Une petite créature gisait au sol, inanimée. Ses minuscules ailes de papillons aux teintes ocres étaient repliées contre son dos, et bien qu'elles fussent légères, aucun courant d'air ne venait les faire frémir. Ce corps frêle ne donnait de loin aucun signe de vie, mais en s'approchant, on constatait que sa poitrine menue se soulevait, à un rythme lent et régulier. Soudain, la créature se relève, d'un seul mouvement, sans étape intermédiaire. Elle se retrouve debout avant même d'avoir ouvert ses yeux miel. Elle chancelle, sa bouche se tord en réponse à la brusque douleur musculaire causée par ce réveil trop dynamique. Elle jure, et retombe en position assise avec un bruit sec, aussi vite qu'elle s'était dressée. Elle se sentait un peu vaseuse, le visage moite, les cheveux collés sur le front par la sueur.

-Hé ! lanca-t-elle péniblement, ça commence super bien ! Reste à savoir où j'suis.

L'idée de regarder autour d'elle ne lui vint que plusieurs secondes après qu'elle l'ait effectivement fait, son instinct phénoménal ayant devancé sa réflexion. Comme cela était fréquent, ça ne la troubla pas outre mesure. Elle conclut, au bénéfice d'un véloce balayage oculaire, qu'elle n'était pas seule dans la pièce. En effet, elle distinguait nettement un petit bout de fée qui lui faisait face, et qui la contemplait. Elle lui jeta un regard torve qui lui fut aussitôt rendu. Sa voisine mesurait bien sept bons centimètres de haut, mais ce n'était une brindille de paille que le vent aurait vite fait d'emporter. Sa taille étroite, et sa quasi absence de formes, laissaient une longue crinière flamboyante et dense, tombant sur ses épaules en cascade, comme seul gage de sa féminité. Elle trouvait assez agaçant ce visage constellé de tâches de rousseur, où l'impétuosité semblait avoir définitivement élu domicile. Le nez en trompette, retroussé sur les lèvres raides d'une expression boudeuse, ne l'aidaient certainement pas à lui paraître sympathique. Cette inconnue lui rappelait trop...

Avec un ''pff'' sonore, la créature se remit sur ses pieds, et s'approcha du miroir avec précaution. Ne pas se reconnaître, pour quelqu'un avec sa particularité, était compréhensible. La confusion dissipée, son avis sur sa propre image changea du tout au tout. Elle ne douta pas, qu'à défaut d'être parfaite, ses traits et sa silhouette pouvaient être trouvés agréables. Ses ailes émirent un léger vrombissement alors qu'elle quittait le sol. Elle avança prudemment la main vers la glace, la touchant finalement du bout du doigt. Elle n'avait guère l'habitude de se voir dans autre chose que de l'eau, et l'objet réfléchissant, solide, l'amusa. Il lui renvoyait une image bien plus parfaite que ne l'aurait fait n’importe-quel morceau de métal poli. Ravie, elle pivota, tentant de distinguer le reflet de son dos nu en tordant son cou sur le côté. La manœuvre aérienne était un peu périlleuse, aussi changea-t-elle assez vite de position, exécutant un retournement arrière, et pendant une seconde, profita d'une vision d'elle-même, tête en bas. Elle songea qu'elle aimait plus que tout sa véritable forme : une fée, un gracieux être volant, qui s'élevait dans les cieux quand les autres rampaient sur la terre. Levant les yeux, hélas, elle remarqua qu'un plafond écarlate lui coupait toute possibilité d'envol.

Elle se désintéressa finalement du miroir, et fronça les sourcils. Malgré le caractère plaisant de l'activité, s'auto-contempler ne l'aidait nullement pour ce qui était de ses questions. Elle fit plusieurs déplacements courts mais vifs, ce qui pouvait être interprète comme une manifestation de son angoisse. A moins que ce ne fut de la frustration... ou de l'enthousiasme. La pièce était rouge, une couleur qu'elle n'avait jamais su comment prendre, lui évoquant successivement les feuilles mortes d'automne qui tombaient, et sa propre chevelure. Une teinte vive et violente, celle des flammes et du sang, deux choses qu'elle n'aimait pas beaucoup, mais qui exerçaient parfois sur elle une fascination inexpliquée.

