Essian Déchaîné n°10 ; 11 de l’Ere Soleil de l'An 8225
Ghurol mise à nue.
Peu d’explorateurs y songeaient encore. Moins que ça ont réussi à survivre. Mais ces derniers jours, d’éminents chercheurs séjournant depuis plusieurs semaines sur l’île mortuaire, ont réussi à mettre à jour une découverte qui pourrait bien contrarier tout notre savoir sur le monde d’aujourd’hui.
C’est la première étude archéologique aboutissant depuis le drame de la Crête des Fous, cent quinze années en arrière.
Cela fait maintenant six semaines qu’ils se sont installés dans les Monts de Dâr, vaillants malgré les assauts pour l’instant menés uniquement par le soleil. L’expédition, sous la direction de Krafmer Lamphry, compte cinquante aventuriers dont dix soldats d’élite chargés de la sécurité. Afin de s’assurer de ne manquer de rien, un puits a été creusé près du campement (un premier essai qui n’a permis que de retrouver de l’eau, très ancienne selon le directeur. Non, non, pas croupie.). La réserve de vivre est renouvelée régulièrement par les quelques créatures hostiles et comestibles qui osent franchir le périmètre de sûreté. De grandes toiles de tente beiges sont tirées au-dessus des sites de fouilles, protégeant les travaux du plus obstiné des agresseurs. Avec tout ça, l’opération ne peut être mise en échec que par la perte de temps avec les pâtés de sable. Pas de revirement en hécatombe cannibale psychotique à l’horizon !
Le projet date de l’an 8178 où Krafmer Lamphry, dans sa tendre enfance, a déterré une balle dans son jardin. Fier de sa trouvaille, il songea tout de suite aux opportunités que le sol avait à cacher et se jura plus tard de déterrer des choses bien plus originales, qui tatoueront son nom à l’encre noir dans les pages des journaux les plus réputés. Hé bien ça y est, c’est fait.
L’effondrement de la bibliothèque d’Elowein était aussi de son fait, mais les autorités ont préféré faire passer l’incident sous une cause naturelle plutôt que d’avoir à juger une telle stupidité. De toute évidence, peu d’êtres humains sont capables d’aller creuser sous les fondations d’un bâtiment contenant plus de cents tonnes de reliques historiques afin de trouver un cimetière d’éaran, mettant ainsi plus d’une trentaine de vies en danger –y compris la sienne- ainsi que sept millénaires de patrimoine soigneusement référencés. Le procès aurait été grotesque, fatigant, avec l’apparition de nouvelles lois qui serviraient trop peu à l’avenir dans le Code Pénaïk.
Et le voici de retour, dix ans après les faits. Cette fois, son projet semble sérieux, réfléchi et sur le point d’aboutir à une découverte monumentale sur l’histoire de Ghurol et de son peuple.
Moi, Alphonse Verlile : Soyez le bienvenue en secteur sauf, Professeur Lamphry ! Ravi de voir que vous êtes revenu en un seul morceau au pays.
Professeur Krafmer Lamphry : Merci. Vous savez, la priorité, c’est le progrès. La vie elle, ne fait que le servir.
AV : Ouais mais quand on sait se contenter de ce qu’on a, on vit bien aussi… Alors, racontez-moi, d’où vous est venue cette idée folle d’un jour visiter Ghurol ?
PKL : C’était une intuition. Et puis il faut bien commencer quelque part non ?
AV : Vos chercheurs sont au courant que vous n’aviez pas la moindre idée de ce que vous faisiez ?
PKL : Maintenant, oui.
AV : Quelles assurances avaient-ils, pour oser vous suivre sur ces terres hostiles où aucun humain n’a réussi à survivre plus de cent vingt-sept battements de cils ?
PKL : Celle de vivre une expérience inoubliable, d’affronter leurs peurs, de revenir en héros et surtout je leur ai fait signer une décharge.
AV : Mais je doute qu’on leur donne une quelconque médaille pour ça… D’ailleurs, ça, c’est quoi exactement ? Qu’est-ce que vous avez trouvé, dans quel ordre, racontez-nous un peu.
PKL : Tout a commencé avec le déterrement d’un os de dinde. Sur le coup, rongé par les vers de sable comme il l’était, on a cru à un objet mystique d’une civilisation antérieure. On aurait vraiment dit des lignes sculptées, des motifs. C’était après trois semaines sans le moindre progrès, les troupes se démotivaient, on avait besoin de cet espoir-là.
AV : Le pouvoir de l’imagination…
PKL : Alors on a creusé plus profond, à ce même endroit. C’est là qu’on a trouvé les autres os, de la même dinde. La déception était terrible. Et puis, après réflexion, on s’est demandé depuis combien de temps on n’avait plus vu de dinde sur Ghurol. Parce que quand même, elle aurait eu du mal à traverser l’île depuis la côté pour venir mourir à cet endroit précis !
AV : Et vous n’avez pas pensé à un pique-nique troll ?
PKL : Ah, non… Heureusement ! Haha ! Puisque ça nous a motivé à chercher plus.
AV : Vous devez avoir une sacré troupe de têtes pensantes, pour transformer les restes d’un sandwich en surface en théorie d’antique prairie idyllique pour volaille.
PKL : En tous cas, on a fini par trouver de véritables trésors du temps, nous ! Ça a commencé par des restes de civilisation, des parois organisant probablement des gîtes et des rues. Cela s’étend sur plus de huit cents mètres ! On n’a pas encore pu tout émerger du sol. Mais le plus fort, ce sont les petits objets qui commencent à apparaître. Des pots, du cuir très bien conservé…
AV : J’ai entendu qu’il y avait bien plus que ça…
PKL : Ah, décidemment, on ne peut rien vous cacher ! Effectivement, il y a notre pièce maîtresse, notre rêve scientifique le plus fou ! Un os, cette fois pas de dinde. Ah moins que les dindes aient un jour mesurée plus de trente pieds ! Allez savoir, elles régnaient peut-être en maître avant les Centaures… Ou alors, cet os, ressemblant fortement à un fémur en deux fois plus grand, appartient à une race disparue…
AV : Quand est-ce que vous aurez les certitudes là-dessus ?
PKL : Nous ne pourrons commencer les analyses que lorsque nous aurons plus de pièces. Pour les spéculations, il faudra attendre de sortir plus de matériel aussi. Le chantier devrait encore compter au moins une année pour tout déterrer mais… Nous cherchons avec force motivation les restes de ce bonhomme. Ça vous en bouche un coin ça hein ?
AV : Oui… Dommage que vous mourriez avant d’extraire les conclusions de cette découverte. Avec la publication de l’Essian Déchaîné, vous risquez d’attiser la curiosité de la population de l’île… Et son appétit aussi. Si j’étais vous, j’engagerais plus de soldats. Des grassouillets aussi, pour faire diversion. Bonne chance, professeur !
Alphonse Verlile