Le capitaine sorti de la pièce, la démarche moyennement assurée. Je soupirai: il aurait eu bien besoin de se reposer plus longtemps, mais son regard décidé dissuadait quiconque du moindre commentaire. Et puis après tout, il était assez grand pour prendre ses responsabilités. Je l'avais soigné et j'estimais avoir fait ma part des choses envers lui. Il prit la parole en passant devant nous.

"-Premier jour au sein de l'équipage, et je vous trouve ici à bavarder. Ne vous avais-je pas dit que vous parliez trop? Trêves de bavardage, il reste beaucoup de choses à faire, et la nuit va tomber rapidement...."

Soufflée, j'eus un regard ébahi, puis furieux. Pour qui se prenait-il? Je l'avais soigné, pas même un merci, et en plus des reproches! Décidément ce Capitaine avait un tempérament des plus singuliers, pour ne pas dire insupportable. Je bouillonnai mais puisai la force de me contenir dans les yeux de Kaleya. Celle-ci s'apprêtait à suivre l'homme. Là, j'étais perdue... Un capitaine devait-il sa faire obéir au doigt et à l'œil, sans remarques, sans dialogue? Faisait-il parti de ces êtres mystérieux qui sondent des vents troubles et complexes et qui n'en sortent que pour donner leurs ordres brièvement, sans se donner l peine d'en expliquer la raison, persuadés de leur suprématie et de la faiblesse d'esprit de ses seconds? Heureusement, remarquant mon trouble, Kaleya me fourni quelques explications.

" Peut-être bien que nous parlons trop, il n'empêche que tu ne pourras pas faire grand chose si tu ne sais pas où on est exactement... "

Je fus surprise: elle ne remettait nullement en cause les paroles de son capitaine. Toutefois ses paroles m'intéressèrent. Peut-être allais-je enfin comprendre où je me trouvais...


" Est-ce que tu sais ce qu'est ce grand bâtiment en bois... ? "

Je souris: elle avait utilisé le même terme que moi.

" On appelle ceci un bateau. Tu as sûrement déjà remarqué que le bois flottait à la surface de l'eau, non ? Eh bien le fonctionnement est à peu près le même, et le but est de pouvoir traverser l'océan. Ce bateau se déplace à la force du vent, à l'aide de ce que l'on appelle les voiles, d'immenses morceaux de tissu qui se gonflent sous le souffle du vent. Cela permet de faire avancer le navire et on peut traverser de grandes distances assez rapidement... Le problème, c'est que le bateau ne peut pas marcher tout seul : il faut que des hommes s'occupent de son fonctionnement. Ces hommes forment l'équipage et obéissent à celui que l'on appelle le capitaine : en l'occurrence, Kaplen. C'est à lui qu'appartient le bateau, lui qui donne les ordres, qui organise la vie à bord... enfin, actuellement, il organise plutôt la vie à terre. Le bateau est endommagé, et nous le... enfin, essayons de le réparer pour quitter l'île. " Si tu le souhaites, et si Kaplen l'accepte mais il me semble que c'est déjà le cas, tu pourrais faire parti... de l'équipage. ""

Étrange et passionnant... Ce bateau avait des propriétés incroyables! Jamais je n'aurais osé imaginer une chose pareille. Voyager, découvrir d'autres lieux, d'autres cultures... Rien que d'y pensais, j'en avais des étoiles dans les yeux. Toutefois, cet homme, Kaplen semblait être tout puissant en ces lieux, et cette idée ne me plaisait pas vraiment. J'étais libre et indépendante. M'associer avec un groupe ne me dérangeait absolument pas mais bien que je sois heureuse d'être acceptée dans l'équipage, je ne voulais pas être enfermée dans une hiérarchie. Bien sûr, il devait être très compétant dans son domaine et pouvait donc m'orienter dans mes tâches, mais cela était tout. Quant à l'endommagement du bateau... Je parcourais mon environnement des yeux. Effectivement, à de nombreux endroits le bois était énormément abimé, et il serait grandement préférable d'effectuer de multiples réparations, voire de changer quelques pièces pour une solidité maximale. J'avais d'ailleurs en tête plusieurs arbres particulièrement solides de la forêt en tête. Je frémit d'impatience.

