L’arme qui avait été déviée manqua frapper la hanche de la chimère. L’autre atteint l’omoplate que Balsa offrait pour se protéger. Puis les deux combattantes s’éloignèrent pour reconsidérer leurs blessures.

- Tu m’as forcée à risque ce coup, mais normalement tu n’aurais même pas pu frapper…

La chimère retrouvait doucement son souffle et déliait l’articulation de son épaule touchée.

- Enfin… ça se voit que tu es passée à tes armes habituelles. Besoin d’un pause ?

Elles s’accordèrent donc une pause. Balsa baissa sa garde et fit jouer ses muscles douloureux. Elle faisait quelques pas pour ne pas couper son élan en s’asseyant ou en restant immobile. Elle lâcha d’une main le bâton et s’amusa à amener dans l’autre le courant, puis à l’en chasser. Elle fixait cette main, puis se tourna vers Kaleya :

- Tu veux bien que je teste un petit truc ? Au pire des cas, ça picotera.

Balsa laissa tomber son arme de fortune. Elle approcha de la neko en concentrant son esprit sur l’intensité de l’électricité la parcourant. Elle commença par la laisser diffuser sans retenue, puis en fit baisser le niveau peu à peu au fur et à mesure qu’elle venait vers elle. Une fois tout à côté de Kaleya, la chimère tendit la main vers l’avant bras nu de la neko. Son cœur battait vite quand elle effleura l’épiderme.

Presque ?... La neko n’avait été secouée par aucun spasme et déjà, c’était un progrès. Mais il fallait un grand sang-froid pour y parvenir. Et un plus grand encore apparemment pour atteindre l’objectif zéro ressentit. La chimère inspira longuement, et expira en tendant à nouveau sa main. Mais le stress commençait à poindre en elle et l’angoisse de blesser sa partenaire aussi. Ses paupières étaient plissées et une goutte de sueur perla sur son front, suspence…

- Oui bon, on va arrêter là alors parce que ça risque de pas s’améliorer maintenant.

Elle avait eu de la chance la première fois. C’était frustrant de ne pas réussir à réitérer l’expérience. Mais au moins elle savait maintenant qu’elle en était capable, ce qui lui redonnait courage et confiance en elle. Elle retourna chercher sa lance de fortune et se tourna vers la neko avant de demander :

- On se refait quelques enchaînements ?

Elles poursuivirent leur entraînement jusqu’à ce que le soleil tombe sur l’océan. Leurs techniques s’étaient améliorées et Balsa parvenait à n’infliger qu’un très faible courant sur son cobaye consentant. Leurs muscles meurtris et leurs esprits à bout, elles s’étaient assises face à l’étendue bleue. Le ciel virait de couleur alors que l’astre plongeait dans les eaux. Ca et là, des mouettes riaient dans le tumulte des vagues.

- Cette journée m’aura fait un bien fou !

Balsa se tut un moment, profitant de l’instant suspendu. Un sentiment de plénitude l’emplissait, c’était rare qu’elle ressente une telle émotion en compagnie d’un autre être. Solitaire depuis le départ de Akin, elle ne passait jamais autant de temps avec quelqu’un par simple plaisir. Ses pensées vaquaient et elle se surprit à demander tout haut :

- Tu n’as jamais pensé à t’installer quelque part ? T’en sortir honnêtement et cesser de poursuivre des fantômes ?

Kaleya ne pensait pas être capable d’une vie normale. Elle avait essayé, sans succès. Pour quelqu’un de si humain, c’était un peu étrange.

- Pas vivre normalement, ça c’est impossible. J’espère juste pouvoir un jour m’installer quelque part… Le problème c’est où ? faut voyager un peu partout pour voir, et pour tuer l’ennui. Mais c’est dangereux… Il ne reste qu’Aïklando dont les promesses sont encore attractives.

Elle tourna les yeux vers la neko, attendant sa réaction.

Balsa prit une poignée de sable dans sa main, qu’elle laissa couler doucement. Le vent marin emportait les grains vers les terres.

- J’en ai beaucoup entendu parler, mais je ne sais pas ce qui est vrai. On m’a dit que celui qui s’y rend trouve tout ce qu’il a toujours cherché. Mais on m’a dit qu’il était impossible d’y accéder… enfin, les légendes disent aussi quelques élus peuvent y accéder.

Elle mordit sa lèvre inférieure.

La chimère cessa de jouer avec le sable et tourna son regard vers le soleil couchant, les paupières plissées par la lumière aveuglante.

- Quelqu’un… mais je ne pense pas pouvoir y entrer non plus. Seulement si j’apprenais le moyen, j’irais sans hésiter.

Elle sentait la nostalgie l’envahir. Elle se leva pour retrouver ses esprits, étirant ses bras longuement au-dessus de sa tête.

- En attendant, il s’agit de survivre en se déguisant en personne normale. Ou vivre au-dessus des lois.

Balsa regardait à présent la neko, toujours assise dans le sable. Elle souriait à sa dernière phrase, la trouvant tellement vraie qu’elle ne savait pas trop quoi répondre. Elle se tourna à nouveau vers l’océan sur lequel l’astre reflétait ses rayons et commença à faire quelques pas lents. Son bâton était abandonné à quelques mètres, peu à peu recouvert des grains fins portés par le vent. La bise montait ensuite jusqu’à soulever les mèches noires de la chimère.

Un frisson courra sur l’échine de la chimère alors que le vent se rafraichissait. Le soleil flottait sur l’océan, sa lumière rosée et orangée diminuant rapidement.

- C’est vrai qu’on pourrait dormir dehors vu le temps. Mais je mangerai bien quelque chose aussi. Alors soit je tente la cueillette ou la chasse dans la nuit, soit je rentre… Et puis, faudra bien que j’y retourne de toutes façons, j’ai quelques affaires et un toit là-bas.