu'il me fallait. Je mâchais avec allégresse sans savoir que j'allais bientôt faire une rencontre qui allait changer ma vie.

Entre les arbres, devant moi une chose étrange se balançait, comme une monstrueuse araignée au bout d'un fil. Je m'arrêtais pour étudier à distance la forme sombre nimbée d'éclats de lune. Une chose était sure, elle ne touchait pas le sol. Une vague d’excitation m'envahit, serai-ce une créature capable de léviter? Je me repris en m'ébrouant d'irritation. La racine me tournait la tête, elle ne lévitait pas bien entendu, mais était attachée à une corde par le pied dans une posture curieuse.
Soudain la forme poussa un cri. C'était un cri étrange, à la fois un cri de petite fille désespérée et un hurlement de bête féroce. La forme gesticula un moment puis retourna à son immobilité exaspérée. De mon coté je n'en menais pas large, tiraillé entre la curiosité et l'envie de détaller loin de cette chose étrange. Frappant du sabot pour me donner un peu de contenance, je pris le parti de m'approcher un peu, en gardant une distance raisonnable pour observer cette chose étrange. Par des petits pas mesurés, je contournais donc la chose suspendue à l'arbre, les sens à l'affut prêt à détaler au moindre mouvement hostile. M'avançant de plus en plus, je fis soudain craquer bruyament une branche morte par manque d'attention, ce qui me fit sursauter, ainsi que la créature des arbres. Se contorsionnant, elle se tourna vers moi et me fusilla du regard.

J'étais prêt à m'enfuir, mais découvrant la créature qui m'avait causé tant d'effroi je ne put m'empêcher d'éclater d'un rire tonitruant. Je ris peu d'habitude, mais la racine y était peut être pour quelque chose. Une petite humaine attachée par un pied à un arbre. Elle devait être jeune mais son regard était farouche et sauvage, autant que je pouvais en juger à la faible lueur de la lune. Je fus soudain pris d'une crainte, n'étais-ce pas un esprit de la forêt qui essayait de m'attirer dans un piège? Mais les esprits parlent d'une voix suave qui vous fait les suivre en oubliant tout le reste, et la gamine restait muette tandis que je l'observais. Derrière les arbres, une ouverture dans la canopée laissait entrevoir un ciel constellé d'étoiles. J'avais envie d'aller les observer, la nuit était étonnamment claire et la fillette relativement peu intéressante. Ne sachant pas trop comment saluer un petit humain dans son genre j'essayait une approche neutre, tout en gardant mes distances.

-Belle nuit pour faire de la balançoire.

La gamine écarquilla un peu les yeux puis fronça les sourcils. Pas un mot. Bon les relations centaures n'avaient jamais été mon point fort, et apparemment les relations humaines encore moins. J'haussait donc les épaules et me dirigeais vers la clairière en contournant la fillette. Je m'assis comme je le pouvais sur le sol et commença à relever la position des étoiles et à noter mentalement celles que je voyais pour la première fois sur ce continent nordique. Je donnais des noms aux nouvelles avant de repenser à la gamine. Peut être voudrait elle en nommer une elle aussi? Ou peut être aimait elle aussi observer les étoiles, le point de vue qu'elle avait devait être fort intéressant. Regarder les étoiles la tête en bas était quelque chose que je n'avais jamais songé à faire. Pourtant que de possibilités à changer son point de vue ainsi! C'est pour cela qu'elle ne me répondait pas, elle était concentrée, comme moi. Hochant la tête d'approbation devant une conduite si raisonnable pour un humain jacasseur, je me relevait et commençait à bricoler un système qui me permettrait d'observer le ciel comme elle. Qui sait ce que j'y découvrirai? De nouveaux vents, de nouvelles associations d'étoiles. Enthousiaste, je sciais du petit bois et attachai mes cordes entre elles, tout à ma tâche alors que le ciel rosissait à l'est. Tant pis, je dormirai dans l'après midi, et le lendemain soir, je pourrai enfin voir les choses sous le point de vue de la fillette.
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Wilaine
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MessageSujet: Re: Échange de bons procédés   Échange de bons procédés EmptyLun 21 Mai 2012, 20:59

L'espace d'un instant, un éclair de peur traversa le regard de la fillette, laissant en moi une marque indélébile. Comment un si jeune être pouvait-il assumer toute la violence de ce monde ? J'avais avancé vers le combat, mais les yeux de l'enfant se teintèrent subitement de la couleur de la nuit, et la transformation commença. Je n'avais jamais vu de lycan se transformer, et tous les échos que j'avais eus parlaient d'une scène monstrueuse. Mais je la trouvais au contraire pleine d'espoir. Ce corps plus puissant semblait redonner vie à le jeune fille, et sa rage de vivre prit le dessus, laissant échapper une violence inimaginable. Mais elle voulait vivre, et c'était ça le plus beau.