Kaleya, toujours souriante reprit la parole. Son regard était devenu préoccupé.

" Tu m'as parlé de la forêt tout à l'heure... selon toi, nous y serions plus à l'abri ? Pampelune a besoin d'être protégée des rigueurs de l'extérieur, si nous allions dans les bois y aurait-il un moyen de lui fabriquer un abri... solide ? Nous ne savons pas grand chose de la forêt. Je m'y suis déjà un peu promenée mais je n'y connais pas grand chose, nous aurions certainement besoin d'un guide si nous y allions. Je peux en parler à Kaplen si tu veux. "


Cela était une très bonne question... Je répondis d'un ton doux mais sûr, une petite flamme dans les yeux.

"Je te remercie beaucoup pour toutes tes explications. Elle éclaircissent beaucoup de points!! A moi de répondre à tes interrogations.
La forêt est pour moi beaucoup plus sûre que le bateau, mais j'ai peur que ce soit à cause du fait que je ne connaisse pas cet environnement. Toutefois, avec le nombre de réparation et la proximité de quantité de menaces, je pense que Pampelune, que je crois être la fille enceinte, serait plus à l'abri là-bas. Avec l'aide d'une paire de bras supplémentaire, je pourrai rapidement construire une hutte confortable et fonctionnelle dans les arbres, pour une demi-douzaine de personnes. Le couvert des arbres nous garantira la sécurité et la proximité d'une grande quantité de végétaux possédants des propriétés très intéressantes du point de vue médicinal garantiront à Pampelune un accouchement indolore et rapide. Du moins, j'ai eu l'occasion d'en pratiquer plusieurs et tous se sont très bien passés. Je ne pense pas que de ce point de vue là la race Humaine soit différente de la race Elfique. Et bien sûr, la nourriture y est abondante et savoureuse. Nous pourrons en profiter pour prélever le bois nécessaire aux réparations du bateau."


Je réfléchis quelques instants, puis sourit franchement: dans la forêt, le capitaine ne serait plus en position de force et serait bien obligé de faire confiance aux autres!

"Si Kaplen est intéressé, je me ferai un plaisir de vous y guider.
Je voulais te demander, pourrais-tu m'apprendre les rudiments du combat? Je ne suis pas adepte de ce concept et n'en ai aucun rudiment mais je pense que cela risquera de me servir! Et tu as l'air de bien connaitre les techniques.

Je me dirigeai ensuite vers la porte:

"Et si tu me montrais une tâche à effectuer? Comme ça, Kaplen ne pourra plus me reprocher de parler!"

Le sourire aux lèvres, je franchis la porte.

Je suivis Kaleya tout en réfléchissant. Je n'étais pas sûre du tout d'une réponse positive de la part de Kaplen. D'ailleurs, si nos positions avaient été inversées, aurais-je fui un environnement, pas forcément extrêmement sécurisé mais totalement connu, au profit d'un lieu dont je ne connaissait rien et où je ne serais pas du tout en position de force. J'esquissai un sourire: C'était exactement ce que je venais de faire, mais je devais reconnaitre que je ne serais jamais partie de mon village si j'avais eu d'autres choix envisageables.

En arrivant dans la chambre, je distinguai une forme allongée sur le lit. Pampelune... Les traits sereins, elle paraissait dormir. Certes, elle paraissait pâle, mais rien qui ne mit sa santé en dangers. Ce devait être la personne qui avait le mieux supporté le voyage... Avec sa position de femme enceinte, elle n'avait sans doute pas été très sollicitée pour les tâches quotidiennes, et j'étais sûre que Kaplen lui avait assuré le plus de nourriture possible, se privant lui même un maximum.
Le Capitaine, lui, était debout e semblait harassé. Fronçant les sourcils, je l'observai dans les moindres détails. Ses blessures ne semblaient pas suinter et les points ne s'étaient pas ouverts. Au moins une bonne nouvelle!
En nous voyant entrer, il s'avança vers nous, l'air légèrement surprit de me voir là.

"Kaplen ? Excuse-moi, je peux te parler..."