Les murs néanmoins, n'étaient pas monochromes, parés de nombreux dessins qui ne lui dirent rien d'abord, puis qu'elle identifia comme la représentant avec une précision invraisemblable. Il ne lui fut pas trop difficile d'admettre que cette salle lui était entièrement dédiée. Quatre ans de vie exposés séquence par séquence, dans un ordre qui lui parut chronologique. Cependant, rien n'était moins sûr : de nombreuses photos, prises lorsqu'elle n'était pas sous sa véritable forme, ne renseignaient en rien sur l'époque à laquelle elle avait pu l'adopter. Être un changelin, c'était toute une affaire. Si les premières images la montraient microscopique fœtus dans le ventre de sa mère, ou tout petit enfant bercé au creux d'un arbre, c'était la seule période qui paraissait linéaire. Par jeu, elle avait en effet souvent adopté l'apparence des animaux qu'elle avait croisés. Il avait été parfois difficile et dangereux d'obtenir le bref contact nécessaire à la transformation, mais découvrir un nouveau corps était à chaque fois un sentiment formidable.

Elle se voyait raton, pataugeant dans le grand lac, la nage incertaine ; chien sauvage maladroit, découvrant la course quadrupède ; oiseau, battant, par habitude, bien trop vite des ailes et s'épuisant ; coccinelle peureuse, se sentant minuscule et vulnérable ; lutin handicapé, englué sur le sol ; sanglier massif, une de ses plus belles prises. Elle se voyait aussi sous les traits de sa mère, de son frère, d'amis, leur faisant des farces pas toujours appréciées. Cette suite de photos constituait une sorte de tableau de chasse, auquel manquait encore la plupart des races humanoïdes de grande taille. Elle ne doutait pas pouvoir y remédier bientôt. Elle se sentit gonflée de fierté devant ce palmarès.

-C'est cool mais... qu'est-ce que j'fais ici ?

Elle me dévisageait sans gêne et sans pudeur alors j'en fis de même. Après avoir longuement parcourue la pièce, découvrant les clichés, la petite créature me troua de son regard rouille, elle croyait peut-être se percer elle-même à jour. Je la laissais me vaincre sans bouger, sage reflet pacifique et interrogateur. J'étais ravi et agacé de voir une frêle créature dans son genre, tranquille face a moi. J'aurai sans doute voulu lui soutirer un peu plus de panique. Et puis franchement, me retrouver réduit à cette taille, c'est plutôt... frustrant. Heureusement que je ne suis pas claustrophobe!
Comme une dernière mise à l'épreuve pour voir si elle était réellement prête, je laissais apparaitre sur son visage, dans le miroir, mon oeil étrange. Il y avait une sorte de défi et de menace séduisante, j'étais vexé qu'elle ne soit pas plus impressionnée que cela. Peut-être aurais-je voulu la garder un peu plus, jalousement? Dans un clignement de paupière, mes cils se refermèrent et quand je rouvrit les yeux à nouveau, le feu était partout. Les photographies s'embrasèrent, la chaleur montait, insoutenable et pourtant épargnant miraculeusement la fée. Je plaquais ma main contre la paroi, y appuyant la clé rouge, aussi grande que moi et ma jumelle, qui commençait à fondre, magma de métal en fusion. L'objet rougeoyait comme une braise, un petit soleil qui se serait mis à couler entre mes doigts. Les miroirs commençaient à se gondoler, changeant de teintes comme des tâches d'essence sous le brasier. Je souriais à la jeune femme avec provocation et bienveillance, puis je m'embrassais soudain, sans un bruit, mon miroir en cendre et bris de verre, dévoilant un passage menant à une noirceur froide.




[Bienvenue à toi petite frétillante. Ce fut un plaisir de te lire, quelle fluidité!
Sinon, pas grand chose à signaler pour cette première salle, tout est en ordre, tu as même rempli ton esquisse, impecc! Simplement si tu peux rajouter dans cette salle rouge une phrase pour parler de ses yeux, ça me semble quand même un trait important du physique

Pour son pouvoir, je pense qu'il faudra qu'on discute pour cadrer tout ça, bien établir les limites, enfin je vais peut-etre voir dans les salles suivantes, mais simplement, garde à l'esprit que ça doit être éprouvant pour ton personnage, et plus elle prend l'apparence d'une bestiole plus grosse qu'elle, plus c'est difficile. Et bien sûr, ses transformations ne doivent pas s'étirer en longueur non plus, au risque de s'épuiser.

