Sang. Du rouge. Sang, carmin, pourpre, écarlate. Du rouge encore, du rouge partout. En quantité, sur les murs, le sol, le plafond.
Agressée par tant de vermeil, la jeune femme ferma les yeux quelques minutes. Pris le temps de mettre de l'ordre dans ses idées. La pièce dans laquelle elle se trouvait avait-elle une porte ? L'omniprésence de rouge était-elle tout ce qu'elle avait vu dans la pièce ? Et, surtout, comment diable s'était-elle retrouvée en ce lieu, si rouge et, à son goût, oppressant ?
Elle rouvrit les yeux. Sa première interrogation fut ensevelie par ce qu'elle vit. Sur les murs, sur le plafond, étaient accrochées des photos d'elle à tout âge, dont les dernières devaient dater de quelques mois tout au plus. Elle les observa un instant. Son regard fut attiré par un cliché sur lequel elle avait l'apparence d'une jeune fille de dix huit ns. Elle était sur la plage de Loïli, un grand sourire sur le visage, en compagnie de ses parents de cœur, bien qu'ils aient également été ceux qu'elle considérait comme ses plus proches amis. Ses cheveux châtains clairs étaient alors coupés au niveau de sa mâchoire, encadrant son visage juvénile. C'était juste après sa chute du paradis ; déjà à l'époque, sa peau pâle mettait en valeur ses yeux bleus d'une égale pâleur.
Elle tourna la tête vers une autre photo. Le cliché datait de 10 ans, elle en paraissait alors 21, et revêtait une robe aux couleurs iridescentes tirant du blanc le plus pur au bleu de la mer. Ses ailes, de la même iridescence, s'étalaient fièrement dans son dos, tandis que devant elle, sur un bûcher funéraire, reposait la dépouille d'un jeune homme du même âge, vêtu d'une tenue rouge aux reflets verts et dont les ailes, qui avaient eu les mêmes teintes, étaient repliées sous lui. Le lendemain de sa mort, alors que seule son enveloppe avait persisté parmi eux...
Elle détourna le regard. Vit son propre reflet dans les miroirs dispersés ça et là, au milieu des photos. La tête lui tourna un instant devant tant d'images d'elle, puis elle se concentra sur l'une des glaces, située au dessus de sa tête.
De ses yeux couleur d'eau coulaient désormais des larmes silencieuses. Elle les essuya de ses longs doigts fins et blancs, puis se détailla des pieds à la tête. Ou plutôt de la tête aux pieds.
Le rouge de la pièce se reflétait sur sa peau, lui donnant une teinte rougeâtre qu'elle trouva dans un premier temps assez oppressant, tout comme la pièce, puis, après un temps, plus amusant. Si ses amis l'avaient vue parée d'une couleur si étrange, quelle réaction ils auraient eut !
Se détendant, elle poursuivit son examen. Ses cheveux avaient bien poussé, depuis ses huit ans, et lui tombaient désormais sur les épaules, sa frange cachant un front trop grand à son goût. Ils étaient raides, comme lissés. Par réflexe, elle pinça l'arrête de son nez droit et fin. Laissa glisser son index sur sa joue droite jusqu'au seul grain de beauté visible sur sa peau. Puis le retira et joignit ses deux mains. Fit craquer ses doigts par habitude. Repris ses observations.
Ses lèvres étaient figées dans une moue interrogatrice, qu'elle mis quelques secondes à effacer. Elle secoua la tête avec un sourire.

*Quelle tête tu fais, ma fille, tu ferais mieux de te reprendre !*

Elle porta la main au collier de cuir qui lui ceignait le cou et en tripota la boucle.
La jeune fille observa sous tout les angles ses épaules bien dessinées et droites, sa poitrine peu développée, sa taille élancée, ses longues jambes blanches... La seule partie d'elle qu'elle ne pris pas la peine de regarder fut ses ailes blanches irisées de reflets du même bleu que ses yeux et qu'elle laissa repliées dans son dos, ne dévoilant pas leur envergure au miroir.
Elle détourna enfin son attention de son reflet et promena son regard dans la pièce à la recherche d'une éventuelle porte. Sans surprise, elle n'en vit aucune. Tant pis.
Combien de temps s'était déjà écoulé ? Excellente question. Dans cette pièce close, elle n'en avait pas la moindre idée.

*De toute façon, tu n'as jamais eu la notion du temps* se dit elle.

Toujours est-il qu'elle aurait aimé sortir. Elle se sentait trop à l'étroit, dans celle salle qui lui était inconnue.

"Je suis Sheyn Ekohos, et je ne resterais pas enfermée là éternellement."

Cette simple phrase la rasséréna et elle se recoucha sur le sol, à l'endroit même où elle s'était réveillée. Ou du moins où elle avait ouvert les yeux, car, dans le fond, avait-elle dormi ? N'y pouvant rien, elle repoussa la question.
Ferma les yeux.

Sheyn ouvrit de nouveau les yeux. Devant elle, son reflet lui tendait les bras. Sans s'émouvoir de l'étrangeté de la situation, elle lui rendit son accolade et alors tout bascula. La salle devint autre. Noire. Absolument noire. Et vide, aussi.
L'ange se releva et se mis à avancer dans l'obscurité totale, droit devant elle.
Très vite, elle réalisa que cela ne la mènerait nul part. La pièce semblait être bien plus grande que la salle rouge. Sans fin.
Tant pis, elle ne comptait pas s'arrêter pour autant. Avancer toujours plus loin. De toute façon il n'y avait rien d'autre à faire. Non ?

" Non. "

Flottement. Silence. Voilà qu'elle recommençait encore à entendre des voix. Zut !

" Comment ? Tu ne veux pas me parler ? "

Elle secoua la tête. Un hallucination. C'était uniquement une hallucination, comme lorsqu'elle était aux prises avec les effets des plantes qui étaient les seules capable de la calmer.

" Une hallucination ? Voilà qui est vexant. Nous ne sommes pas une hallucination, tu devrais le savoir. Nous sommes tellement différentes de ces simples effets de ton imagination. "

Immobilité. Sheyn ne fit plus un mouvement, tendit l'oreille. Les voix n'étaient ni masculines ni féminines. Uniquement dans son esprit et partout à la fois. Multiples et indivisibles. Familières et inconnues. Sans ton.

