Ash Hinawa, 20 ans, nekotrophe.


Sang. Amour. Honte. Passion. Feu. Colère. Vie.
Rouge…

A travers ses paupières fermées, elle la ressent plus qu’elle ne la voit. Couleur du feu et de la mort, de l’interdit et des blessures.
Mais son corps qui se réveille réclame une attention qui la détourne de ces sombres pensées. Lentement, sans ouvrir les yeux et en bougeant à peine, elle explore, découvre ou peut-être redécouvre son corps en silence. Les doigts d’abord, dont les articulations se dérouillent peu à peu, puis les mains, les poignets, les bras. Enfin, elle se redresse en souplesse, et s’assoit en tailleur, ouvrant finalement les paupières. Son visage prend alors une expression de surprise, presqu’aussitôt corrigée par un air vaguement intéressé. D’un bond, elle est sur ses pieds et commence à examiner l’étrange endroit dans lequel elle se trouve.
Au premier abord, une pièce. Close. Aucune ouverture vers l’extérieur n’est visible, cependant, l’endroit règne baigné d’une clarté rougeoyante, ne provenant vraisemblablement de nulle part. Mais ce n’est pas la lumière qui intrigue la jeune Neko, l’étrangeté du monde l’a lassée depuis trop longtemps. Non, son regard se porte pour le moment sur les murs. Couverts de morceaux de papiers divers, de taille et couleurs dépareillées, ils ont malgré leurs différences une chose en commun. Elle.

Les photos ne sont que des instants, figés à jamais sur un support. Ils ne représentent en rien la vie d’une personne, tout au plus offrent-ils parfois le luxe d’un souvenir, d’une réminiscence. Mais dans cette pièce écarlate, affichées sans ordre apparent et couvrant une immense surface, les images prennent tout leur sens. Hors du temps, seule, Ash regarde sa vie, elle se regarde.
Ici, elle a douze ans. Accroupie dans le coin d’une chambre, elle pleure entre ses mains. Plus haut, elle se voit nourrisson ; ses oreilles félines pointent entre ses cheveux, entièrement noirs à l’époque. Puis à seize ans, immortalisée en pleine escapade nocturne. A la vision de ces moments, plus ou moins heureux, parfois honteux ou gênants, sa gorge se serre, mais elle continue, sans flancher. Soudain, l’une des images devant laquelle elle passe s’anime et suit son mouvement. Un miroir.

Surprise, elle fait un pas de côté, puis se ravise. Se postant devant la glace, elle prend une profonde inspiration, et lève le regard vers celui de son image, brisant au vol le début d’espoir qui la tenaillait depuis son réveil. Le reflet auquel elle est habituée lui présente son visage, fin, pâle et moqueur, asymétrique. L’œil gauche, d’un gris foncé et doux contraste étrangement avec le droit, bleu, presque blanc, impassible. Aveugle.
Déçue, elle se mordille inconsciemment les lèvres, laissant entrevoir une dentition parfaitement alignée, presque acérée. Mais une autre idée lui vient ! Elle laisse tomber à terre la grande chemise qui cachait jusque là les preuves de sa féminité et fait deux pas en arrière. D’ici, grâce à un autre miroir placé en face du premier, elle peut se voir de dos.
Son cœur se serre à nouveau à la vue des fines cicatrices rouges qui rayent son corps à cet endroit. Une amère déception l’envahit. A quoi bon s’être retrouvée ici, si ses handicaps n’ont pas disparu ?
Ravalant les larmes qui lui montent aux yeux, elle tente de se considérer d’un point de vue plus positif. Son corps menu à la silhouette élancée n’a rien à envier à ceux des autres jeunes filles de son âge, malgré les traces d’un lourd passé, qu’elle dissimule aux yeux de tous. Les oreilles félines dont le bout rouge se dresse impertinemment au dessus de sa tête sont la seule marque visible de son apparence à la race des Nékos.
Passant une main distraite dans ses cheveux, qu’elle porte mi-longs et perpétuellement ébouriffés, elle ramasse de l’autre sa chemise. Le bout d’une mèche plus longues que les autres, dont l’extrémité a viré au rouge lui tombe sur le nez. Au moment de souffler dessus avec une mimique amusée, elle se fige. Son instinct de prédateur lui indique que quelque chose, -ou quelqu’un- est sur le point d’arriver…


[Ce forum est ma toute première expérience de RP. Je sais que ce n'est pas le plus facile pour commencer, mais l'histoire me plait beaucoup. J'espère que ça marchera !]