La jeune femme prenait des précautions. Quoi qu'elle puisse dire, Kaplen semblait une figure d'autorité dans le bateau et même si le tutoiement était de mise nulle méprise n'était possible: la hiérarchie était bien présente, et on ne dérangeait pas l'homme pour rien.

"Apparemment, la forêt serait le lieu idéal pour Pampelune et son accouchement. Niüna connaît bien les bois et les plantes qui y poussent serait idéales, et la situation ombragé du lieu serait... eh bien, idéal aussi. Si tu es d'accord, je peux rassembler une petite équipe tout de suite en vue d'aménager un lieu sûr pour elle... "

Bonne présentation. J'observai avec attention les réactions de Kaplen. Il se passa le main dans ses cheveux, prenant le temps de réfléchir. Posé, comme d'habitude... Toutefois, quand il prit la parole, ce fût en me regardant droit dans les yeux et froidement, d'un ton sans appel:

"Non.
Même si vous connaissez cet endroit comme votre poche, et que vous avez surement raison, je ne veux pas"

Mon cerveau fonctionnai à toute vitesse, tandis que nos regards ne cillaient pas. Ma réponse fût brève mais dénuée d'un quelconque sentiment.

"Je m'attendais à cette réponse, et je pense qu'à votre place j'aurais également eu du mal à aller sciemment dans un endroit où je ne connaissais rien. Je respecte votre décision. Sachez toutefois que si vous avez besoin d'un produit forestier, je pourrai vous le procurer. Simplement, il faudra plus de temps et les situations peuvent évoluer extrêmement rapidement."

Je portai mon regard sur Pampelune, afin d'appuyer mes paroles. La jeune femme avait les yeux grands ouverts et semblait écouter. Cependant, j'ignorais ce qu'elle avait perçu de la conversation et les sentiments qui l'habitaient...

Spoiler:

Les évènements défilaient à une vitesse folle et je peinais à tout suivre. Une fois passée la déception du refus de Pampelune à se réfugier dans la forêt, j'admis que la transporter et la veiller alors qu'elle avait l'air d'avoir un caractère des plus aléatoire aurait été hasardeux. Si il lui avait pris l'envie de faire quoique ce soit d'irresponsable je doutais que Kaplen ait son mot à dire, et que Kaleya exerce un quelconque poids sur elle. Quant à moi... mieux valait ne pas en parler. De toute manière, il fallait voir le bon côté des choses: ici, je n'avais guère de risques de rencontrer des elfes issus de mon village... et ce point était loin d'être négligeable. J'adoptai donc une position signifiant clairement que je faisais contre mauvaise fortune bon cœur. Je ne voulais pas passer pour l'immature et la capricieuse de service!

" Très bien, nous irons donc cueillir ses fameuses plantes dont tu m'as parlée. Et nous verrons bien pour la suite. Peut-être que j'aurais l'occasion de t'inculquer au moins la base du combat. "

Les paroles de Kaleya me firent sursauter mais me rassurèrent. Mes services ne seraient pas inutiles, et j'avais le soutien d'au moins une personne. Cette idée me mit du baume au cœur. Mais déjà Pampelune l'entrainait au dehors vers un certain Unded... Dieu que les humains étaient compliqués! La vie ici ne serait pas de tout repos, et le couple, pour uni qu'il paraissait, ne semblait toutefois pas en plein accord à son sujet. Une faille qu'il pourrait s'avérer intéressante à exploiter en dernier recours pour faire pencher la balance de mon côté au moment opportun... bien que j'espérai ne jamais avoir à m'en servir.

Gênée, j'observai Kaplen en silence, ne sachant que dire. Il semblait perdu dans ses pensées, et je ne tenais pas plus que ça à l'interrompre.
Kaleya revint assez vite accompagnée de Pampelune qu'elle aida à s'étendre, puis vint nous rejoindre.

" Bon. Kaplen, si tu es d'accord, nous irons demain chercher ses plantes médicinales avec Niüna. En attendant, si personne n’y voit d’inconvénients, je vais dormir. Oh, et si jamais, Unded est guéri. Définitivement guéri. "

Bien. Au moins le lendemain j'aurais à faire et je retrouverais le couvert connu des arbres. Inconsciemment, je me détendis. La perspective de rejoindre le lieu où j'avais vécu et de pouvoir me rendre utile était décidément très appréciable! Et si le dénommé Unded était guérit... après tout tant mieux pour lui... et visiblement pour nous.