" Qui êtes-vous ? 
-Qui nous sommes ? Cela n'a aucune importance ; seul compte qui toi tu es. Es-tu prête à nous en faire part ? "

Un sourire s'étira sur ses lèvres. Qui elle était ? Facile. Elle était Sheyn Ekohos, une ange, issue d'un ailleurs que nuls autres que ses frères ne pouvait saisir.

" Vraiment ? Une ange ? En es-tu bien sûre ?
-Je suis une ange. "

Sa voix tremblait. Elle n'était plus une ange, elle le savait très bien. Elle n'était plus une ange, et c'était pourtant si dur à énoncer.

" Déchue. C'est le mot qui te manque. Tu es une ange déchue.
-Oui, c'est vrai.
-Et pourquoi ? Il est des choses innombrables que nous savons, mais nous ressentons encore plus le besoin de savoir ce que nous ignorons. Alors, dis-le nous, pourquoi n'es-tu plus une ange ? Pourquoi ? "

Silence encore. Il lui était si dur de répondre, alors même qu'elle le savait. Elle avait honte d'elle-même. Honte de ce qu'elle avait fait. Honte d'être une ange ; d'avoir été une ange.

" Allez, réponds. Pourquoi ?
-Laissez moi... S'il vous plaît...
-Pas avant que tu ne nous aies répondu... Ca peut être très rapide, tu sais ? "

La jeune femme s'était penchée en avant, tentant de refouler ses larmes. Elle ne voulait pas en parler. Ne pas en parler et ne pas y penser, c'était ce qu'elle s'était promis afin que les même choses ne se reproduisent plus. Elle parla donc avec une voix hachée.

" J'ai abandonné ma tâche pour me rapprocher des humains. J'ai abandonné tous ceux de ma race pour tenter de devenir comme les humains, et de fait j'ai renoncé à ma tâche. Ca vous convient, comme ça ?
-Non. Tu mens. Nous le savons, nous le sentons... Tu nous mens, ce n'est pas tout, il y a autre chose. Dis le nous... "

Sheyn se figea. Non, non... Elle ne voulait pas... Pourtant, les voix s'étaient mises à scander cette litanie « Dis le, dis le, dis le, dis le... » et elle ne pu le supporter bien longtemps.

" D'accord ! Stop. Je vais tout dire, mais arrêtez... J'aime détruire. Voilà, c'est dit. Par moments c'est comme si je perdais la raison, et alors je ne sais plus ce qui est bien ou mal. Je tue... Et j'y prend plaisir, quand ça arrive. Des choses clochent dans mon esprit ! "

Elle s'assit sur le sol, la tête entre les bras, et se mis à pleurer. Pourquoi ? Pourquoi fallait-il qu'elle s'explique sur le fait d'être psychologiquement instable ? Elle ne l'avait pas choisit, pas plus qu'elle n'y pouvait quoi que ce soit. Tout ce qu'elle voulait était ne plus y penser.
Les larmes ruisselant sur son visage, elle commença à chantonner. En plus d'être l'une de ses passions, le chant avait la propriété de la calmer, tout comme les plantes l'aidaient à reprendre ses esprits. Sa voix s'élevait dans l'obscurité, claire et de plus en plus assurée. Les voix ne disaient plus rien.
Dans un changement d'humeur soudain, l'ange se redressa, sondant l'obscurité. Lorsqu'elle s'exprima, elle ne ressentait plus que colère.

" Allons, vous n'osez plus piper mot ? Votre immonde curiosité est enfin satisfaite, c'est ça ? Ou vous en voulez encore ? Peut-être désirez vous maintenant fouillez le moindre recoin de mon âme pour satisfaire votre intérêt morbide ? Vous voulez savoir à quel point j'aime la compagnie de humains, ces créatures qui ne font pas cas d'un quelconque devoir imposé par la volonté divine ? Vous voulez savoir à quel point la haine que j'éprouve envers les démons est immense ? A quel point je me désintéresse des miens ? Vous voulez savoir ce qui est enfoui au plus profond de moi ? Vous voulez savoir comment je lutte chaque jour pour garder la raison et ne pas faiblir face à mes humeurs qui pourraient me pousser à tout instant à anéantir ce qui se trouve autour de moi ?! "

Elle avait finit par crier dans le silence, toute sa rancœur perçant dans sa voix, énonçant chaque point sans broncher sous l 'effet d'un regain d'assurance. Et le seul le silence lui répondit.
Elle relégua le souvenir des voix loin dans son esprit et recommença à avancer dans l'obscurité totale.

Puis se découpa une lueur, dans ce monde intemporel où plus rien n'existait. C'était comme la lumière intensément blanche qu'elle avait affrontée lorsqu'elle était venue au monde. Enfin arrivée dans ce monde. Calme, rassurante. Elle lui fit oublier la noirceur des voix, leur ton désagréable, leurs questions dérangeantes. Elle effaça de sa mémoire et pour un court instant ce qu'était sa vie ainsi que les moments durant lesquels elle s'égarait et perdait la raison.
Sheyn s'avança dans le halo comme d'autres s'avanceraient vers la mort, lentement, ses ailes effilées droites dans son dos, son ombre s'étalant derrière elle, plus sombre encore que l'obscurité qui emplissait encore la salle qu'elle s'apprêtait à quitter. Définitivement.

La salle suivante l'obligea à cligner des yeux plusieurs fois tant la luminosité était forte. Tout était blanc. Pur. Trop, d'ailleurs. C'était comme regarder le soleil de face, sans aucune protection mais sans la chaleur. Sans compter que la luminosité du soleil avait une teinte plus jaune que blanche. Et qu'elle l'aurait rendue aveugle. Or elle voyait encore, ou du moins elle voyait ses mains, ainsi que ses pieds, toujours nus sur le sol.
Elle regarda autour d'elle, cherchant à trouver un détail, quelque chose qui lui dirait où elle était. Elle pu tout juste distinguer les murs. C'était étrange, de se trouver en ce lieu, qui lui paraissait familier après les deux salles précédentes, qui lui avaient parues si glauques.
L'ange s'avançait dans la pièce quand elle sentit quelque chose lui frôler la cheville, ce qui eut pour effet de lui faire faire un petit bon. Et ridicule, qui plus est. Heureusement que personne ne la voyait, sans quoi elle aurait sûrement eu la honte de sa vie. Ce dont elle fut encore plus certaine lorsque, baissant les yeux pour voir ce qui avait provoqué cette réaction, elle découvrit que la surface du sol était en fait recouverte d'une eau à une température si proche de la sienne qu'elle ne l'avait pas sentie avant. Elle observa un instant ses ondes s'étendre tout autour d'elle et le faible courant se briser contre les murs.
Puis un mouvement à la périphérie de sa vision attira son regard.
Elle s'en approcha et constata avec étonnement qu'à cet endroit l'eau était trouble. Trouble et... colorée ?!
Et en effet, l'eau se teintait de couleurs qu'il lui semblaient ne pas avoir vues depuis longtemps. Du bleu, du jaune, du vert...

