Toujours assise, les genoux repliés, Aerin aurait voulu s'endormir d'un sommeil sans fin... La jeune elfe était complètement perdue et se sentait terriblement seule dans cette pièce cauchemardesque... Comme si le monde autour d'elle s'était subitement volatilisé, ne laissant exister que cette salle.

Aerin se demandait ce qu'elle allait devenir. Allait-elle rester pour toujours enfermée dans cette salle sinistre en attendant que la mort vienne la chercher ? Sans eau ni nourriture ? Seule avec elle-même et ces clichés terrifiants ? Elle fit glisser ses doigts dans sa longue chevelure, du sommet vers la base de son crane, enfonçant ainsi davantage sa tête dans ses bras, puis poussa un profond soupir qui vint briser le silence. Aerin releva finalement la tête, et posa ses grands yeux verts sur l'énorme miroir qui se trouvait dans la salle et sur lequel elle ne s'était pas franchement attardée jusqu'à présent. Ses membres menaçant de s'engourdir, la jeune elfe se leva, et se dirigea vers le miroir. Elle observa son teint que la peur et l'angoisse avaient rendu très pâle, ses cheveux humides et emmêlés, sa cape toute froissée, mais elle s'en moquait. La seule chose qui lui importait à l'heure actuelle était de sortir de cette salle maudite.

Soudain Aerin poussa un cri et recula violemment contre le mur. Son reflet dans le miroir semblait se transformer. La silouhouette elfique et colorée laissait place à une sorte d'ombre. Une forme noire s'agitait dans le miroir avant de s'immobiliser, pour laisser apparaître deux yeux perçants. Le coeur d'Aerin battait si fort qu'elle s'étonnait de ne pas l'entendre résonner dans toute la pièce. Puis quelque chose attira son regard. L'ombre semblait pourvue d'une main dans laquelle se trouvait une clé rouge. Cette clé lui était-elle destinée ? Pouvait-elle lui servir à quitter cette sinistre salle ?

Mais Aerin n'eut pas le temps de se poser plus de questions et poussa un hurlement de terreur. Elle venait de remarquer la peinture vermeil qui dégoulinait de façon répugnante au dessus du miroir, et ne mit pas de temps à remarquer que le phénomène s'étendait à toute la pièce. Une traînée rouge semblable à du sang était entrain de recouvrir les murs et les photos qui y figuraient. Paniquée, Aerin ne savait que faire, ne savait où aller. Elle aussi allait être recouverte ? Le liquide remplirait-il entièrement la pièce ? Allait-elle mourir noyée dans cette affreuse substance ? Elle se retourna brusquement vers le miroir, l'ombre était toujours là, et la regardait fixement. La seule différence était que la clé qu'elle tenait semblait fondre elle aussi. Sa seule chance de sortie était entrain de se liquéfier. Instinctivement, Aerin se précipita vers le miroir, le bras tendu, avec l'espoir fou qu'elle pourrait peut-être attraper cette clé. Mais en vain. Elle heurta violemment la paroi et se retrouva au sol.

Un peu étourdie par le choc, Aerin se releva, pleine de liquide vermeil qui la faisait ressembler à la pire des meurtrières. La peinture des murs avait déjà recouvert tout le sol. Elle se tourna à nouveau vers le miroir, étant convaincue qu'il représentait sa seule chance de survie, mais elle ignorait par quel moyen. Malgré la panique qui semblait régner dans la salle, le silence était toujours le maître. Seule la respiration paniquée et haletante d'Aerin se faisait entendre. La jolie jeune fille parvint cependant à entendre un son. Elle essaya de se calmer et de rester la plus silencieuse possible afin d'être sure de ne pas avoir rêvé. Mais non, c'était vrai, il y avait bien un très léger chuintement. Aerin tenta alors d'identifier la source de ce bruit. Pendant se temps, les murs continuaient à dégouliner, recouvrant petit à petit le miroir. Recouvrant le miroir ? C'était ça. L'elfe se rendit compte que le miroir, et donc l'ombre qui s'y trouvait, était entrain de disparaître, comme dévoré par ce liquide gluant qui semblait agir sur lui comme de l'acide très puissant. Aerin ne pouvait que constater ce triste spectacle, ne voyant pas ce qu'elle pouvait faire pour empêcher le liquide de dévorer le miroir.

Quelques minutes plus tard, le miroir avait disparu, et l'ombre avec lui. La pièce baignait dans un vermeil sanglant. Les murs en étaient recouverts, et Aerin en avait jusqu'aux genoux. Mais pourquoi cet effet d'acide sur le miroir et pas sur elle ? Oh peu importe après tout, qu'est ce que cela changerait de le savoir ? Mais la jeune elfe réalisa quelque chose qui lui fit soudain tout comprendre. Sous l'effet de l'acide, le miroir avait laissé place à un trou noir béant qui semblait être ce qu'Aerin espérait depuis d'interminables minutes : une porte de sortie. C'était donc ça que symbolisait la clé que tenait l'ombre. Cependant Aerin restait sceptique, il s'agissait quand même d'un trou noir béant, qui sait où il débouchait, et même si il débouchait sur quelque chose.