Je m'étais arrêtée, complètement ahurie. J'avais été obligée de tuer un lycan quelques années auparavant, et pourtant je ne me sentais pas le moins du monde en danger. J'avais même au contraire totalement confiance en la petite. Son regard noir se figea dans le mien. Sans un mot, elle partit.

Je la regardais filer au travers des arbres jusqu'à ce qu'elle disparaisse de mon regard. Elle venait de me faire un merveilleux cadeau en me prouvant qu'elle ne se laisserait pas marcher sur le pieds. C'était con, mais d'une manière cela montrait l'intérêt qu'elle avait porté au fait que je la soigne.

Je restais quelques minutes debout, au milieu des cadavres, l'esprit vagabondant dans une brume épaisse. Je regardais autour de moi. C'était un vrai carnage. Le silence plombait un peu plus l'ambiance, et seul le crépitement des dernières braises apportait un peu de vie à l'endroit. Ce fut l'odeur du sang qui me fit réagir. Déjà qu'une meute c'était trop, autant éviter de ne pas attirer les carnassiers du coin.

Et quand on a à manger, on ne gâche pas. Je commençais par remettre du bois sur le feu. Les flammes le grignotèrent rapidement et éclairèrent l'endroit d'une douce chaleur ambrée. Pendant ce temps, je sortis un petit couteau et m'attelais à la longue tâche du dépeçage de sept loups. Je commençais par le plus maigre, celui au poil tout terne et miteux. Pour celui-ci, je n'avais pas besoin de reprendre la peau, à part quelques endroits précis et encore... Je le découpais donc sans rancune, et essayais de sortir les bons morceaux et le peu de viande qu'il restait sur le pauvre animal décharné. Mais alors même que je commençais, une idée me vint à l'esprit, et j'embarquais l'animal au petit trot sur quelques centaines de mètres, pour le déposer comme appât. Les carnassiers se disputeraient sa peau avant de venir voir les autres, ce qui me faisait gagner du temps.

Je continuais avec la louve au poil brûlé. Je ne comptais pas non plus récupérer sa peau, mais quelques morceaux de choix. Je fouillais ses entrailles à la recherche du foie, du cœur et la dépeçais. Je pris deux grands sacs de peau que je dépliais et mis dans l'un les morceaux de choix et dans l'autre la viande que je pouvais faire sécher. J'enlevais les morceaux principaux, puis décidais d'aller chercher les morceaux de choix sur tous les autres animaux. Ils ne se conservaient pas longtemps, mais étaient très nutritifs.

Le premier sac plein, je le pendis à une branche très en hauteur et finis de remplir le deuxième pour l'accrocher à côté. Au final, ça faisait vraiment beaucoup de viande. J'amenais la carcasse de la deuxième bête un peu plus loin et regardais les autres animaux. Au final, je n'avais aucun moyen de transporter toute cette viande, et aucun endroit où l'entreposer. Indécise, je m'approchais donc du feu et fis cuire un morceau de foie, donc je me régalais. J'en profitais pour mettre quelques branches droites à sécher et noircir. Le temps que je finisse mon repas, je m'attaquais ensuite à faire mes nouvelles flèches. En quelques minutes, elles s'entassaient déjà à mes côtés. C'était une activité à laquelle j'excellais.

La fatigue me tomba dessus d'un seul coup. J'allais récupérer ma couverture, puis m'allongeais.

Et là, patatrac. Je repensais à la petite, et angoissais qu'il lui soit arrivé quelque chose. J'avais un instinct de mère-poule horriblement développé. J'essayais en vain de me raisonner, mais voilà, quelque chose me disait que ça ne se passait pas bien pour elle, et mon instinct avait beau être faux neuf fois sur dix, je l'écoutais toujours onze fois sur dix. Je me redressai donc, et parti à la recherche de la jeune louve, n'oubliant pas mon arc et mon épée, mais oubliant que je laissais derrière moi cinq carcasses.