Les images se formèrent sous ses yeux, retraçant un pan de son passé. Enfin un pan... Une ligne, plutôt.
Elle se vit assise sur la plage de Loïli, en train de balancer de petits cailloux dans l'eau pour tromper son ennui, observant attentivement les ondes sur la surface. Le soleil est alors haut dans le ciel, et le vent souffle dans ses cheveux. Elle se souvenait encore de la caresse du vent en ce jour, et elle ferma les yeux au souvenir de ce qui, elle le savait, allait suivre. Elle rouvrit les yeux. Dans la scène qui se déroulait sous ses yeux, Sheyn a commencé à chantonner, l'une de ses passions, tout en continuant de s'amuser avec les bouts de roche. Ce manège dure quelques minutes, avant que quelqu'un n'arrive, un air désolé et crispé sur le visage.

-Sheyn.

La jeune femme relève la tête avec un sourire qui s'efface instantanément. Alors elle se relève et s'approche de son interlocutrice, également une ange, plus âgée qu'elle d'une petite centaine d'années, qui lui prend les épaules.

-Il est parti, Sheyn. Il a été tué par un démon. Il est... il est ailleurs maintenant... Je suis désolée.

Alors un hurlement étouffé s'échappe de la gorge de la jeune ange, assourdi par ses pleurs, et elle se laisse tomber à genoux.

L'image s'effaça, laissant Sheyn désemparée dans la salle blanche. Des larmes commencèrent à rouler sur ses joues, qu'elle essuya rageusement du dos de la main. Ce n'était pas le moment de pleurer. Pas encore. Cela faisait des années, elle ne tenait pas à se remettre dans le même état qu'à cette période, d'autant qu'elle était persuadée d'avoir tourné la page. Excepté sa haine des démons. Et ses changements d'humeurs imprévisibles, bien qu'ils soient beaucoup moins fréquents et un peu plus maîtrisés.
Mais elle n'eut pas le temps de s'appesantir sur le sujet car, déjà, une autre image se formait un peu plus loin dans la pièce, toujours à la surface de l'eau. Elle s'en approcha avec méfiance. Que lui réservait maintenant la salle ? Un autre souvenir douloureux ? D'autres images de souffrance ? Oui. De la douleur et de la souffrance. Mais pas les siennes.

Un ciel rouge-orangé. Une petite ville miséreuse du Lan Rei Est. Simple lieu de passage, aussi bien pour les travailleurs que pour la jeune femme, qui est alors à la recherche de démons à faire payer. Même si elle ne trouve pas le responsable de sa mort, tant pis, cela ferait toujours une de ces créatures diaboliques en moins, et le monde ne s'en porterait que mieux. Elle traverse la village jusqu'à l'auberge, sans même regarder les enfants qui se coursent sur la place, sans s'occuper des commerçants qui ouvrent leurs échoppes. Le bâtiment est calme. Tout est calme. Quelques clients sont déjà levés, attablés dans la grande salle emplie du mélange entre l'odeur de feu de bois et de ragoût, le menu de la veille, afin de prendre leur petit déjeuner. Le propriétaire de l'établissement n'est pas vraiment occupé, et il interrompt son action dès qu'il voit Sheyn. Visiblement, il n'a pas vraiment l'habitude de voir des anges dans la régions, mais cela ne l'empêche pas d'être aimable, voir même serviable.

-Bonjour m'dame, qu'est-ce que j'peux pour vous ?

Il lui sert un verre d'eau en attendant sa réponse. Réponse qu'elle mesure pendant un instant.

-Vous voyez beaucoup de non-humains, par ici ?
-Et bien, c'est plutôt rare mais ça arrive. Vous cherchez quelqu'un en particulier ?
-En effet. Je sais que c'est une demande un peu particulière mais... Savez vous si des démons habitent dans la région ?

Silence un peu gêné. Ah, visiblement elle a touché juste. Peut-être même l'un d'entre eux s'est-il arrêté dans ce village récemment.

-Je crois pas que certains habitent dans l'coin, les gens d'ici ne les aiment pas vraiment et j'pense qu'ils le savent. Ceci dit, y en a une qu'est venue y a pas longtemps. Je sais pas si c'est elle que vous cherchez, mais j'pense pas qu'elle pourra vous aider.

Rire gras. L'ange réprime un froncement de sourcils. N'importe quel démon lui conviendra, mais elle ne le dit pas et se contente de prier le maître des lieux d'être plus clair. Un grand sourire apparaît sur son visage lorsqu'il s’exécute.

-Et ben, en fait, j'vous l'ai dit, nous ici on aime pas les démons. Alors du coup on l'a tuée. Et à coup d'pierres, même ! Ah ! Ça, elle s'en sera pas remise j'pari !

Nouveau rire. Sheyn se crispe, serre les poings et les desserre plusieurs fois, comme pour essayer de se maîtriser. Puis elle explose. Se met à hurler.

-Mais sombre crétin, vous ne savez pas que c'est loin d'être suffisant pour tuer un démon ?! Quelques pierres ne lui auront pas fait plus de mal que si vous tombiez dans un fossé. Quelques os cassés, des bleus, mais rien de plus ! Et maintenant, oui maintenant, par votre faute elle a sans doute déjà fuit loin d'ici ! Par votre faute elle tuera encore, réduira à néant les vie de pauvres innocents !