Ah si, j'allais oublier, il faudrait que tu rajoutes un nom de famille à ton pseudo

Bon courage pour la salle suivante, la plus difficile pour beaucoup, concentre toi bien sur son caractère.

A très vite ]

Brusquement vint le feu, agressif, brûlant, crépitant. Elle avait vécu dans un territoire où les incendies, en été, étaient fréquents, et bien qu'elle n'en avait jamais vécu directement, sa famille lui avait enseigné que le plus terrible, dans cette situation, se trouvait être l'épaisse fumée noire, capable d'asphyxier une pixie en quelques secondes. Tirant partie de ce conseil, elle renonça au vol, et se plaqua, ventre contre terre, espérant lui échapper. Elle resta dans cette position : tête légèrement relevée, les paupières grand ouvertes, en dépit du risque pour sa rétine. Elle contempla avec un mélange de défi et de stupéfaction les éclats rouges du brasier qui détruisaient le décor. Il lui paru distinguer, dans le miroir qui lui faisait toujours face, une forme différente de la sienne. L'ombre d'une clé immense s'y découpait confusément. Les braises qui bondissaient et la chaleur l’empêchèrent de vérifier cette douteuse impression.

Un feu, agressif, brûlant, crépitant... mais pas létal, réalisa-t-elle. En effet, si la chaleur était réelle, la puissante fournaise semblait en revanche la ménager. Puis, aussi soudainement qu'elle était apparu, la conflagration s'étouffa. La luminosité, revenue à son état initial, fit presque figure d'obscurité. La fée se frotta les yeux.

-C'était... intéressant, fit-elle, dubitative, en se redressant.

Passant une main sur son front trempé, elle ne réfléchit pas d'avantage, et s'engagea sur la piste la plus naturelle, celle dégagée par la rupture du verre. Le seul son audible, celui de ses ailes, devenait de plus en plus pesant à mesure qu'elle progressait vers une salle des plus triste. Toutes les teintes vives y étaient remplacées par un noir uniforme, déprimant. Plus intrigant, cette fois, les murs semblaient dépouillés.

Après l'épreuve de la saturation, l'épreuve du vide... quoique le noir, tout compte fait, est une couleur aussi.

Bien sûr, elle ne connaissait pas grand-chose de l'optique. Mais ses pensées était légères, et furent interrompues quand elle crut entre comme des chuchotements au fond du couloir. Le ton évoquait la moquerie, aussi se méfia-t-elle, sans toutefois parvenir de se retenir d'appeler :

-Hé, y'a quelqu'un ? J'aimerais savoir pourquoi j'suis là !

Aussitôt, les murmurent se turent, laissant de nouveau place à un silence de plomb.

Sans prévenir, l'ouverture par laquelle elle était rentrée se clos, coupant les derniers rais de lumière. A présent au centre de la pièce, la fée en fit le tour, l'inspectant à tâtons, sans trouver indice d'une présence, actuelle ou passée. Cette absence bruit la tourmentait peut-être encore d'avantage que l'obscurité : dans la nature, il y avait toujours des sons. Elle se demandait si elle ne préférait pas l'incendie, finalement. Exaspérée par ce long silence, elle tenta à nouveau d’interpeller quelqu'un.

-Vous planquez pas, j'vous ai vu tout à l'heure. Et je vous ai posé une question !

A sa grande surprise, une voix lui répondit. Venimeuse, réprobatrice, voire haineuse, elle était loin du ton amical et rassurant que la fée aurait pu espérer, mais entendre quelque chose la soulagea considérablement.

-Nous n'aimons pas beaucoup parler aux menteuses. Et tout ce qui sort de ta bouche n'est que perfidie et malignité.

L'intéressée haussa les épaules, vexée par principe, sans être réellement atteinte :

-Ouais... y'a que des vérités plus exactes que d'autres voyez. Mais vous êtes qui ?
-Tu ne mérites guère de réponse, misérable insecte. T'arrive-t-il de parler avec sincérité ?
-Ouais... je m’appelle Elie, et je sens sincèrement que j'vous aime pas trop. Mais vous êtes qui ? Le dangereux qu'a enlevé mon frère ?
-Pourquoi ? Tu l'aimais ?

