La lune éclairait faiblement le grenier, s'amusant à contraster les zones sombres. La frénésie de la journée s'était arrêtée, reprenant son souffle pour le jour à venir. Une masse imposante ronflait dans un des deux lits. L'autre n'était même pas défait. La masse se retourna, c'était un homme gros, aviné, au nez épaté. Sa peau laissait apercevoir les vaisseaux qui s'étaient déchirés dû à sa consommation abusive d'alcools en tous genres. En bas, des bruits sourds se répétaient, perpétuant la vie. Ils donneront un jeune homme qui prendra la mer lorsque ses dix-huit ans seront arrivés. Son bateau échouera durant une tempête, il s'en sortira, mais bon, ce n'est pas ce qui nous intéresse.
Oeniryx était assise entre son lit et le mur de la façade du « Tronc vermoulu ». Qui pouvait trouver un nom pareil ? Et bien, c'est un petit homme filiforme qui avait toujours rêvé d'habiter dans les bois (quelle idée!), mais sa famille ne l'avait pas laissé faire, il avait finalement utilisé une partie de leur fortune pour construire cette auberge. Quiconque le voyait, sentait immédiatement le regret qui le rongeait depuis maintes années . Bref.
La démone avait repoussé la petite table de chevet et s'était installée dans ce carré d'intimité improvisé. Elle ne dormait presque pas et les literies ne lui avaient jamais plu, sauf à une époque où elle n'était plus seule. Son bras droit s'engourdissait contre la pierre, tandis que son dos était réchauffé par le mur mitoyen de l'appartement d'à côté. Elle était lasse de tout. Une vie trop longue, sans aucun intérêt depuis qu'elle était sans elle. Mattie.
Elle l'avait longuement cherchée, parcourant toutes les îles connues avant de revenir d'où elle était partie. Il ne restait que deux solutions : soit elle était morte en mer et Oeniryx l'avait perdue à jamais, soit elle était retenue captive quelque part ici. Sur Lan Rei. S'accrocher à un espoir aussi faible. C'était typiquement humain. Qu'est-ce qu'elle avait changé... Elle qui ne les voyait uniquement comme un troupeau sans tête, un garde-manger, maintenant en était venue à payer une chambre pour un homme qui allait mourir de froid. Ce même homme qui dormait à côté, le sourire aux lèvres. Elle voulait savoir pourquoi il était heureux alors qu'il avait tout du déchet de la société. Comment il faisait. Ce qu'elle ne savait pas, c'est que cet homme avait réussi à s'emparer d'un objet précieux et que pour fêter ça, les bonnes habitudes aidant, il avait bu jusqu'à se retrouver couché sur la route alors que la température extérieure avoisinait les -5°C. Si elle n'avait pas été là, il aurait fini mort (et heureux) et quelqu'un lui aurait fait les poches. Mais ça ne s'est pas passé comme ça.
D'ailleurs l'objet en question, était tombé de sa poche et elle l'avait ramassé, sans s'imaginer qu'il avait une quelconque importance. La richesse était une notion qu'elle connaissait, mais qui n'éveillait en elle que très peu d'intérêt. De toute façon, elle le lui rendrait, mais si uniquement la réponse à sa question serait satisfaisante. Sinon, elle le lancerait quelque part, parce que ce sera sûrement amusant de voir sa tête se décomposer. *Regarde Mattie, ce que je fais sans toi*
Un léger grattement retentit sur le toit mansardé. La fenêtre ronde chuinta faiblement avant de s'ouvrir. Oeniryx se blottit davantage dans la pénombre, elle voulait voir ce qui allait se passer. Une ombre pénétra agilement dans la pièce. La femme-serpent ne voyait pas grand chose. Elle ne pouvait que ressentir la vie qui battait dans ce corps, la vibration subtile des pas. Des pas sûrs qui se dirigeait vers son invité. La forme brillait de vie, bien que la formulation soit bizarre, c'était ce qu'elle percevait. Des mains furtives s'affairaient sur le gros corps, à la recherche de quelque chose. Elle venait de comprendre. L'objet qu'elle avait en sa possession était convoité. Ça expliquait le sourire niais de l'autre. Décevant. Elle a envie de le donner à l'intrus, juste pour punir le premier.
-Vous ne trouverez rien sur lui. C'est moi qui l'ai.
Il n'eût plus aucun geste, mais son sang battait fort. C'est vrai que ça ne serait pas mal. Et puis, lui respire la vie, elle a envie de lui faire plaisir, dans sa grande bonté. Mais d'abord, elle a une question.
-Qu'est-ce qui vous rend heureux ?
Elle était restée assise, le regardant par-dessus le lit. Elle ne voulait pas lui faire la politesse de se lever. Ah quoi bon ? Elle sentit ses camarades à écailles se réveiller. Une vieille sensation de faim humaine lui revint. *Te tracasse pas, Mattie, je t'ai fait une promesse, c'est juste que quelque chose d'enfantin l'habite*