Elle s'est levée de son siège pour s'exprimer avec toute la haine qui l'habite à cet instant précis. Dégaine les deux poignards accrochés à sa ceinture. Et c'est alors qu'elle perd pied. D'une main, elle attrape le gérant et, de l'autre, lui tranche la gorge, sans aucune attention envers ceux qui se trouvent ici, ni pour le sang chaud qui s'écoule de la plaie en bouillonnant et macule sa robe blanche.
Les occupants de la pièce se lèvent et s'approchent précautionneusement, mains levées dans le but de la calmer. Ils lui demandent de lâcher ses armes. Subissent le même sort que celui qui les a hébergés. Le sang se répand au sol comme une marée noire ; son odeur métallique et salée se mêle à celle des lieux, la rendant écœurante .
Sheyn quitte l'auberge, couverte d’hémoglobine, et tue tous ceux qu'elle croise, qu'ils cherchent à l'arrêter ou qu'ils fuient. Ses lames étincelles dans les quelques rayons restant, tranchant les chairs, répandant la douleur et la mort. Elle n'a que faire des coups qui pleuvent sur elle lorsqu'elle se retrouve encerclée par des hommes furieux et terrifiés qui cherchent à l'arrêter pour protéger leurs familles. Elle ne prête aucune attention aux pierres qui ricochent parfois sur sa peau, à ses côtes qui se brisent, aux entailles sur ses bras, son dos.. Elle est trop préoccupée par son désir de destruction pour s'inquiéter des dommages qu'elle subit. Elle finit par rompre le cercle (à moins qu'il ne se rompe tout seul lorsqu'il semble évident que l'ange ne s'arrêtera pas avant d'avoir tué tout le monde ou rendu son dernier souffle) qui se disperse aux quatre vents. Le chaos s'installe dans la ville, des gens courent en tout sens pour échapper à l'ange devenue folle furieuse. Elle sait très bien qu'elle ne pourra pas tous les éliminer, mais tant pis, elle tuera tous ceux qui ne fuiront pas assez vite, ainsi que ceux qui tenteront de nouveau de l'arrêter. Détruire lui plaît. Anéantir ; voir souffrir la soulage. Elle ne cherche pas à revenir à ce qu'elle est vraiment, non, elle enterre la douceur qui la caractérise habituellement au fin fond d'elle-même et se noie dans sa soif de sang et son désir de tuer. Ils ont détruit ses chances de se venger, alors elle les détruit à son tour. Et pourquoi auraient-ils le droit de vivre heureux, eux, alors que sa vie à elle a été réduite à néant ? Il n'y a pas de raison pour qu'ils ne souffrent pas, aux aussi.
Des enfants observent le carnage, horrifiés, incapables de fuir. Elle s'en rend compte lorsque, s'approchant d'eux à grands pas, elle les attrape sans problème. Les égorge sans qu'ils se débattent. Au bout de quelques secondes, ils commencent tout de même à déguerpir. Un rire dément lui échappe. S'ils pensent pouvoir lui échapper, ils se mettent le doigt dans l’œil. Tout petits et rapides qu'ils sont, elle est prête à y passer la nuit pour les attraper. Elle parcours les rues, tranquillement, sûre de parvenir à ses fins. Elle en viendrait même à chantonner, si elle n'était pas si concentrée sur ses proies.

-Mes petits chatons... Approchez donc... Venez me voir... Je ne vais pas vous faire mal, promis... Je ferais tout mon possible pour que vous ne sentiez rien...

Nouveau rire. Elle finit par les débusquer. Et à chaque enfant tué elle rit un peu plus fort.
Euphorique, elle se jette sur un petit garçon brun, sans doute âgé d'à peine dix ans. Il tente de se débattre, mais elle est beaucoup plus vieille, beaucoup plus forte, aussi elle le contrôle sans problème. Elle passe son bras gauche autour de son cou, le calant au creux de son coude, l'étouffant à moitié. Puis, de la main droite, elle lui plante un de ses poignards dans les côtes. Elle sort l'arme luisante de sang, puis la lui enfonce dans le torse. L'enfant convulse dans ses bras, incapable d'articuler le moindre son, se contentant d'un gémissement douloureux dans lequel s'échappe sa vie. Alors qu'il perd toute forces et semble se transformer en une poupée de chiffon, Sheyn glisse au sol avec lui, le faisant reposer sur ses genoux. Elle s'apprête à lui trancher nettement la gorge lorsque, face à elle, elle remarque une petite fille qui la fixe avec un air si neutre qu'elle en a des frissons. Ses grands yeux clairs ne la jugent pas plus qu'ils ne semblent effrayés. Elle se contente d'observer.
Le calme dans le regard de la fillette fait instantanément revenir l'ange à elle. Elle aurait préféré que ça ne soit pas le cas lorsqu'elle voit le chaos qui règne autour d'elle, les morts qu'elle a laissé dans son sillage. Elle baisse les yeux vers ses mains couvertes de sang. Son regard se fixe sur le jeune garçon couché sur ses genoux, ses vêtements teintés de rouge, le peu de vie lui restant s'échappant de ses deux blessures. Ses grands yeux gris pleins de larmes sont teintés d'effrois. Elle regarde sa dernière étincelle de vie disparaître. Elle prend l'enfant contre elle et le berce jusqu'à ce que son corps ne devienne glacial, des perles iridescentes coulants sur son visage, dans les premiers rayons de la lune.

Les contours devinrent flous, l'image disparu...
Sheyn, toujours dans la salle blanche, ne pouvait retenir les larmes et les hoquets qui secouaient son corps. Elle s'en voudrait si longtemps que sa conscience existerait, et , par ses ancêtres ! cela allait être très, très long.
Elle ne parvenait pas à stopper ses pleurs, le souvenir de ce qu'elle avait fait ce jour là la hantait depuis des années et revivre la scène, de plus d'une vision extérieure, faisait affluer les souvenirs en elle . Elle sentait encore l'odeur du sang, la sensation des corps inanimés qu'elle laissait tomber au sol. Le regard pétrifié de terreur du jeune garçon... Les larmes roulaient mais, pourtant, quand une nouvelle image commença à se former ailleurs dans la pièce elle se précipita pour voir ce que les forces qui résidaient en ce lieu avaient décidé de lui faire revivre cette fois-ci.

Du noir et du rouge furent les couleurs auxquelles elle fut confrontée. Encore.