Mal à l'aise, j'observais Kaplen qui ne disais toujours rien. Je finis par me racler la gorge. Après tout, nous n'allions pas rester l'un en face de l'autre pendant 3000 ans!

"D'autres questions?"

Comme à son habitude, il avait été froid et direct. Je soupirai. Non, je n'avais pas d'autres questions et je souhaitais juste prendre congé de la manière la moins impolie possible...

"Mon bateau n'est pas une auberge. Prenez le comme vous le voulez, je sais que vous ne m'aimez pas... Non, en fait je ne sais pas ce que vous pensez de moi... Je pourrais dire que je m'en fiche, mais ce serait mentir. "

Tiens tiens... Ainsi si froid qu'il paraissait il éprouvait réellement des sentiments et un intérêt pour le regard que les autres portaient sur lui... Je l'aurais plutôt catalogué avec ceux qui sont tellement sûrs d'eux qu'ils importent peu ou pas d'importance à l'image qu'ils envoient aux autres, mais de toute évidence, ce n'était pas le cas ici... J'étais agréablement surprise: Nous allions peut-être mieux nous entendre que ce à quoi je m'étais attendue!

"Ce genre de situation vous est-il déjà arrivé?"

La question me surpris totalement. Si humain qu'il m'apparaissait, il n'en était pas moins inattendu!
Sur un ton rieur contrebalançant avec son expression perdue et austère, je luis répondis:

"Vous voulez dire, me suis-je déjà retrouvée dans un bateau échoué en très mauvais état avec à sa tête un capitaine distant, austère et froid mais humain, sa femme sur le point d'accoucher qui n'obéit qu'à elle-même, une Neko qui tente de composer avec tout le monde et un loup Garou visiblement guérit? Si telle était votre question, alors non, cela ne m'était encore jamais arrivé."

Mon ton léger mais non provocateur ne laissait aucun doute quant à mon respect envers lui, mais j'espérais qu'il détendrait l'atmosphère et le renseignerait suffisamment sur l'idée que je me faisais de lui. Toutefois, il devrait s'en contenter car je n'avais pas l'intention de m'étendre sur le sujet.

Avant qu'il ait eu le temps de réagir, sa femme entra et se blotti contre lui. Je les observai quelques instants. Leur complicité était certaine, et ils n'avaient l'air biens qu'ensemble. Souriant, je m'apprêtais à les lasser en tête à tête lorsque la jeune femme fût prise de violents spasmes qui la firent hurler puis s'effondrer. L'heure de l'accouchement était visiblement arrivée...

Tout en pestant silencieusement contre l'absence de certaines plante, je me précipitai vers elle juste à temps pour la rattraper avant qu'elle ne s'affaisse sur le sol. Sans me préoccuper de Kaplen, je la transportai rapidement sur le lit et l'allongeai du mieux que je pouvais.

"Vite, apportez-moi un seau d'eau tiède!"

Priant pour que le capitaine s'exécute le plus vite possible, je passais ma main sur le ventre de la parturiente et l'examinai rapidement. L'enfant se présentait bien. Je positionnais un tissu mouillé sur le front de Pampelune et lui fit avaler quelques herbes relaxantes et visants à atténuer la douleur. Je me positionnai ensuite entre ses jambes et la guidai de mon mieux. La tête du bébé apparut assez vite et je pus le sortir entièrement sans encombres. L'enfant poussa un vagissement démontrant qu'il respirait par ses propres moyens et je le positionnai sur la poitrine de sa mère après lui avoir passé autour du poignet un bracelet de fines tiges vertes tressées, garantissant au nouveau-né santé et bonheur.

Souriant, j'annonçai:

"C'est un garçon! Félicitations."

Je me tournai ensuite vers Kaplen.

"Voulez-vous couper le cordon? Je le baignerais ensuite rapidement afin de le débarrasser du sang qui le recouvre avant qu'il ne prenne sa première tétée."