La question la coupa un peu dans sa rhétorique. Elle s'attachait aux personnes aussi vite qu'elle les oubliait, et même ses proches ne faisaient pas exception. Cela faisait déjà bien six mois que son frère avait disparu, autant dire une éternité ! Si c'était le prétexte qui l'avait faite quitter le foyer, ça n'était déjà plus une vraie peine. Tout juste une vague quête. Elle ne se souvenait plus de la dernière fois où elle avait enduré un chagrin persistant sur plus de quelques jours. Bien sûr, elle n'hésitait pas à faire couler des larmes de crocodile quand c'était nécessaire.

-Ouais... Il était cool. Vous lui avez fait quoi ?
-Ainsi tu le détestais.
-Hé ! C'est pas vr...
-En réalité, coupa l’inconnu, tu haïs chaque être en ce monde ?
-Qu'est ce que ça peut t'faire ? Et puis si t'es une créature de la forêt qui m'fais une blague, fait gaffe à toi, dès que ton illusion fout l'camps, je te casse la gueule, répliqua Elie, passant abruptement du vouvoiement au tutoiement.

Si l'affirmation était fausse, la supposition, elle, était dérangeante. La fée n'appréciait pas qu'on tente de la percer à jour. Et l'un de ses premiers mécanismes de défense était l'insubordination. Il était hors de question qu'elle continue à obéir à cet anonyme. Elle fit la moue, partant du principe qu'on l'observait malgré les ténèbres. Elle songea que c'était sans doute la peur qui jusque là avait fait office de raison. La peur... ou autre chose.

-Et puis d'abord je m'en fous. J'te dirais plus rien tant que t'auras pas réagi à mes questions.
-Pas la peur, la curiosité, grogna une seconde voix, plus graveleuse.
-Blablabla, t'as un copain maintenant ? siffla-t-elle en réponse, sans même se rendre compte que la réplique précédente faisait suite à sa propre pensée.
-Et que dirais-tu de nous répondre, si nous te répondons ensuite ? ulula une troisième voix.
-Bouuuh, c'est un rassemblement ? Pour moi ? Je suis flattée !
-Tu en as envie, il t'y est impossible d'y résister, glapit la première.
-Ah ouais ?! aboya Elie.
-L'important, c'est de déterminer si ton esprit de contradiction va l'emporter sur le désir de savoir, croassa savamment la deuxième, sur un ton lent qui tranchait avec l'emportement des autres.
-Allez vous faire voir ! rugit la fée.

Elle croisa les bras, déterminée à faire obstacle au moindre mot qui ferait semblant de vouloir de sa bouche. Passa une seconde. Puis deux. Le silence était revenu. Trois secondes. Enfin, elle n'en tint pas quatre.

-Bon, OK. Alors vous voulez quoi ? A c'que j'ai vu, vous avez l'air de bien m'connaître, déjà.
-Je le savais, ricana benoîtement la seconde voix. Une curiosité maladive. Incapable de rester dans l'ignorance.
-Oh, et pas que cela, fit la première, elle est terriblement cupide aussi. Quel dommage que la monnaie des humains soit si pesante pour ses faibles bras...
-Ah ouais ?! demanda la fée, vivement intriguée.

Elie n'avait pas été élevée dans le culte de l'argent, bien au contraire. Mais cela ne faisait que renforcer l'intérêt qu'elle portait à cet élément intrigant. Si toutefois les devises des races communes étaient à leur échelle, c'est-à-dire aussi balourdes et grossières qu'eux, cela ne présageait rien de bon.

-Tu es partie de chez-toi. Tu as abandonné ta mère. Pourquoi ? s'enquit la troisième voix.
-Lâcheté, bêtise, cracha la première. Mauvaise fille, toujours à flâner, à voler !
-Souhait d'indépendance, émancipation, conjectura assez justement la deuxième.
-Pas pour me taper la causette avec trois lutins sournois en tous cas ! J'suis partie pour retrouver mon frère.
-Mensonge ! Cela fait plus d'un an ! La première voix se pâmait avec un plaisir gouleyant. Tu ne le retrouveras jamais !
-Qu'est ce qu'elle en sait, l'autre persifleuse ? s'offusqua l'intéressée, sérieusement agacée.
-Toi même, tu n'y crois pas !
-Ouais, ben l'aventure c'est le chemin comme on dit. Je verrais bien quand j'y serais.
-Où ? interrogea alors la troisième voix.
-Railor. Un truc comme ça. Un endroit avec plein d'humains.
-Et tu penses que ça te rendra plus heureuse ? continua-t-elle.
-Sûrement... Bon, à mon tour de poser des questions, j'vais commencer par une simple : qui êtes-vous ?