C'est la nuit. Il fait sombre, mais Sheyn sait exactement où elle est, de même qu'elle ne rencontre aucune difficulté pour se déplacer. Et pour cause ! Elle connaît très bien le terrain, puisqu'elle s'embête à guetter sa proie depuis des jours. Mais c'est terminé. Ce soir, elle va enfin passer à l'action. Elle va pouvoir commencer sa vengeance.
Elle s'approche de la vieille habitation à pas de loup, prête à prendre la fuite au moindre mouvement suspect. Mais rien ne bouge à l'intérieur. Tout est beaucoup trop calme, comme si le monde retenait son souffle le temps qu'elle accomplisse sa tache. Or, ce n'est pas l'univers qui a quasiment cessé de respirer, mais bien elle, cherchant à dominer son appréhension et son excitation.
Enfin, elle va pouvoir tuer l'un d'eux ! Enfin, elle va pouvoir les faire souffrir comme elle a souffert !
Un sourire s'étend sur son visage, sadique et réjouit. Vicieux.
Elle continue d'approcher, pas à pas, aussi lentement que son cœur bat vite. L'adrénaline pulse dans ses veines comme un poison glacé, lui donne envie de se presser et de courir. Mais elle ne cède pas. Elle ne peut prendre le risque de faire fuir sa proie, ni même de l'alerter. Il faut que ça soit parfait.

Alors qu'elle atteint l'entrée du bâtiment, Sheyn sort ses deux dagues préalablement trempées dans du poison. Autant ne pas laisser place au hasard ni à la chance ; de cette façon une simple estafilade suffira.
Elle passe la porte, ou du moins ce qu'il en reste, morceau de bois en partie dégondé et rongé par les mites.
Seule une bougie éclaire la pièce unique, accompagnée du clair de Lune. Le démon (ou la démone ; elle ne sait pas, l'être est trop androgyne pour qu'elle puisse être sûre) est étendu sur une couche sommaire, plongé dans le sommeil. L'ange fronce les sourcils et plisse le nez. Pouah ! À coup sûr, ce semblant de matelas grouille de vermine. Outre celle qui est allongée dessus.
Sheyn s'approche doucement, se penche et observe sa victime. Son visage paisible, recouvert d'un pelage apparemment soyeux aux teintes sablées, fait louper un battement à son cœur. Magnifique est le seul mot qui lui vient à l'esprit. Inhumain, aussi. Un être doté de pareil visage est-il vraiment capable des pires horreurs ? Malgré ses yeux fermés, elle devine leur forme, arrondis comme ceux d'un félin, aiguisés.. Elle a envie de passer sa main sur son visage, de savoir si ses poils sont aussi doux qu'ils le semblent.. Homme ou femme, cela n'importe pas, ces traits sont bien trop parfaits. Sereins.
Elle secoue la tête en se morigénant intérieurement. Non. C'est un démon, pas un animal de compagnie. Il est dangereux. Il faut l'éliminer, pas se laisser charmer par son air de pauvre créature endormie. C'est peut-être même de cette façon qu'il attire ses proies, en règle générale. Créature vicieuse et viciée, elle doit disparaître, peut importe son visage et sa beauté.
La jeune femme lève sa dague et s'approche encore plus. Puis elle la passe sur le cou de la créature, en faisant jaillir un ruisseau de sang.
Le démon ouvre les yeux. De grands yeux d'or. Effrayés, emplis d'incompréhension. Désespérés. Il ne cherche pas à résister, sait qu'il est trop tard. Il se contente de laisser son regard se poser sur son assassine, formulant un « Pourquoi ? » silencieux.

Encore une fois, l'eau revint à son état naturel et transparent, laissant Sheyn seule dans la salle. Et démunie. Elle se souvenait parfaitement de cette nuit. Elle avait tué ce démon, l'avait regardé mourir sans aucun remord, puis elle avait cherché un objet d'une quelconque valeur dans ses affaires, y avait trouvé une flûte dont elle n'avait réussit qu'à tirer un son qui lui avait vrillé les tympans. Elle n'était pas faite pour jouer d'un instrument. Elle avait reposé la flûte et était partie sans un regard en arrière à la recherche d'une nouvelle proie.
Elle était un peu étonnée que ces deux images se soient suivies. Apparemment, cette salle ou ce qui y vivait avait résolu de lui faire revivre quelques passages importants de sa vie. Pourtant, elle ne s'était pas retrouvée face aux images du moment ou elle avait été déchue. Cela avait suivit le premier massacre qu'elle avait commis. Ses blessures étaient plus nombreuses qu'elle ne l'aurait cru, mais pas mortelles bien que très douloureuses. Elle était allée s'allonger contre un arbre, si sa mémoire était bonne, et avait dormi de longues heures, laissant à son corps le temps dont il avait besoin pour se reposer. Etant une ange, cela ne pris pas trop de temps. Cependant, à son réveil, elle avait sentit quelque chose de différent. Ses ailes, repliées dans son dos, lui paraissaient plus lourdes. Elle ne se sentait plus si brillante qu'auparavant. Elle se sentait plus « humaine », même si le terme n'était pas bien choisit. Elle avait mis un peu de temps avant de comprendre ce que tout cela signifiait réellement : elle avait été déchue.
Elle aurait volontiers changé cette période de sa vie si c'avait été possible. Elle n'en gardait pas vraiment de mauvais souvenir (à dire vrai, elle n'en gardait pas de souvenirs à proprement parler) cependant, c'est à cette époque qu'elle fut déchue, à cette époque qu'elle se perdit presque entièrement dans la folie qui s'emparait d'elle de plus en plus fréquemment. Certes, elle avait pu se venger, même si le sentiment d'injustice et son aversion pour les démons étaient toujours aussi profonds, mais elle avait perdu tout le reste. Elle n'y accordait pas vraiment d'importance ; après tout, tous ceux qu'elle avait toujours considéré comme sa famille n'avaient pas chercher à venger la mort de celui qu'elle aimait et qu'ils disaient être un membre de la famille également, mais elle ne pouvait empêcher la nostalgie de se répandre insidieusement en elle lorsqu'elle y repensait. De même que la nostalgie s'emparait d'elle lorsqu'elle repensait à cette époque durant laquelle elle s'était évertuée à tuer tout ce qui lui déplaisait.
L'eau se troubla de nouveau, quelques pas sur sa gauche, en écho à ses pensées. Elle s’accroupit pour regarder.