Elle se mit à réfléchir aux choix qui s'offraient à elle. D'un côté elle pouvait rester malgré tout dans la salle, sans savoir si elle aurait un autre moyen de sortie, et si la pièce allait d'avantage se remplir. De l'autre, elle pouvait entrer dans ce trou, sans savoir quelles conséquences cela engendrerait. Aerin prit son courage à deux mains et décida d'opter pour le trou. Tant pis si elle y laissait sa vie, si elle ne tentait rien, rester dans cette salle sinistre ne donnerait pas de meilleur résultat. Le trou, lui, débouchait peut-être sur une sortie. La jolie jeune fille s'approcha donc lentement de l'impressionnante ouverture en murmurant doucement une prière elfique. Elle n'avait jamais cru à ce genre de choses, ne croyant qu'à des choses concrètes, mais à l'heure actuelle elle tentait de trouver du soutien là où elle pouvait. Elle pensait aussi à Artemor, espérant de toute son âme que ce trou allait lui permettre de le revoir...

Aerin s'arrêta à l'entrée du trou. Elle fit appel à tous ses sens afin d'essayer de savoir sur quoi pouvait bien déboucher ce qui semblait être le néant. Elle ferma les yeux, tendit l'oreille, essaya de reconnaître des odeurs... C'était très faible, mais elle cru reconnaître un parfum de forêt, ce parfum qu'elle aimait tant. Elle se dit que c'était peut-être un piège pour l'attirer vers une mort certaines, mais cependant si elle ne tentait rien...

Aerin respira profondement, comme si elle s'apprêtait à plonger du haut de la plus haute falaise qu'elle connaissait. Elle garda les yeux fermés, et fit un pas en avant. Puis deux. De l'air froid arrivait violemment sur son visage. C'était une sensation étrange, comme si Aerin tombait dans le vide, mais à une vitesse raisonnable. Puis petit à petit, le sommeil l'envahit... Etait-elle sur le chemin de la mort ? L'elfe perdit finalement connaissance, comme plongée dans un profond sommeil...

Lorsqu'elle se réveilla, tout était noir autour d'elle. Impossible de voir ne serait-ce que le bout de son nez. Aerin détestait le noir. Les elfes sont des créatures débordantes de lumière qui ne sont pas faites pour vivre dans la pénombre la plus complète. La jolie elfe se sentait étouffer dans cette pièce, complètement aveugle, cela la paniquait. Mais soudain, elle crut entendre des voix. Pas masculines mais pas n'appartenant pas non plus à des femmes, ces voix marmonnaient des paroles qu'Aerin ne comprenait pour l'instant pas. Mais malheureusement pour elle, cela ne dura pas. La jeune fille se retrouva victime d'une véritable torture psychologique, comme si, dans cette pièce qui semblait habitée par le néant, seul son esprit existait.

Les mystérieuses voix faisaient vriller les fines oreilles d'Aerin en la couvrant de reproches, en faisant surgir du passé des évènements douloureux qu'elle avait réussi à oublier, ou des mauvaises actions qu'elle avait faite et dont elle ne se souvenait même pas. C'était comme si ces voix maltraitaient violemment l'esprit de la jeune elfe. Aerin plaquait ses mains sur ses oreilles, cherchant à fuir ces paroles si douloureuses, mais en vain. Etait-elle si mauvaise pour que ces mystérieuses voix qui semblaient sortir de nulle part la traitent ainsi ? Que devait-elle faire pour que cela cesse enfin ?

Durant toute sa courte vie elle avait essayé d'être juste et gentille, qu'avait-elle bien pu faire dont elle ne se souvenait plus pour mériter un tel traitement ? Aerin distingua le nom d'Artemor dans le flot de paroles qui lui aspergeait l'esprit. Artemor ? Etait-ce donc à cause du fait qu'elle n'avait pas pu le laisser retourner à l'état sauvage après leur première rencontre ? Cela avait été au dessus de ses forces. L'étalon était en piteux état la première fois qu'elle le vit, et après lui avoir prodigué de nombreux soins, Aerin n'avait pas pu se résoudre à s'en séparer tellement elle s'y était attachée... Artemor aurait-il été plus heureux si elle l'avait laissé rejoindre la forêt ? S'était-elle montré si égoïste ? Oh oui... Elle se sentait soudain extrêmement misérable. Artemor aurait certainement préféré sa vie d'avant si Aerin lui avait laissé le choix. Mais une petite lueur au fond d'elle-même voulait lui faire garder espoir. La jeune elfe avait toujours traité l'étalon avec amour et y tenait plus qu'à sa propre vie. Elle ne lui avait jamais passé de mors dans la bouche pour le retenir ou le diriger, ni de selle sur le dos... Si il était si malheureux en sa compagnie, pourquoi finissait-il toujours par revenir vers elle, même lorsqu'elle le laissait filer librement sur les sentiers, avec la peur égoïste qu'il ne revienne jamais ? Mais Aerin distinguait des mots qui semblaient vouloir dire " tu as voulu le garder pour toi, tu n'en avais aucun droit, sale égoïste ". Des mots si durs qu'ils lui semblaient être des coups de poignard en plein coeur...

La culpabilité commençait à envahir le coeur d'Aerin... Oui elle s'était montrée égoïste pendant un temps, elle le savait mais n'avait jamais voulu le reconnaître car cela lui aurait fait trop mal, à elle qui essaie de toujours tout faire au mieux... Elle s'en voulait. Terriblement.

Etait-ce pour cette raison qu'elle avait atterri dans cette salle ? Etait-ce sa punition pour s'être montrée égoïste ? De toute façon maintenant Artemor était loin, sans doute ne le reverrait-elle jamais... Elle n'avait plus qu'à attendre son châtiment pour n'avoir pas laissé sa liberté à son cheval, et elle l'accepterait car au fond elle savait qu'elle le méritait...