Seul le silence lui prêta attention.

-Hé ! Vous aviez dis que vous répondriez à mes questions si je répondais aux vôtres.
-Nous avons menti, conclu simplement la troisième voix.

Je tombe.

Elie ne se souvenait plus de la dernière fois où elle avait pensé cela. Elle avait beau battre des ailes aussi fort qu'elle le pouvait, elle chutait. Avec les débris de la pièce. Inexorablement. Elle avait voulu de la lumière ? Elle en avait. Mais cela ne l'empêchait pas de ne rien voir. Défaut ou excès, finalement, on en revenait au même. Les extrêmes se rejoignaient. Elle avait l'impression qu'on jouait avec ses sens, et elle n'aimait vraiment pas ça.

-Vous êtes des foutus gros enfoirés ! eut-elle juste le temps d'annoncer aux voix du dessus.

Puis les rayons baissèrent en intensité, se tamisèrent, se firent presque rassurants. Une salle, pleine d'eau, et la sensation de pouvoir enfin redécoller, échapper à la pesanteur. L'humidité l’alourdissait, gênait considérablement son vol, jusqu'à le rendre extrêmement pénible si elle avait le malheur de s'immerger. Autant de raisons de ne pas tremper le moindre orteil dans l'onde, surtout tant qu'elle n'était pas sûre d'être en sécurité. Elle regarda tout d'un œil encore fâché, c'était très naturel, très joli ; presque autant que la salle où siégeaient toutes représentations de sa personne. Du moins, avant qu'elles prennent toutes feu. Alors qu'elle commençait à penser qu'une telle tranquillité était trop déprimante pour durer. Surtout si on prenait en compte le fait que rien ne s'était stabilisé depuis le début. Les éléments lui donnèrent raison.

Mais pas de flammes, pas de cataclysme, et pas non plus de chute. Juste la nappe liquide qui s'agitait. Saisie de remous un peu plus violents, l'eau convulsa. Des lueurs colorées s'animaient, donnant l'illusion saisissante de personnages en mouvement. Le phénomène incroyable évinça à nouveau la réserve et la colère de la spectatrice étonnée.

La vague s'ouvrit sur une grotte. L'endroit paraissait humide, mais c'était sans doute une impression due à la nature du réceptacle. Une fée, dont les traits évoquaient encore une certaine jeunesse, le ventre gonflé, paraissait sur le point d'accoucher. Autour d'elle, une cohorte de lutins déambulaient frénétiquement, paniqués. Ils étaient si peu nombreux, dans ce coin reculé du nord-est de Lan Rei, que le dernier enfantement en date remontait déjà à plusieurs années. Et comme la fois précédente, ils devaient en appeler à une autre locataire de l'endroit. Une vieille femme, qui habitait un des rares villages frontaliers, pénétra dans l'antre. Elle n'était pas bien imposante, mais parmi tous ces petits, elle faisait figure de géante. Très soigneusement, de ses longs doigts agiles, elle réalisa le travail méticuleux qui était le sien depuis plus de cinquante ans. Bien sûr, elle était d'avantage habituée aux autres humains, voire au bétail, et quoique cette tâche releva presque de l'horlogerie, elle s'y prit correctement. Finalement, un minuscule nourrisson vit le jour, suffisamment gras et rose pour espérer vivre vieux.

Elie déglutit, un peu troublée d'avoir observé sa propre naissance. Pourtant, elle n'ignorait pas que c'était une représentante du grand peuple qui avait assisté sa mise au monde, et cela n'avait toujours fait que renforcer l'idée qu'elle était faite pour les rencontrer. Hélas, le hameau dont venait la sage-femme avait été pillé moins d'un mois plus tard par une poignée de géants miraculeusement évadés de leurs montagnes. Les survivants, pourtant de farouches colons, avaient préféré migrer un peu plus vers le sud, et les terres qu'ils avaient ainsi libérées n'avaient plus jamais intéressé personne. Aussi, la communauté féérique de cette infime péninsule était restée encore à ce jour totalement isolée de toute civilisation étrangère.