Elle se voit après un massacre, des projections de sang sur ses vêtements, le visage barbouillé d'hémoglobine. Des bleus commencent à se former sur son corps, mais rien ne semble casser. Fêler peut-être, mais pas cassé. Cette tuerie l'a secouée, surtout maintenant qu'elle revient à elle.
Elle chancelle, s'appuie sur les murs. Continue d'avancer, essayant de reprendre son souffle et de garder son déjeuner à sa place. La tête lui tourne. Elle se souvient très bien de cet instant qui avait suivit les longues heures de massacre, durant lesquelles elle s'était perdue dans la haine, se promenant avec délices aux frontières de la folie. Enfin.. Se souvenir était un bien grand mot. En réalité, ce n'est pas précisément de cet instant qu'elle se souvient encore, mais d'un mélange de tous ces moments semblables pendant lesquels elle reprenait lentement pied avec la réalité et réalisait ce qu'elle avait fait. De ces instants tous différents et pourtant semblables. A chaque fois, ils survenaient après qu'elle ai massacré une famille, un village, ou tout simplement un petit groupe d'individus. Chaque fois, elle était dégoûtée par elle-même et ses agissements. Chaque fois, elle regrettait amèrement. Chaque fois encore, elle ne pouvait s'empêcher de déambuler dans les rues pour observer son œuvre. Parfois elle y prenait un certain plaisir, à voir ces êtres qui avaient tout perdu. Et chaque fois, elle se couchait ensuite non loin de là et dormait pendant plusieurs jours. Cette fois-ci n'y fait pas exception.
Dans le souvenir, Sheyn est prise de haut-le-cœur et, cramponnée à un mur, penchée en avant, elle crache la bile qui lui monte dans la gorge depuis qu'elle a commencé à revenir à elle. Elle est incapable de retenir un petit gémissement alors que la sécrétion acide lui brûle la gorge. Elle se sent un peu mieux, après ce renvoie désagréable, et se redresse tant bien que mal en essuyant les coins de sa bouche dans sa manche. Puis elle reprend sa route. Traverse la ville. Cette fois-ci, elle n'a pas tué tout le monde. Beaucoup ont fuit, et elle a laissé une grande partie des enfants en vie. Ils pensent qu'elle les imagine partis, alors qu'ils sont cachés dans les recoins sombres, dans les maisons totalement vides et obscures, mais elle est pleinement consciente de leur présence. Seulement elle n'est plus cet ange vengeur et sanguinaire qu'ils ont vu en elle quelques minutes, voir quelques heures, plus tôt. Elle n'est pas non plus la douce et gentille jeune femme qu'elle était avant sa mort, mais elle n'a plus envie de tuer et de réduire à néant. Du moins pour l'instant. Elle a juste envie de dormir. De se poser quelques temps et de plonger dans un sommeil réparateur et paisible.
Elle sort du village et marche des heures durant, jusqu'à trouver un bosquet d'arbres calme, chichement éclairé des rayons lunaires. L'ange s'y allonge, lissant sa longue robe blanche autour d'elle, et ne tarde pas à s'endormir.

L'image se perdit dans les remous de l'eau, la laissant retrouver sa transparence et son aspect calme. Cependant, la jeune ange n'y prêtait aucune attention. Les yeux fermés, elle laissait les souvenirs l'envahir comme s'ils dataient de la vieille.
Après qu'elle soit allée se reposer entre ces arbres, sa vie avait pris un tournant décisif. A cette époque, elle aurait pu continuer sur cette pente savonneuse qui la menait droit en enfer en la faisant tuer toujours plus. Mais, au lieu de cela, elle prit un tournant radical. Un homme d'une quarantaine d'années était venu la réveiller, craignant en la voyant qu'elle ne soit morte lors d'une attaque de brigands. Elle l'avait remercié de son soucis, puis lui avait clairement signifié qu'il pouvait reprendre son chemin, qu'elle se débrouillerait seule. Seulement il ne voyait pas les choses de la même façon et avait décidé de la suivre pour la protéger (car en effet, laisser une jeune femme aussi délicate voyager seule était dangereux, et aucun homme ne pourrait s'y résoudre sans faire honte à son honneur.). Bien entendu, elle n'avait pas accepté, avait tenter en plusieurs occasions de le semer, de le faire partir, mais il avait tenu bon, comme un père trop aimant qui refuse de voir son enfant prendre son indépendance. Elle avait même hésité à le tuer pour avoir enfin la paix ; après tout ce n'était jamais qu'un être humain, créature presque aussi perfide et malhonnête que les démons, mais elle n'avait pu s'y résoudre. Même si cela cachait certainement quelque chose, si ce n'était probablement pas gratuit de sa part, il souhaitait tout de même l'aider, alors autant en profiter. Et elle le tuerait lorsqu'il lui serait devenu inutile. Il s'était certes finalement trouvé que ce n'était pas elle qui avait mis fin à sa vie, et qu'il ne s'était jamais montré inutile au cours des années durant lesquelles il l'avait suivie, mais cela se situait bien plus tard dans ses souvenirs et n'avait rien à voir avec les images qui lui revenaient.

Dans les premiers temps durant lesquels il l'avait suivie, elle avait tant bien que mal évité les villes et villages, ou alors elle l'envoyait y chercher ce dont elle avait besoin, pour être sûre de ne pas succomber à ses pulsions meurtrières. Mais, comme elle avait bien du s'y attendre, il avait finit par insister pour qu'ils dorment tous deux à l'auberge car les nuits fraîchissaient. Ne trouvant rien à lui répondre, ni aucun motif de refuser, elle l'avait suivit. Cette nuit là, elle n'avait tué que quatre hommes. Cette nuit là marquait un changement radical de sa vision du monde.
L'homme qui l'accompagnait, nommé Galen, avait assisté au premier meurtre sans rien dire, trop choqué dans un premier temps de voir une si frêle créature capable d'une tel déchaînement de violence. Puis il avait foncé dans ses affaires pour y chercher des plantes. Il avait brisé plusieurs feuilles, égrainé des baies, réduit des racines en bouillie, en avait rappées d'autres, le tout à une vitesse quasi-inhumaine, et s'était jeté sur elle pour l'immobiliser le temps de lui faire avaler le mélange obtenu avec un peu d'eau. Il avait beaucoup plus de force qu'il n'y paraissait, et n'eut aucune difficulté à la maîtriser.
Presque instantanément, elle avait sombré dans le sommeil.
A son réveil, Sheyn était allongée sous un arbre, une couverture étendue sur elle, Galen assis à son côté et surveillant la route. Elle ne s'était pas sentit aussi bien depuis sa mort. Pour un peu, elle aurait presque réussit à l'oublier..