Je partis dans la même direction que l'enfant, sans savoir réellement où elle était allée. La petite louve savait cacher ses traces, et dans la nuit noire, ce n'était pas simple de suivre sa piste. Je me frayais hasardeusement un chemin au travers des arbres, silencieusement, attentive à chacun des bruits de la forêt pouvant m'indiquer où elle se trouvait.

Un bruit étrange se répercuta contre les troncs. Le bruit de cuir. C'était intriguant. Un bruit de cuir qu'on faisait claquer, comme si on tentait de l'étirer au maximum. Je continuais en sa direction, encochant une flèche par prudence, et par plaisir d'en encocher une. Ça faisait si longtemps...

Je ne tardais pas à me retrouver devant une scène des plus insolites qui soient.

Déjà, un centaure était assis dans un petite clairière, faisant un assemblage biscornu des lanières de son harnachement, et en plus une fillette était pendue par les pieds à l'arbre d'à côté. Je ne comprendrais jamais certaines personnes. Bref, en tout cas, la petite n'était pas ici, et je ne savais pas si je devais m'en réjouir ou non. Je repris mon chemin, écoutant le bruit du vent dans les feuilles et NON DE NON ! La petite pendue par les pieds... C'était la louve !

Rattrapant au galop mon erreur de jugement, je détalais en direction de la clairière et débouchais comme une folle devant le centaure. Rangeant mon arc, je sortis mon canif (encore plein de sang lupin, j'avais oublié de le laver...) et coupais les liens qui retenaient la petite. Qui retrouva le sol assez rudement, me sembla-t-il.

« Ça va ? Tu t'es pas fait mal ? » /mode mère poule : on/

Puis, réagissant que si le centaure ne l'avait pas dépendue, c'est qu'il devait l'avoir pendue, je me tournais vers lui, rouge de colère.

« C'est vous qui vous amusez à pendre les enfants par les pieds ? »

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MessageSujet: Re: Échange de bons procédés   Échange de bons procédés EmptyLun 06 Aoû 2012, 13:24

Une jeune poule blanche
Charmée par un vieux coq d'ébène
Un jour pondit un œuf
Qui ressemblait à s'y méprendre
A tous les autres


Sous un plafond de feuilles mortes, de grandes colonnes sombres descendaient en embranchements vers un océan bleu parsemé d'étoiles. A travers les silhouettes des noisetiers, Rána vit rayonner la Lune entre deux nuages. La gamine resta silencieuse un moment ainsi pendue par les pieds et un sentiment étrange l'envahit. Quelque chose l'abandonnait brusquement, comme un gros caillot plein de haine, de rancœur, de rage, de souffrance et de peine qui se trouvait d'un coup expulsé. La jeune fille avait puisé dans une réserve d'énergie bien trop grande pour elle et maintenant que cette énergie retombait, elle emportait avec elle toute trace d'émotion, laissant la jeune fille dans une sorte de plénitude comateuse, trop épuisée pour ressentir le moindre sentiment. Elle restait consciente mais c'était tout comme si elle s'était évanouie, et elle ne vit pas passer les heures de silence durant lesquelles rien ne se passa de plus notable que le passage furtif d'une famille de karills.

Mais là où le cœur de l’œuf
Aurait du luire d'un jaune solaire
Il était du noir qui fait les abysses
Et lorsque les renards gris
Dévastèrent le poulailler
Et brisèrent l’œuf en morceaux
Il déversa ses horreurs
Au milieu d'un flot doré


Rána ne réagit même pas quand un centaure fit irruption près du piège et entendit à peine ce qu'il disait. Si elle avait d'abord cru que Wilaine l'avait retrouvée, elle constata passivement que ce centaure-ci était un mâle et ne s'étonna pas de croiser deux de ces êtres le même jour à bien des lieues de leur habitat naturel. Prise dans une léthargie presque confortable, elle n'esquissa pas même un mouvement de tête pour regarder la créature qui s'adressait à elle.