Le reflet. Le reflet a bougé alors qu'elle était immobile. Ou plutôt non, il est resté immobile alors qu'elle se penchait. Refrénant un mouvement de recul, Ash se redresse et plante son regard dans celui qui lui a emprunté son image, impudemment. Ce dernier relève le défi quelques secondes, puis ses yeux rougissent et semblent fondre, dessinant sur la paroi lisse un curieux motif couleur de sang. Le temps de battre des paupières, toute cette mise en scène a disparue, et un passage sombre s'ouvre à l'emplacement du miroir. Elle se sent poussée vers cette issue malgré elle, bien que son instinct lui indique que ce n'est pas la sortie qu'elle trouvera de l'autre côté, mais une épreuve autrement plus éprouvante que celle qu'elle vient de traverser.
Un dernier coup d'œil vers la pièce où les blessures qu'elle cachait si bien se trouvent révélées, et elle avance, espérant vaguement que les photos disparaîtront en même temps que sa présence.

Le contraste de couleurs est brutal; l'obscurité, dès la fermeture de la porte, totale. Quelque chose d'autre dans l'atmosphère a changé, aussi.
Il y a comme une présence, on ne sait où dans le noir. Et un bruit...
Murmure d'abord, à peine plus fort qu'un bourdonnement, il s'amplifie en un grondement sourd qui résonne dans la salle. La jeune Neko, malgré la finesse de son ouïe, a toutes les peines du monde à reconnaître l'origine de cet écho qui lui dresse les cheveux sur l'échine. Soudain, tout s'arrête et le silence, plus assourdissant encore que le son, retombe. Ainsi, dans cette inertie ambiante, vide de couleur et de vie, on se croirait dans une tombe.
Mais le repos scépultural est de bien courte durée, à peine ses oreilles ont-elles cessé de résonner que...

-Ash !

La voix est caverneuse, sans âge ni sexe. Elle semble être émise par les cordes vocales de milliers de créatures, chuchotant, criant, pleurant. Des femmes, des hommes, des enfants et vieillards qui prononcent en même temps ce nom, intelligible malgré la rumeur dans laquelle il se perd.

L'interpellée se raidit. Qui -si c'est bien là la voix d'une (ou plusieurs ?) créatures, l'appelle ainsi ? Et comment savent-ils son nom ? Après avoir vu sa vie privée étalée sans scrupule sur des murs, elle s'y était préparée, mais elle sait qu'elle ressortira perdante d'une confrontation avec les auteurs de cette mascarade.
Réprimant les tremblements habituels dès qu'une personne extérieure semble solliciter ce qu'elle a enfoui au plus profond d'elle-même, elle prend une voix volontairement sarcastique et répond sans faillir.

-Ash... répètent les voix, prenant une intonation différente, comme ennuyées.

Sans montrer que cette interjection la ébranlée plus que de raison, un "C'est bien moi !" fuse sans tarder. Alors tout commence...

-Si jolie jeune fille... si blessée, … tant de mépris et d'ironie... dommages irréparrables...

Les mots résonnent et s'entrechoquent les uns les autres, grondent et se perdent dans une foule de sons angoissants. Seules de rares bribes se distinguent ça et là, parmi le torrent de paroles, épitaphes énigmatiques…

-Déceptions… pourquoi tant de mépris ? …

-L'attaque est la meilleure des défenses, lance-t-elle d'une voix bien plus assurée qu'elle ne l'est véritablement, saisissant la question au vol.

Mais le monologue continue, comme si elle n'était pas intervenue.

-Savoir se pardonner à soi-même... solitude...

Exaspérée, la jeune Neko se racle (bruyamment) la gorge. La patience n'est décidément pas son fort, constate-t-elle amusée. Mais cette distraction se mue en anxiété lorsque les êtres cessent leurs concertations pour se pencher sur son cas.

-Ash... Un nom lourd de sens pour une frêle jeune fille, font-ils en un gémissement assourdissant.

-Ashes to ashes, de cendres nous reviendrons à cendres, récite-t-elle mécaniquement, presque pour elle-même.

-Mais ne le demeurons pas durant notre vie... Alors pourquoi as-tu laissé le feu de tes joies s'éteindre, pourquoi avoir étouffé ainsi l'étincelle qui fait de la vie un présent ?

Interdite, elle réfléchit quelques temps. Qu'entendaient-ils par cela ? Et comment savent-ils toutes ces choses sur elles ? Car ils semblent en savoir bien plus à son sujet que ne le laissaient supposer leurs phrases abstraites. Elle ouvre finalement la bouche pour prendre la parole, mais reste là, indécise.

-Un feu ne brûle que lorsqu'on a de quoi l'alimenter, on ne peut faire un feu de joie avec ses désillusions.