-Comment te sens-tu ?

La jeune femme ouvrit les yeux. Devant elle, l'eau s'était de nouveau colorée, révélant ainsi la scène de son éveil, en un nouvel écho à ses pensées. Elle sourit en entendant la conversation.

-Je vais bien, Galen, merci beaucoup. Je.. Je suis désolée pour ce qu'il s'est passé. Tu comprends sûrement mieux maintenant pourquoi je refusais systématiquement de rentrer dans les villages. Mais que s'est-il passé exactement ? Qu'as-tu fait pour m'arrêter avant que cela ne se termine en bain de sang ? Tant de questions qui se bousculent dans son esprit en cet instant. Et pourquoi ne pas l'avoir abandonnée ? Il avait eu tant de facilité à la maîtriser, alors pourquoi l'avoir laissée en vie alors qu'il aurait pu la tuer, elle qui ne faisait aucun cas de la vie de ses semblables ? Qui était-il vraiment, pour avoir pu la calmer comme ça.
-Je ne vais pas te mentir en te disant que ce n'est pas grave, mais au moins cette fois il n'y a eu que peu de morts, contrairement aux fois ou tu tuais par villages entiers. Non, ne me regarde pas comme ça. Je suis au courant de tout ce que tu as fait. Je ne sais pas vraiment pourquoi tu agis ainsi, mais je sais que je suis en mesure de te faire arrêter. A condition que tu le veuilles bien sûr. Qu'en dis-tu ?

Elle le fixe un long moment, tête penchée sur le côté, avant de répondre enfin. Elle ne s'attend pas à donner la réponse qu'il attend, et pourtant il sourit en l'entendant s'exprimer ainsi.

-Avant tout, je voudrais savoir qui tu es vraiment. Comment tu penses pouvoir faire ça. Et si cela me convainc, alors peut-être te laisserais-je faire. Et si cela ne me convainc pas, et vu la facilité avec laquelle tu m'a maîtrisée, je te tuerais pour que ça ne soit pas toi qui me tues. Compris ?
-Très clairement, oui. Puis-je ?
-Bien sûr.

Il inspire lentement avant de se lancer. C'est un humain, comme elle a pu le constater, mais il n'a pas toujours vécu dans les villes comme la majorité d'entre eux. Passionné par les plantes, il a fait beaucoup de voyages à travers plusieurs îles afin d'y apprendre les différentes propriétés et utilisations des plantes. Et en sachant ce dont elle souffre exactement, il est presque sûr de pouvoir la guérir (du moins si c'est le terme approprié), car il est persuadé qu'une telle folie meurtrière vient de quelque part. Un être aussi doux n'aurait pas commencé à tuer par simple passe-temps. Il ne peut lui en dire plus, cependant il a cette conviction qu'il peut l'aider si elle l'accepte.

Les images se dissipèrent, encore une fois. Et encore une fois, Sheyn continua de vivre la scène les yeux fermés. Elle avait accepté, n'ayant d'autre choix pour tenter de se débarrasser de cette habitude, de cette partie d'elle qu'elle abhorrait. Elle avait discuté longtemps avec Galen, lui révélant ses plus sombres secrets afin qu'il la comprenne au mieux. Elle lui avait raconté la mort de celui qu'elle aimait, sa haine des démons, son premier massacre, sa déchéance, et ce qui la poussait à tuer toujours plus d'êtres humains.

-Vous les laissez vivre parmi vous sans même vous rendre compte qu'ils sont là. Vous pensez que leur balancer des pierres suffira à les tuer. Mais c'est bien plus résistant que ça. Cela leur fait mal, bien sûr, mais ce n'est pas suffisant. Du moment qu'on parvient à vous charmer, vous vous fichez de la race si cela vous arrange. Mais on ne peut pas faire confiance à un démon ! Instinctivement, je n'aime pas tuer, mais quand cette part de moi prend le dessus c'est comme un soulagement. Je n'ai plus besoin de me contrôler, je n'ai plus besoin de tout garder en moi. Si je tue les humains, c'est pour abriter si souvent des démons sans le savoir. Ils sont doués pour se cacher, et vous ne parvenez pas à les démasquer avant qu'il ne soit trop tard. C'est ma seule raison, je pense. Me fait de voir que vous les protégé alors qu'ils peuvent faire tant de mal sans aucun remords.

C'était ce qu'elle lui avait dit. Et à partir de ces phrases, il avait décidé de lui faire aimer l'être humain dans son intégralité, avec ses bons et ses mauvais côtés. Cela avait pris plusieurs années, mais il y était parvenu. Bien entendu, il était arrivé plusieurs fois que la situation dérape, mais à chaque fois Galen avait réussit à la calmer à l'aide de plantes ou à la maîtriser à mains nues.
Il lui avait montré que l'humain peut être très gentil, même s'il se montre parfois facile à berner, et que la plupart du temps le mal qu'il faisait partait d'une bonne attention. Elle avait finit par apprécier ces êtres à la vie si courte, et qu'ils s'échinaient pourtant à remplir tant que possible afin d'avoir l'impression de vivre pleinement. La jeune ange avait finit par aimer inconditionnellement les être humains, au point de vouloir se fondre dans leur masse.
Elle ne se baladait jamais sans les plantes de Galen, et en prenait tous les matins et tous les soirs. Cela la calmait et limitait ses crises à des élans de colère foudroyants qui ne lui laissaient guère plus que le temps de se mettre à hurler.