Il est triste d'avoir brisé cette coquille
Qui gardait si bien en son sein
Une telle immondice
Mais tôt ou tard, comme chacun sait
L’œuf aurait finit par éclore


Il sembla se passer bien d'autres choses que la jeune fille ne releva pas, avant d'être brusquement secouée par une sensation de chute. La douleur qu'elle ressentit ensuite à la nuque lui indiqua qu'il s'agissait là de plus qu'une sensation. Quelqu'un avait coupé la corde qui la maintenait au dessus du sol. Et ce quelqu'un, à la vague exaspération de Rána se trouvait être Wilaine. Cette bourrique n'abandonnerait jamais. Rána aurait du lui sauter à la gorge mais elle n'en avait ni la force ni la motivation ; au reste, ces dernières heures de suspension avaient engourdies ses jambes qu'elle ne sentait plus.

― Ça va ? Tu t'es pas fait mal ? lui demanda une voix toujours plus pénible.

La jeune lycanthrope ne répondit évidemment pas et resta passivement étalée au sol, aux sabots de deux centaures qui semblaient engager une confrontation sur un malentendu. Cela ne l'encouragea en rien à prendre part à ce qui allait se passer et elle s'efforça de ne pas entendre la scène qui commençait devant elle. Elle attendit, simplement. Le sommeil, le déluge, la fin de cette rencontre, la fin du rêve ou du cauchemar de la vie dans une parfaite indifférence.
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MessageSujet: Re: Échange de bons procédés   Échange de bons procédés EmptyMer 24 Oct 2012, 23:05

Un nœud ici, encore un là. Je calculais mentalement l'espace entre les deux sangles de cuir et me demandai brièvement si elles soutiendraient mon poids. Je n'étais pas un centaure massif mais je pesais quand même une masse non négligeable ! J'étais absorbé dans ma tâche, tout à mes tests de solidité des lanières de cuir que j'avais patiemment découpées. Une sorte de plénitude m'envahissait, comme toujours quand je travaillais de mes mains, et la compagnie de la gamine ne me gênait aucunement.
L'aube commençait à poindre doucement derrière les arbres quand un bruit de sabots me fit dresser l'oreille. C'est les yeux écarquillés que je vis sortir du bois une de mes congénères. Je n'avais pas vu de centaure depuis des années, et à sa vue mon sang ne fit qu'un tour. Mes mains se mirent à trembler et les battements de mon cœur s’accélérèrent brutalement. J'eus envie de fuir et de disparaître, loin de tout, loin des autres, de m'envoler, enfin.

Elle me regarda un instant, puis commença à s'en aller.
Je soupirai de soulagement, relâchant d'un coup l'air que j'avais gardé dans mes poumons à mon insu. Elle. Une centaure. Proche et insaisissable. Je sentais qu'une partie de moi me poussait à me redresser, à courir derrière elle dans la forêt, à demander des nouvelles du pays qui m'avait vu grandir. Je remarquais que je tremblais légèrement et me forçait à me calmer. Ce n'était peut être qu'une apparition, mes sens qui me jouaient des tours. Je tentais de m'en convaincre, je ne voulais pas, je n'osais pas l'imaginer être réelle. Laissez-moi rêver seul, laissez-moi tranquille.

Rasséréné j'allais me remettre à mon ouvrage quand elle déboula de nouveau dans la clairière. Ses cheveux de nuit semblaient sortir du fond de l'obscurité du sous bois. Sa robe renvoyait en mille éclats soyeux le lever du jour. Elle s'arrêta dans une glissade qui me sorti de ma torpeur. De l'émerveillement, je passais vite à la peur. Sang, feu, une odeur puissante émanait d'elle, elle avait des armes, tachées de sang. Un frisson glacé me parcouru la croupe. C'était une tueuse, elle allait mettre à mort la fillette.