Cette fois, ils mettent plus de temps à répondre. Satisfaite de sa réponse, aussi vague que la question, elle se laisse le temps de savourer sa modeste victoire. Mais ils reprennent...

-Dans ce cas pourquoi avoir tué toutes tes illusions ? Un être vivant à besoin d'espoir et de foi pour subsister, pas de doutes et de méfiance. Certaines personnes t'ont pourtant montré qu'on peut croire en quelqu'un d'autre que soi, sans pour autant...

-Là n'est pas la question !

Elle à haussé le ton, leur phrase se finit en un murmure incompréhensible.

-Les illusions n'ont pas lieu d'être, on ne peut pas... vivre dans une utopie ! A quoi bon avoir des rêves si c'est pour les voir se briser les uns après les autres ? A quoi bon s'attacher si c'est pour se détruire ? Il vaut mieux ne pas y croire et s'éviter toutes ces larmes et maux qu'on inflige à ceux qu'on aime, et à soi même... L'espoir et la foi dont vous parlez ne sont bons que pour ceux qui ont peur de la mort.

Alors qu'elle s'arrête pour reprendre son souffle, entre la colère et les larmes, les murmures reprennent.

-En effet, la peur de vivre qui te hante est bien pire encore que celle de mourir…

-JE N'AI PAS PEUR DE VIVRE !

-Alors pourquoi crier ? As-tu si peur d'entendre la vérité sur ce que tu te caches à toi même ?

Désorientée, elle cherche dans le noir un endroit, quelque chose où poser son regard. Mais vite, ses yeux se ferment, autant pour refouler l'eau qui y monte que par lassitude. Se berçant doucement d'avant en arrière, elle tente vainement de protester.

-Je ne ca...

-Inutile de mentir... tout ce que tu n'oses pas t'avouer nous le savons. Trop fière pour demander de l'aide, tu préfères t'enfermer dans ta solitude. Mais détrompes-toi, elle ne te rend pas intouchable, loin de là ! Les rares personnes qui t'ont jamais troublée ont été rejetées, par peur ou pas amour...

-NE PARLEZ PAS DE CE QUE VOUS NE CONNAISSEZ PAS ! Vous ne savez pas ce que ça fait d'être rejeté, par ses propres PARENTS ! Personne ne sait à quel point ça fait mal de détruire toutes les personnes auxquelles on s'attache. La solitude n'est jamais un choix, mais un refuge. C'est la seule solution pour cesser de faire souffrir les gens qui nous sont proches, pas une question de fierté ! Jamais !

La réponse se fait attendre. Longtemps. Le silence est retombé, les battements de son cœur résonnent dans ses oreilles, elle tente de calmer sa respiration. Le vide se fait oppressant, une vague d'anxiété monte en elle. Les minutes passent. La notion du temps ici est trop relative, seul le présent, éternel et éphémère, compte. Tout au plus un léger murmure se fait-il entendre de temps à autre, mais peut-être n'est-ce qu'une illusion.
Enfin...

-Ash...

La boule qui s'était formée au niveau de son estomac remonte jusque dans sa gorge.

-Nous ne pouvons t'aider si tu n'acceptes pas ton passé. Quelle que soit la justesse ou la véracité de nos remarques, les certitudes que tu t'es forgées au fil de ta courte vie te poussent à les repousser, de peur de voir ton équilibre précaire s'écrouler. Accepte qui tu es, vis avec toi même et apprends à aimer, à t'aimer. Tu n'es pas éternelle, ta vie sera brève. Cesse de partir du principe que tu l'as déjà ruinée, et vas de l'avant. Mais n'oublies jamais que pour avancer dans la vie, il ne faut pas abandonner ce que l'on a vécu. Il faut vivre avec, et non le cacher, lui et les marques qu'il t'a laissé...

Elle a une hésitation, un bref sursaut de crainte, puis fait appel à toute la mauvaise foi qui lui reste. La sentence qui vient de tomber ne la touchera pas, rien ne sera remis en question par sa faute. Mais alors qu'elle effaçe de son esprit les phrases qu'elle vient d'entendre, certaines bravent les barrières de sa volonté pour se graver à son insu dans sa mémoire.
Les voix chantent maintenant, une étrange et douce mélopée aux paroles indistinctes, aux notes étrangement douces. Le jugement est terminé, elle est est presque certaine. Les bras croisés, le ventre noué, elle se demande quelles atroces surprises lui réserve encore cet étrange endroit...


[Voilou, l'esquisse et l'avatar sont en ordre. Merci !!]