Ce fut sans doute la période la plus calme de sa vie, toutes ces années en compagnie de son ami qui lui apprenait à vivre dans ce monde nouveau pour elle. C'est durant ces années qu'elle a vraiment réalisé qu'elle était désormais un ange déchu. Sur le moment, cela n'avait pas vraiment marqué la jeune femme, mais maintenant qu'elle était plus calme, qu'elle ne cherchait plus à se soulager par la vengeance, elle prenait la mesure de ce qu'elle était. Elle disait bien s'en sortir, ne pas en être déprimée ou perturbée, cependant Galen s'enquérait de plus en plus souvent de son ressentit, craignant qu'elle ne perde pied. Mais elle avait tenu bon, ne pensant qu'à son bonheur de vivre parmi les hommes sans avoir à se soucier d'un quelconque devoir qu'elle n'avait pas choisit. Elle avait les être humains et son plus cher ami. C'était largement suffisant, même si au fond elle était consciente que mis à part à ce dernier elle aurait toujours trop honte d'avouer ce qu'elle était devenue.
Il lui avait enseigné son savoir des plantes et, à eux deux, ils avaient ouvert un commerce à Reilor pour y vendre des potions et des onguents, faisant parfois des visites chez des personnes trop malades pour se déplacer et ne voulant faire appel au médecin.

Puis était arrivé un jour, funeste, qui avait marqué la mort de Galen. Tué par des truands alors qu'il allait se fournir en plantes pour ses différentes décoctions, il avait laissé Sheyn seule. Et, contre toute attente, la jeune femme n'avait pas abandonné le commerce pour partir à la recherche de ceux qui l'avaient tué et les punir en leur ôtant la vie. Non, elle avait pleuré la mort de son ami plusieurs jours durant, puis elle avait redressé la tête et avait repris le petit commerce à elle seule.
Les choses avaient changé, bien entendu, tout dans son esprit n'était pas resté tel quel, elle avait commencé à regretter sa déchéance, en plus d'en avoir honte, puisqu'elle n'avait plus personne avec qui partager ses secrets. Elle osait à peine se dire ange, de peur du jugement des autres, mais elle préférait encore ce terme à celui de déchue qu'elle devrait pourtant finir par se résoudre à y accoler. Mais elle continuait de les aimer tous, malgré tout, de vivre parmi eux comme si elle avait été l'une des leurs. C'était d'ailleurs ce qu'elle faisait, avant de se retrouver dans l'enchaînement de ces salles étranges auxquelles elle ne comprenait rien.

Désormais, elle voyageait beaucoup moins qu'avant, et avait arrêté sa traque des démons. Elle ne pouvait certes pas assurer qu'elle n'en tuerait pas un si elle en croisait, mais ce n'était plus sa préoccupation première, du moins pour le moment. La douleur qu'elle avait trop facilement laissée s'installer était toujours présente, bien sûr, mais elle était latente et ne se jetait plus sur chacune de ses pensées. D'ailleurs, elle faisait tout pour y penser le moins souvent possible ; et, si de temps en temps elle avait des accès de colère, ils avaient néanmoins presque totalement disparus et elle faisait tout son possible pour ne pas avoir à user de la violence lorsqu'elle pouvait s'en passer.

Sheyn ouvrit les yeux juste à temps pour voir l'eau se teinter de couleurs pâles juste devant elle. Encore un souvenir, probablement, mais lequel ? Elle n'en voyait nul autre qui aurait pu lui être montré suite à ceux qu'elle venait de se remémorer. Cependant, elle se pencha au dessus de l'ondée pour essayer d'en percer les secrets.

Blanc, rouge, jaune, bleu, vert. Mi, sol, la, do, si. De la musique et des chants. Du bonheur et de l'insouciance. De la joie et de l'amour. Aucune peine, aucun chagrin dans ce souvenir, dans ces images d'un passé révolu depuis longtemps. Un souvenir qu'elle avait presque oublié tant il était lointain et insignifiant.
Insignifiant ou douloureux ?
La question parfaite. Dans les images, Sheyn danse dans une ronde endiablée, accompagnée de nombreux autres anges. Tous chantent, certains faux, et dansent avec une passion telle que la jeune femme qui regarde les images en a la gorge serrée. Ce souvenir, c'est le jour du solstice d'été. Chaque année, des anges se retrouvent sur un plage de Loïli pour célébrer le jour le plus long. Cette année là, cette fête n'a rien de plus marquant que les autres années. Et pourtant... C'est bien cette nuit là qui se déroule à la surface de l'eau, et pas une autre.
A la fin d'une danse, Sheyn sort du cercle pour aller s'asseoir, essoufflée comme si elle avait courut à travers toute l'île. Elle discute avec ses semblables, aimable, rit à leurs blagues et tente de les divertir. Douce comme un agneau, elle sert ceux qui le lui demandent, et propose ses services à ceux qui ne demandent rien, toujours souriante, rayonnant de bonheur et de bien être. Elle est à sa place, parmi les siens, accomplissant ses missions avec délicatesse et sans rechigner. Elle est alors comme elle ne le sera plus jamais.

Les images se dissipèrent dans l'ondoiement de la nappe. L'ange regarda son passé disparaître sans un geste, une boule dans la gorge. Elle s'était revue comme elle ne se souvenait même plus avoir été. Ce qu'elle avait été à cette époque révolu était mort depuis longtemps. Certes elle restait foncièrement douce et gentille, mais elle avait perdu son innocence et son calme inébranlable. Elle était à la fois plus qu'avant, plus complète, et elle avait également perdu une part d'elle-même.
Une larme perla aux coins de ses yeux, qu'elle chassa d'un revers de la main. Il était trop tard maintenant pour regretter. Plus que les démons et sa vengeance, le plus important maintenant était le commerce de Galen, qu'elle devait faire prospérer en sa mémoire. Il avait tant fait pour elle qu'elle lui devait au moins ça, même si elle savait qu'elle ne pourrait jamais assez le remercier.

Un sourire à peine esquissé naquit sur son visage. Elle était heureuse désormais. Elle n'avait plus de raison de chercher à se perdre dans le désespoir et la haine. On lui avait permit de commencer une vie nouvelle parmi ceux qu'elle considérait désormais comme sa famille. C'était le plus beau cadeau qu'on eut pu lui faire,elle s'en rendait compte après avoir vu ces images.

Calme, elle s'allongea dans l'eau, attendant que le temps passe pour être libérée de cette salle étrange, la dernière elle l'espérait.

Bienvenue officielle à toi ^^

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Bienvenue ^^

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Miciii *..*
*danse de joie à l'idée de pouvoir RP*