Trop lâche pour m'interposer, je la vis au ralenti sortir un couteau et se rapprocher de la gamine passive. Je voulu crier, hurler mais aucun son ne sorti de ma gorge. Sans aucun ménagement, elle trancha la corde qui retenait la jeune humaine en l'air. Cette dernière s'écrasa lamentablement dans un petit bruit mou qui me fit grincer des dents. Dans une démonstration de sadisme incroyable, elle lui demanda ensuite si elle allait bien.
Atterré devant tant de violence, je crus défaillir quand je la vis se tourner vers moi, son poignard à la main. Je n'osais même pas me remettre debout, songeant qu'elle me rattraperai sans doute à la course. Mon cœur battait si vite que j'entendis à peine qu'elle s'adressait à moi sur un ton péremptoire :


« C'est vous qui vous amusez à pendre les enfants par les pieds ? »

Ça ne collait pas vraiment avec ce que j'aurai imaginé. Je pensais avoir mal compris. Ou alors dans sa folie meurtrière elle cherchait un moyen de justifier mon assassinat. Qui était-elle? Que me voulait-elle? Avait elle fait tout ce chemin pour se venger, pour me punir? Terrorisé, je sentis à ma grande honte des larmes pousser sous mes yeux. Je pris ma tête entre mes mains pour me cacher le visage en marmonnant :

- Non, non, non, laissez moi tranquille, je n'ai rien fait, je n'ai rien fait, c'était il y a tellement longtemps, non, laissez moi...



Qu'allait elle faire, me tuer? Jouer avec moi avant de me trancher la gorge. J'entendis alors un bruit dans le sous-bois. Mon corps pris le pas sur mon esprit tétanisé et je me relevais d'un bond et me jettai avec l'énergie du désespoir sur le coté, dans un début de galop infernal...


*BADAM CRAAAAAAAC*

Les lanières... Les lanières de cuir pour me suspendre étaient encore accrochées à mes pattes et je me retrouvais les quatre fers en l'air aux pieds de ma tortionnaire.

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MessageSujet: Re: Échange de bons procédés   Échange de bons procédés EmptySam 15 Déc 2012, 19:38

Spoiler:

La situation semblait irréelle. La petite louve agonisait dans un coin, sans que j'arrive à trouver quoi que ce soit qui puisse la soulager, et ma colère était telle que j'avais une furieuse envie de gifler le pauvre centaure qui se trouvait face à moi. Qu'est-ce que j'avais fait pour me trouver dans un pétrin pareil ? Me mêler des affaires des autres, oui, mais bon, zut. Comme si la petite et les loups n'avaient pas suffit, il fallait encore que j'aie la poisse de devoir faire comprendre à un centaure paniqué que ce n'étaient pas des manières de pendre une enfant par les pieds !

Le centaure me fixait de ses yeux écarquillés et vides. Je n'arrivais pas à cerner ses émotions. Lui qui pourtant était de mon espèce, je ne le comprenais pas. Ses réactions étaient à l'opposé de ce à quoi je m'attendais. Avais-je passé trop de temps loin des miens pour ne plus arriver à décrypter leur langage ? Cela était plus que perturbant.
Il enfouit subitement sa tête dans ses mains en marmonnant des paroles qui pour moi n'avaient aucun sens. Je ne savais absolument pas quoi faire. Puis, effrayé, il tenta de s'échapper. Mais les cordes qu'il avait lui même créées s’empêtrèrent dans ses sabots et il s'étala de tout son long sur le sol. On aurait dit un animal se débattant pour échapper à une mort certaine.

C'était donc ça. De la peur. Il était terrorisé. Son poitrail luisait sous la pâleur lunaire. Il avait le souffle court, les muscles tendus. Il semblait persécuté. Avec une lenteur extrême, je rangeais mon couteau. Si je l'effrayais encore, il allait attirer l'attention sur nous, et il risquait de se blesser en tirant sur les lanières. Je m'approchais tout doucement, comme on m'avait appris à approcher un animal sauvage sans l’apeurer.

Je remarquais seulement à cet instant que je n'étais plus en colère contre qui que ce soit. J'étais intriguée. J'avais l'impression de retrouver de vieux réflexes, et à la fois de découvrir un nouveau langage. Je ressentais sa peur, je la sentais même grandir au fond de moi. Après tout, les animaux grégaires ne sont-ils pas réputés se transmettre la peur de manière totalement exagérée ?