Les images animées défilaient à une vitesse folle, montrant les premiers balbutiements d'une vie banale, du moins autant que pouvait l'être celle d'une telle créature. Elie avait appris à voler tôt, étant débrouillarde, sous le regard vigilant de sa mère, et surtout de son frère.

-Après m'avoir critiquée, vous me faites voir à quel point je suis géniale, c'est ça ? présuma-t-elle, sans pouvoir s'empêcher de faire vrombir ses élytres, au diapason de celles de son double juvénile.

Apparaissaient quelques scènes de questionnements frénétiques qui se heurtaient à la froideur de réponses courtes. Elle n'avait jamais vu son père, et le sujet, entre-eux, était plutôt tabou. Leur société, qui se trouvait être une anarchie totale, modérée uniquement par la bonne volonté générale, ne demandait pas une grande rigidité de comportement. Malgré cela, elle avait compris rapidement que son géniteur n'avait pas du être une personne de bien, et elle préféra l'oublier à son tour.

Ses journées étaient remplies de jeux et de découvertes, il n'y avait pas de place pour le travail, jugé trop désagréable. Elie, petite fille assise sur une souche, regardait, ébahie, sa mère utiliser son pouvoir d’accommoder les plantes à sa volonté, habillant par ce biais chacun de magnifiques tuniques en fibres végétales. Les animaux, eux, n'étaient pas trop agressifs, bien qu'à l'occasion, on supposa qu'un bougre distrait avait terminé dans la gueule d'un lynx opportuniste.

Une poignée de brefs moments d'ennuis... La plus jeune de la communauté n'avait pas vraiment d'amis de son âge, faute d'une population qui préférait ne faire que les enfants qu'elle pouvait nourrir. En effet, si la plupart des denrées ne manquaient pas, le bosquet ne disposait tout de même que de ressources limitées, et personne ne pratiquant l'agriculture, il y avait parfois, en hiver, quelques jours de disette.

Heureusement, lutins comme fées grandissaient particulièrement vite. Elie fut rapidement en état de communiquer efficacement avec les adultes. Elle tentait également de vivre quelques péripéties amoureuses, mais c'était sans compter le présence autoritaire de son aîné. Celui-ci se mit à surveiller chacun de ses gestes dès qu'il commença à entretenir des soupçons. Sa sœur ne déjouait pratiquement jamais son contrôle avisé, et ce en dépit de sa capacité fraîchement découverte à se métamorphoser. Quel que fût l'animal dont elle prenait l'apparence, il la reconnaissait systématiquement. Et quand, quelques fois, elle parvenait tout de même à rejoindre un amant...

-Hé, c'est perso ça !

...l'infortuné était ensuite durement, voire violemment, réprimandé, et ne venait jamais retenter l'aventure. Elle savait que son frère n'était pas mauvais, juste inflexible et excessivement protecteur. Des traits singuliers parmi eux.

-Ouais. Cool, c'était peut-être pas tout à fait le bon mot, énonça Elie, devant le spectacle de son dernier soupirant, le nez ayant doublé de volume.

Un beau jour, il disparu. Personne ne sut exactement ce qu'il s'était passé. D'un jour à l'autre, on ne le vit plus, et on se résigna à le considérer mort, digéré dans l'estomac d'un prédateur. Ou alors vagabond, errant en un endroit incertain, évidemment moins heureux que s'il était resté. Bien sûr, Elie préférait la deuxième version, aussi improbable semblait-elle : elle imaginait réellement mal un individu si loyal et pragmatique se lancer dans une aussi hasardeuse épopée.

Ce seul doute la dissuada de faire ses bagages et de courir à sa suite pendant presque six mois. Néanmoins, une dispute intense avec sa mère au sujet de son père (il avait germé dans son esprit l'idée qu'elle puisse être le fruit d'un viol) acheva de la persuader que sa place n'était pas près d'elle. Elle s'était enfuie dans la semaine.

L'eau afficha le tableau d'une fée aux cheveux rouges, dormant paisiblement sur une branche haute. Déjà si loin de son bosquet natal. Puis l'onde se troubla et redevint lisse. Elie se racla la gorge et recroisa les bras.

-Ouais, donc, on en revient là. Vous allez quand même pas en faire toute une histoire ?