Je fis un premier pas, puis un deuxième. Il ne bougeait pas, tétanisé. Son souffle se calma un peu. A cette heure de la nuit, c'était à peu près le seul bruit audible. Ou peut-être tout simplement le seul que j'avais envie d'entendre. Je voulais qu'il se calme. Je ne lui voulait aucun mal. Il fallait juste que je trouve une manière de l'en convaincre. Je fis un pas de plus. Ses muscles se crispèrent. Je m'arrêtais. J'attendis. Je ne savais pas vraiment ce que je faisais, mais je devais le mettre en confiance. J'avançais un peu plus. Il se crispa encore plus. Je ne pourrais pas aller plus loin. Je m'accroupis sur le sol et posais mes armes assez loin pour qu'elles soient presque hors d'atteinte. Je patientais encore quelques minutes, puis d'une voix à peine audible, je m'excusais.

« Excuse-moi, je ne voulais pas t'effrayer.  »

Je ne pouvais pas vraiment faire grand-chose de plus, la balle était dans son camp maintenant.
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Onyrin Glaveïnir
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MessageSujet: Re: Échange de bons procédés   Échange de bons procédés EmptyVen 22 Fév 2013, 16:41

Spoiler:


À ma grande surprise, tandis que je fermais les yeux en tremblant, je ne sentis pas la cruelle morsure de l'acier. J’entrouvrais les yeux mais elle eut un mouvement vers moi qui me paralysa de nouveau de terreur. Que voulait-elle? Jouer avec moi? Se délectait-elle de ma peur? Bientôt, n'entendant plus un bruit de sa part, je me résolu à combattre ma panique et à rouvrir mes paupières crispées. Elle était toujours là, assise un peu plus loin, ses armes à une distance respectable. J'eus un regard pour la petite humaine qui formait un petit tas pathétique dans la pénombre de l'aube. Pauvre gamine. Elle était surement morte. Ou au moins gravement blessée après une blessure pareille. Mais bon, malgré toute la sympathie que j'avais pu éprouver pour cette gentille petite chose au premier abord, ma priorité était de sauver ma peau. Et de me débarrasser de cette centaure folle furieuse. Elle prit soudain la parole, d'une voix beaucoup plus douce :

« Excuse-moi, je ne voulais pas t'effrayer. »

Et bien c'est raté lui répondis-je intérieurement, un début de rictus aux lèvres. J'attendis un moment. Elle restait encore là, tranquille, me regardant d'un air... intérogateur plus que méchant il fallait l'avouer. Reprennant un peu de contenance, j'esquissai un mouvement du bras vers mes sabots pour les déloger de leur étreinte sans quitter des yeux l'ombre de la centaure. Elle ne bougea pas d'un pouce, bien c'était déjà ça de pris, mes liens défaits je pourrais fuir si jamais les choses tournaient mal.

On vous a surement déjà dit que la curiosité était un vilain défaut. Dans ce cas c'est on ne peut plus vrai. J'aurai du écouter mon instinct et fuir de toutes jambes ailleurs, mais cette amie de longue date me poussa à en savoir plus. Une centaure. Une. Tant de temps avait passé depuis que... Non jamais elle ne m'accepterai, jamais elle ne me parlerai. Je suis un paria. Me remettant debout, je lui fis face, tiraillant nerveusement les perles accrochées aux longues tresses de ma barbe et raclant le sol du sabot.

Je penchais la tête pour mieux l'observer. Elle était déjà beaucoup moins menaçante maintenant que je me tenais debout au dessus d'elle. Un petit sourire me vint, elle était vraiment très jolie quand on oubliait à quel point c'était une brute sanguinaire. Avec un regard en coin vers la pauvre petite humaine, je reculais de quelques mètres doucement avant de soupirer bruyamment. Tout mon matériel se trouvait près de la centaure, hors de ma portée. Elle ne manquerait pas de s'en emparer si je m'enfuyais et je perdrai des années de travail. Non, non, non, non... Je remuais nerveusement dans l'attente d'une solution intelligente en essayant de repousser la peur aux portes de mon esprit. Peine perdue. Tout en renâclant, je demandais d'une voix tremblante

" S'il vous plait, s'il vous plait, allez-vous en, laissez moi en paix."

Si elle avait levé les yeux en m'entendant, son visage ne marquait qu'une perplexité affichée. M'enhardissant, je me lançait soudain.

" Et puis qui êtes vous pour galoper ici dans les bois sans le moindre respect pour les gens qui vous entourent, à faire le mal et à apporter la mort et le sang".

Tremblant de tout mes membres après cette sortie, j'attendis sa réponse avec une anxiété croissante...
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